• Roland Gori : « La démocratie dans la recherche n’est pas pour demain » | Sciences Critiques
    https://sciences-critiques.fr/roland-gori-la-democratie-de-la-recherche-nest-pas-pour-demain

    Interview de Roland Gori

    Du coup, les publications scientifiques sont inévitablement soumises à l’obsolescence programmée. Les revues ne sont plus des lieux de communication et de partage des chercheurs, mais les indispensables vitrines qui font d’un laboratoire ou d’un enseignant une personnalité de marque. Du coup, les revues scientifiques ne sont plus faites pour être lues mais simplement permettent de publier des articles short and dirty, moyens comme un autre d’accroitre son facteur H ou M. Donc, on publie beaucoup, non pas parce qu’on a quelque chose à dire, mais parce qu’il faut rester connectés. C’est le Facebook des communautés scientifiques contrôlé par des censeurs dont la censure ne porte pas sur le contenu des messages mais sur les conditions de production et d’accès. Un jour viendra où les futures générations n’auront que mépris pour ces fabriques de servitude volontaire que sont devenues nos institutions.

    Certains critères d’évaluation ont des affinités électives avec le langage des maîtres du monde, et leur utilité sociale et politique − au sens de Pierre Bourdieu − prévaut sur la pertinence épistémologique. Il est évident qu’une évaluation quantitative et formelle se révèle davantage adaptée aux disciplines scientifiques qu’aux humanités. Ce type d’évaluation sera favorisé par le néolibéralisme, puisqu’il invite à une civilisation des mœurs et une conception du monde où tout est numérisé, transformé en marchandise, soumis à la concurrence et à la vitesse. Encore que, nombreux sont les scientifiques qui se plaignent de cette manière de penser la valeur et de censurer leur production. 3

    De la même manière, s’il convient de favoriser le partage et la confrontation internationale des travaux de recherche, il est absurde de le faire sur la base du globish qui est devenu l’esperanto du monde des affaires comme de celui de l’université. L’anglo-américain devient le « cheval de Troie » d’une manière de penser le monde qui se révèle hégémonique et partisane de l’utilitarisme anglo-américain. C’est à chaque communauté scientifique de décider des critères les mieux adaptés à ses objets et à ses méthodes. Face à la globalisation de la recherche, réalisée avec le même logiciel que la globalisation marchande, il faut réhabiliter le local. Local n’est pas un gros mot. C’est le mot du concret, du singulier, de l’histoire et du vivant.

    et la conclusion :

    Il faut abattre les classements type Shanghai comme on a pris la Bastille.

    #Publications_scientifiques #Evaluation #Recherche

    • En attendant, on a osé... :) (mais avec quelques réserves tout de même).

      Les 500 universités les plus importantes au monde - Philippe Rekacewicz et Philippe Rivière - Visionscarto
      https://visionscarto.net/les-500-universites-les-plus-importantes

      Un mot de méthodologie. Dès sa conception, cette carte a suscité une discussion : fondée sur le classement de Shanghaï, elle ne critique pas frontalement cet indicateur mais le reprend comme une « donnée de base ». Mais comme tout classement — qu’on parle de vins, de santé ou d’enseignement — Shanghaï est extrêmement problématique. Peut-on dire d’une université qui ne peut s’enorgueillir ni de Prix Nobel ni de résultats publiés dans les revues scientifiques majeures, mais dispense un enseignement de qualité à des dizaines de milliers d’étudiant·e·s, qu’elle n’est pas « importante » ? De plus, Shanghaï a des effets aberrants. La raison : plus les établissements sont petits, et indépendamment de la qualité de leur production, moins ils ont de chances d’être cotés. On observe donc dans certains pays des regroupements d’établissements qui semblent dictés par le désir de progresser non pas tant dans la qualité de l’enseignement et de la recherche que dans ce classement.

      Cela étant dit, le problème du choix des données est courant en cartographie. La notion même de croissance économique, par exemple, est fondamentalement viciée ; néanmoins, et malgré ses défauts, elle permet de dessiner une carte de la richesse relative des nations. Il nous semble ainsi que, sans accorder trop de crédit aux détails du classement de Shanghaï, les agrégats par pays reflètent un paysage académique mondial fortement inégalitaire, dominé par les États-Unis et l’Europe, où l’Asie progresse à grands pas et où l’ancien bloc de l’Est, puissance académique importante jusqu’à la chute du mur de Berlin, n’est toujours pas parvenu à se reconstruire.

      Un meilleur titre pour cette carte eût certainement été « Les 500 universités les mieux classées par … » Nous conservons cependant le titre sous lequel cette carte a été publiée dans L’État du Monde.