Pierre-Nicolas Durand face au quotidien des « Officiers du droit d’asile » de l’OFPRA

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    • Pierre-Nicolas Durand face au quotidien des « Officiers du droit d’asile » de l’OFPRA

      C’est une vieille connaissance qui revient sur Le Blog documentaire, qui y était déjà venue il y a quelques années pour décrire son « itinéraire d’un jeune documentariste »… Pierre-Nicolas Durand signe aujourd’hui un nouveau film, « Officiers du droit d’asile », diffusé à partir de ce samedi 30 septembre sur Public Sénat. Une plongée inédite à l’OFPRA, au plus près des agents et des demandeurs d’une protection de l’Etat français. Entretien avec le réalisateur.

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    • Asile : le piège des dealers d’histoires

      Pour demander l’asile en France, présenter un « #récit de vie rédigé en français » est obligatoire… Et mission impossible pour les exilés qui découvrent la langue française. Des trafiquants en profitent pour monnayer leurs services, souvent contre-productifs.

      Deux sur trois. C’est le ratio de dossiers qu’Elise (1) refuse chaque jour. De son bureau de Fontenay-sous-Bois (Ile-de-France), cette salariée de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) voit défiler les demandeurs d’asile. En tant qu’officier de protection (OP), et comme ses 800 collègues, elle examine et instruit les demandes de régularisation reçues par l’Ofpra. Et pour chaque demande, Elise évalue la gravité de la situation fuie par l’exilé. Au cours d’un entretien d’environ deux heures, secondée par un traducteur, elle interroge les migrants sur leur histoire et vérifie la cohérence des faits racontés.

      Dans l’écrasante majorité des cas, ces entretiens se soldent par un refus : seulement 27% des demandes enregistrées se traduisent par l’obtention du statut de réfugié. Plusieurs facteurs expliquent la faiblesse de ces chiffres : les critères limités à la convention de Genève et excluant la détresse sociale et économique, le manque d’accompagnement et de suivi pour aider les demandeurs d’asile dans leurs démarches, l’engorgement des plateformes d’accueil mises en place par l’Etat, les contraintes de délai conduisant les OP de l’Ofpra à travailler en cadence… Mais pas seulement.

      Pour Elise, si tant de demandes d’asile sont déboutées, c’est surtout à cause d’un problème majeur et pourtant méconnu : les fausses histoires. L’OP explique refuser au moins la moitié des dossiers qu’elle examine à cause de « récits stéréotypés » : « On tape beaucoup sur l’Ofpra en disant qu’on accepte à peine un tiers des demandes… Mais il faut voir les demandes qu’on reçoit ! A une époque, presque tous les dossiers que je recevais étaient écrits avec la même écriture, les mêmes fautes d’orthographe, la même histoire… Il n’y avait que les noms qui changeaient. A tel point qu’à la fin, je leur donnais des numéros, "Dossier La Chapelle 1, 2, 3", etc. »

      Dans le jargon des travailleurs du droit d’asile, le problème mentionné par Elise porte plusieurs noms : « faux récits de vie », « récits stéréotypés », « histoires toutes faites »… Moyennant des sommes allant jusqu’à une centaine d’euros, des « dealers » écument les camps de migrants, proposant leurs services aux nouveaux arrivants. La rumeur va vite et les demandeurs d’asile savent qu’ils seront moins d’un tiers à obtenir le statut de réfugié. Alors les escrocs leur font miroiter monts et merveilles : en trafiquant des récits aux parcours de vie et nationalité factices, ils promettent aux exilés un futur meilleur. Acheter une histoire est présenté comme la meilleure façon d’obtenir l’asile. Les associations s’efforcent bien de proposer des traductions gratuites, mais la demande est trop importante et l’accompagnement trop éclaté pour que les bonnes informations circulent correctement. Alors, sans savoir qu’ils pourraient faire traduire leurs histoires sans débourser un centime, et dans l’espoir d’être le plus convaincants possible, les exilés tombent dans le piège des « dealers de récits ».
      « Des histoires sans queue ni tête »

      Sauf que ces récits sont surtout la garantie d’un recours auprès de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), où les exilés peuvent faire appel quand la protection leur est refusée. Car quelques questions suffisent aux officiers de l’Ofpra pour débusquer un faux récit. « Parce qu’on leur a dit que l’Ofpra accordait l’asile aux personnes de telle ou telle nationalité, ils jettent leurs passeports ou achètent des récits qui racontent des histoires sans queue ni tête, explique Elise. Quand ils n’ont pas vécu ce qui est écrit dans le récit, ils sont incapables de répondre à nos questions et on s’en rend compte très rapidement. C’est terrible, parce que souvent les personnes peuvent parfaitement venir de zones dangereuses et avoir rencontré des situations qui permettraient d’obtenir la protection en France. »

      En 2015, le directeur général de l’Ofpra, Pascal Brice, affirmait à Slate ne pas tenir rigueur des fausses histoires : « Les récits stéréotypés ne portent pas préjudice aux demandeurs. C’est notre politique. » Mais, en deux ans de carrière, Elise n’a jamais vu un demandeur d’asile reconnaître qu’il avait acheté son récit : « Les demandeurs n’ont pas confiance en nous, car pour eux on représente l’Etat ou la police. A leur place, je n’aurais pas confiance non plus, reconnaît l’employée de l’Ofpra. Je ferais confiance à quelqu’un qui parle ma langue plutôt qu’à quelqu’un qui travaille pour l’Etat. »

      Le constat est le même du côté des travailleurs sociaux. Antoine de Courcelles, responsable de l’aide administrative auprès des demandeurs d’asile pour l’association la Cimade Ile-de-France, dénonce l’extrême exigence de l’Ofpra : « L’Ofpra a développé depuis les années 80 un discours de suspicion vis-à-vis des demandeurs d’asile, car le discours politique à l’égard des réfugiés et de leur accueil a complètement changé. » Une bénévole du Bureau d’aide et d’accompagnement des migrants (BAAM) regrette également cette posture : « Les officiers de l’Ofpra sont là pour jouer au détecteur de mensonges. » Craintifs, les demandeurs restent donc souvent mutiques. Floués par les dealers de récits, ils se trouvent prisonniers d’une histoire qui leur ferme les portes de l’asile.

      Originaire du Tchad, Mahamad, 23 ans, a traversé la Libye et l’Italie avant d’arriver en France. Aujourd’hui en attente d’une réponse de l’Ofpra, il a dû rédiger un récit de vie en français. A son arrivée il y a sept mois, il ne parlait qu’un français balbutiant. Alors, dès ses premiers jours sur le camp de la Porte de la Chapelle, Mahamad a eu affaire aux dealers de récits : « Des gars sont venus me voir et m’ont dit en arabe : "T’es nouveau toi ? Ça se voit que t’es nouveau." Ils m’ont demandé si je voulais obtenir l’asile, si je connaissais les règles. Ils m’ont dit qu’ils connaissaient les "bonnes histoires" et que, pour m’aider, ils allaient améliorer la mienne. » Se fiant à son instinct, Mahamad a refusé leur « aide ». « J’ai senti qu’ils voulaient me tromper, alors je suis parti. »
      « Le moins de bruit possible »

      Tous n’ont pas le flair de Mahamad. « Souvent, les demandeurs d’asile sont tellement sous pression qu’ils se présentent eux-mêmes aux dealers de récits pour qu’ils traduisent leur histoire. Ils ont besoin d’écrire leur récit, ils ont vingt-et-un jours pour remplir un dossier en français, donc ils font tout pour se débrouiller. Va comprendre la convention de Genève quand tu viens d’arriver d’Afghanistan ! » raconte Héloïse Mary, présidente du BAAM.

      Le trafic de faux récits est très difficile à identifier. Malgré des années d’expérience sur le terrain avec les migrants, les bénévoles présents sur les camps peinent à cerner cette nébuleuse : « C’est la même chose que si tu avais des dealers en face de toi, constate l’une d’entre eux. Comme tous les dealers, ils font le moins de bruit possible pour faire leur business discrètement. » Ce sentiment d’impuissance est largement partagé dans les associations d’aide aux migrants. Morgann Barbara Pernot, cofondatrice de Paris d’Exil, déplore aussi une omerta : « On a tenté de mener l’enquête mais on n’arrive jamais à savoir si c’est un ami qui a traduit, un traducteur ou carrément un vendeur de récits bidons. Et même quand les demandeurs d’asile en parlent, ils disent ignorer le vrai nom du vendeur. »

      Dhrubo (1) fait partie de ceux qui distillent des informations lapidaires. Ce jeune exilé du Bangladesh, qui sollicite l’asile politique pour persécution, dit avoir vu graviter des passeurs potentiels au métro La Chapelle, à la jonction des Xe et XVIIIe arrondissements de Paris : « J’attendais sur le quai et j’ai surpris une conversation. Ils parlaient le bengali, ma langue natale, et expliquaient à quelqu’un qu’ils allaient améliorer son histoire », se souvient-il. Mais au moment d’entrer dans les détails, le jeune homme reste énigmatique : « Je ne sais pas qui c’était. Ça peut être dangereux, lâche-t-il dans un soupir. On a peur. On a tous peur. »
      Une « culture restrictive »

      Entre Barbès-Rochechouart et place de la Chapelle, les rues sont jalonnées de taxiphones, cybercafés et petites boutiques de téléphonie. Derrière les enseignes clignotantes et les grands sourires commerciaux, des vendeurs s’affairent parmi les téléphones prépayés et les smartphones retapés à neuf. Mais à la mention d’éventuels traducteurs travaillant avec des migrants, c’est silence radio. On hausse les épaules, fronce les sourcils et invite gentiment à aller voir ailleurs : « Allez voir vers Barbès, c’est là qu’il y a des traducteurs ! » conseille un vendeur d’une boutique de La Chapelle. Et du côté de Barbès : « Vous devriez essayer d’aller à La Chapelle, je crois qu’il y a des gens qui font ça chez eux ! » Les bénévoles le répètent, il est quasiment impossible de poser des questions sans se faire balader.

      « Comment voulez-vous mettre le doigt dessus sans que l’on s’intéresse à la cause du problème ? soupire la présidente du BAAM. Tant qu’on imposera des récits en français, qu’il n’y aura pas de service d’aide géré par l’Etat et que tout reposera essentiellement sur la bonne volonté des associations, il y a aura toujours de la débrouille ! » Car pour les travailleurs sociaux comme pour les salariés de l’Ofpra, ce trafic n’est que la manifestation d’un problème plus profond. Le désengagement de l’Etat laisse les exilés livrés à eux-mêmes, l’économie de la misère squatte la place laissée vacante par les institutions. Pour Antoine de Courcelles, de la Cimade, voilà la preuve d’une « culture restrictive distillée depuis longtemps à l’Ofpra selon laquelle le droit d’asile serait quelque chose de rare, et seulement accessible à une minorité de personnes. »

      La solution pour supprimer ce business des traducteurs mal intentionnés existe, disent les associations : supprimer les récits en français. Selon Héloïse Mary, « il faudrait que les personnes puissent s’exprimer oralement sur leur histoire dans leur propre langue. Imposer un récit manuscrit suppose une maîtrise parfaite de la lecture et de l’écriture, alors que beaucoup viennent de pays où le taux d’alphabétisation est faible ». Une revendication que partage Antoine de Courcelles : « C’est étrange de demander à des demandeurs d’asile venus des quatre coins du monde de rédiger en français les motivations de leur demande. Il faudrait tout simplement supprimer cette obligation. »

      (1) Les prénoms ont été modifiés à la demande des intervenants.

      http://www.liberation.fr/france/2018/05/14/asile-le-piege-des-dealers-d-histoires_1649999