• https://www.le-terrier.net/pccba/inactuel

    voilà, c’est un petit bouquin sorti discrètement cette année qui rassemble des dessins choisis (par les éditeurs) publiés dans CQFD, le Plan B etc, et comme il n’y a pas vraiment d’autre source faciles d’accès à moins d’habiter à Toulouse ou de les croiser sur un salon, je rend commandables la dizaine d’exemplaires dont je dispose à cette page. Le travail éditorial est soigné, la maquette est jolie comme tout.
    Voilà. Autopromo, donc, et racolage sur la voie publique.

    • @rastapopoulos oui, je sais pas trop comment faire, avec ces histoires de paiement... Mais comme je ne peux pas recevoir de chèque (bien que je vive très au-dessous du seuil de pauvreté, les services sociaux me harcèlent pour que je justifie tout mouvement sur mon compte, les dernières inspections interminables pour rien - évidemment - m’ont saoulé), je vois peu d’autres solutions simple. Et dans ce cas, la surveillance automatique des stocks (j’ai huit exemplaires, pas un de plus, en fait, à vendre) m’évite de m’emmêler les pinceaux entre les commandes et les expéditions, de ne pas faire de promesses que je ne peux pas honorer (je suis pas une flèche en gestion).

    • Je sais pas, ya pas moyen de monter un truc du genre boutique.le-terrier.net, et d’être autonome sur les quelques trucs à vendre qu’il y a de temps en temps ? (bon faudra toujours un intermédiaire bancaire vers un compte existant, à toi ou à une amie, hein mais c’est déjà le cas pour paypal de toute façon, sauf que là ça ne serait vraiment que pour la partie paiement, sans avoir à donner aucune autre info que le moyen de paiement à ce tiers)

    • Bah parce qu’il y a des services bancaires de merde et que les banques c’est des vieux arnaqueurs qui fournissent un vieux service de merde compliqué à mettre en place et qui en plus coûte cher, mais pas forcément.

      Par exemple Stripe (qui sont énormes maintenant), c’est hyper transparent : tu payes absolument zéro euros, seulement suivant ce que tu vends, avec des tarifs clairs et toujours pareils.
      https://stripe.com/at/pricing

      1,4 % + 0,25 € pour les cartes européennes.

    • S’il a l’énergie de raconter,

      Non, pas vraiment.

      Au delà de la déconvenue suite au changement des règles du jeu au bout de deux ou trois ans, c’est-à-dire qu’on est passé d’un système où on ne payait un pourcentage de 2% à la banque que si on vendait quelque chose, à un autre système où en plus il fallait débourser un abonnement annuel de deux mille euros et de fait, c’est là que le Fourbi (notre fière petite boutique en ligne) s’est arrêté puisqu’il n’était évidemment pas question de payer une telle somme, surtout au vu de nos ventes, au delà de tout cela donc ce que j’ai retenu de cette expérience c’était qu’elle réclamait surtout de notre part un effort d’implication commerciale (relancer la clientèle potentielle, assurer des mises à jour régulières, en faire la réclame etc...) qui était au delà de nos forces et même en contradiction totale avec nos façons de voir les choses. Bref faire du commerce c’est un métier et ce n’était pas le nôtre.

      Oui, nous avons passé beaucoup de temps à construire ce truc avec l’aide précieuse d’@archiloque, sans qui ... , et je pense que ce n’était pas la plus fameuse de nos coopérations. Tant s’en faut.

      A toute choses malheur est bon sans doute, cela m’a entièrement guéri d’une vocation déjà pas très vaillante à la base de faire commerce. Un autre avantage, je sais désormais de façon certaine que ce n’était pas pour nous et je n’aurai donc pas de regret plus tard en me disant que si j’avais consenti à un tel effort peut-être que ceci ou cela. Nous l’avons fait, nous avons essayé, cela n’a pas fonctionné.

      Pas grave.

    • @philippe_de_jonckheere le fait est que @l_l_de_mars vend régulièrement encore des choses depuis des années, un peu chaque année, et qu’il fait passer les gens par paypal pour ça. Donc au moins pour lui il y a encore le besoin.

      @l_l_de_mars Stripe est uniquement un prestataire de paiement et uniquement ça, rien d’autre. Ça fait pas de gestion des acheteurs, des stocks ou que sais-je, c’est juste la passerelle entre ton site ou appli perso et un compte en banque de ton choix. Tu dois donc absolument avoir un site où tu présentes tes choses à vendre, et surtout où tu récupères les infos des gens. Mais donc c’est TOI qui contrôle ça, et les informations des gens (les miennes en l’occurrence), nom complet, adresses, téléphone, etc, ne vont chez personne d’autres que ton site à toi, en qui on a confiance. C’est quand même un peu mieux question autonomie et privacy. Tu me dis si je ne suis pas clair.

    • S’il a l’énergie de raconter,

      Non, pas vraiment.

      je savais bien qu’il raconterait quand même
      c’était aussi très mal adapté à la vente de petits trucs pas chers, fallait atteindre un certain volume de vente pour que ça vaille le coup. Bref, c’était pas fait pour nous de toute façon.
      Quand au stripe, j’ai beau fouiller leur site, je vois nulle part ce que ça changerait pour moi d’avec Paypal, en fait.

    • @rastapopoulos @philippe_de_jonckheere une appli perso ? Je vois même pas ce que ça peut vouloir dire (appli, ça veut dire que j’ai un portable, c’est ça ? J’ai pas ça, moi) et je sens déjà que je vais devoir rajouter un métier aux douze que j’exerce déjà (notamment celui des mes éditeurs, au moins partiellement, qui branlent pas grand chose pour vendre mes livres, je dois dire), tout ça pour vendre trois livres par an .
      Du coup, je crois que je ne vais pas faire ça, que je vais continuer avec un truc imparfait, et tant pis pour les détails éthiques que je laisse pourrir derrière moi ; je fais de mon mieux ailleurs, sur d’autres points, je n’aurai pas réussi à cocher toutes les cases, à réunir toutes les conditions pour être vraiment à la hauteur d’un autoportrait politique digne. Pardon. Pardon. Pardon.

    • J’ai dit ton site OU appli, puisque j’expliquais Stripe qui s’en fiche d’où ça vient. Mais donc un site web dans ton cas.

      Donc oui faut un site qui va présenter des choses, demander les infos persos aux gens, et ensuite les envoyer payer sur Stripe (ou autre du même genre). Par exemple un site en SPIP, mais ya sûrement plein d’autres logiciels pour gérer les contenus d’un site qui savent utiliser Stripe (c’est juste que moi je connais celui là). Les éditions de la Cerise par ex, ça utilise SPIP + Stripe.

    • @rastapopoulos c’est cool pour la Cerise, mais ils sont éditeurs, c’est leur boulot, ils en vivent, ils sont deux à plein temps à bosser dans leur local. En gros, ils peuvent investir leur temps là-dedans s’ils le souhaitent, ça a du sens dans l’économie générale de leur existence, quand moi, je suis un type dans sa cave, qui travaille sur ses planches et le reste de son travail artistique entre 12 et 14h par jour, et qui soustrait de ce temps de travail là toutes les petites conneries annexes. Autant te dire que chaque minute de ma vie est rationnée au mieux pour faire le moins de choses sans intérêt possible - notamment quand il s’agit d’argent, question sur laquelle je me penche au maximum un quart d’heure par semaine si j’y suis contraint - dès je peux l’éviter (dans un savant mélange d’adéquation à mon moi idéal et de cette négociation éthique qui en écorche légèrement le beau projet).
      Il faudrait vraiment quelque chose de très très très stimulant pour que je trouve, tout simplement, du désir disponible pour faire ça (toute transaction pour moi, s’il s’agit d’argent, doit être tenue le plus loin possible de la notion d’investissement charnel ; autant te dire que s’il me fallait le moindre effort réel à faire pour en gagner, je renoncerais dix fois plus vite à l’argent qu’à mon temps de repos psychique.)

    • Oui oui, je comprends parfaitement. Mais au moins tu sais que c’est possible un peu plus facilement qu’à l’époque précédemment évoquée, si jamais quelqu’un (archiloque ou autre d’ici) est un jour intéressé pour vous aider à mettre en place ce genre d’outil plus autonome et plus respectueux de la vie privée des autres (ça ne me plait pas vraiment de dire tout haut aux big data que j’achète un livre de dessins de cqfd et tutti quanti avec mon nom complet et coordonnées, et je ne dois pas être le seul, ni par ici, ni dans ton lectorat en général).

    • Avec @visionscarto on teste Gumroad, un site orienté vers les créateurs indépendants, et qui semble bien le faire avec honnêteté.
      https://gumroad.com/visionscarto

      Il y a deux types de comptes : l’un gratuit avec un pourcentage un peu plus élevé pour gumroad, l’autre payant, qui offre quelques services en plus comme la mailing-liste.

      Les trucs horriblement chiants sont pris en charge par gumroad (la banque, les cartes, la TVA, les réglementations), et tu peux le brancher sur ton site ou juste travailler ton « catalogue » sur le leur.

      J’aurais plutôt tendance à recommander, mais vu le chiffre d’affaires réalisé jusqu’ici (3 ventes…) je n’ai pas un recul formidable.

    • Mais pour Gumroad, nous n’avons pas encore déployé toute notre force de vente et de promotion :) Et nous n’avons pas encore mis en dispo toutes les publications possibles. Il faudra voir avec un catalogue étoffé et une vraie « campagne » d’info pour faire savoir que ça existe (je n’aime pas trop ça mais c’est sans doute un passage obligatoire).

  • Film typique de procrastination ; comme je me sens incapable de monter la tonne de rushes importants (crois-je, ce qui est infiniment discutable, évidemment) qui m’attendent, alors je filme et monte n’importe quelle merde selon la méthode Benchley * J’ai même réussi à laisser des coquilles dans les sous titres...

    et ça donne ça :
    https://www.youtube.com/watch?v=-Bm8x4-6dGg


    De la cuisine, donc, en attendant la mort.

    *https://www.le-terrier.net/benchley
    plus particulièrement https://www.le-terrier.net/benchley/mp3/remarquable.mp3

    )

    #cuisine #apocalypse #vidéo #documentaire #copyleft

  • RECIT. « Personne n’a compris quoi que ce soit » : comment Tim Berners-Lee a créé le web il y a 30 ans
    https://www.francetvinfo.fr/internet/recit-personne-na-compris-quoi-que-ce-soit-comment-tim-berners-lee-a-cr

    Super article, avec des insights que je ne connaissais même pas !

    En tout cas, c’est clair, avec cette histoire, il devrait y avoir moyen de fêter les 30 ans du web tous les jours pendant quatre ou cinq ans...

    « Il m’arrivait d’avoir 50 comptes ouverts sur différents logiciels et sur différents ordinateurs pour échanger des données avec des collègues. » L’ingénieur français François Flückiger, qui a fait sa carrière au Centre européen pour la recherche nucléaire (Cern), a encore des sueurs quand il se souvient des difficultés à partager des informations avant la création du web, qui fête ses 30 ans mardi 12 mars.

    A la fin des années 1980, il fait partie de la poignée de scientifiques à être sur internet. Le Cern est connecté au réseau dès 1988. Cette année-là, le campus suisse situé entre le lac Léman et le massif du Jura est en pleine effervescence. Un immense chantier touche à sa fin : les équipes composées de scientifiques du monde entier ont enfin relié les 27 km de tunnel du grand collisionneur électron-positron (LEP), l’accélérateur de particules qui a précédé le LHC.
    De la difficulté d’échanger des données

    Pour avancer, cette communauté de chercheurs dispersée aux quatre coins de la planète a besoin de partager une immense masse de données disparates. « Les physiciens doivent échanger tous les documents de travail qui permettent aux collaborations de fonctionner. Ce sont les notes de réunion, les articles écrits en commun, mais surtout les documents de conception et de réalisation des détecteurs » du LEP, explique François Flückiger, alors chargé des réseaux externes au Cern.

    Mais les échanges sont lents et fastidieux. Avant chaque action, les utilisateurs doivent s’identifier. Puis, pour que les échanges aient eu lieu entre deux machines, un premier ordinateur doit en appeler un autre et ce dernier doit rappeler son homologue. « Partager de l’information, à l’époque, c’était compliqué et ça marchait mal », résume François Flückiger, évoquant la « tyrannie des logins » et la « guerre des protocoles ».

    C’était extrêmement complexe d’utiliser internet. C’était infernal.François Flückigerà franceinfo

    Aujourd’hui, dans le langage courant, les termes « internet » et « web » sont devenus interchangeables. Mais il convient de les distinguer. Internet, qui est né dans les années 1970, est, en résumé, l’infrastructure qui permet d’interconnecter des ordinateurs et des objets. Le web, lui, n’est que l’une des applications qui utilisent ce réseau, comme, entre autres, la messagerie électronique, la téléphonie ou la vidéophonie.

    Et avant l’arrivée du web, l’utilisation d’internet relève du parcours du combattant. Face à ces difficultés, des membres du Cern cherchent des solutions. Parmi eux se trouve Tim Berners-Lee. Ce Britannique, physicien de formation et autodidacte en informatique, fait partie d’une équipe qui déploie la technologie Remote Protocol Control, permettant d’appeler depuis son ordinateur des programmes se trouvant sur d’autres machines.
    Au commencement était un schéma

    Il n’y a pas eu de « moment Eureka », comme le raconte la légende concernant Isaac Newton sous son pommier, répète souvent Tim Berners-Lee. Mais à la fin de l’année 1988, le physicien de 34 ans fait part à son supérieur, Mike Sendall, de sa réflexion sur l’amélioration du partage de données. Il lui parle d’un système fondé sur internet et l’hypertexte, autrement dit les liens tels que nous les connaissons toujours aujourd’hui (comme ce lien qui renvoie vers les mémoires de Tim Berners-Lee). En réalité, le Britannique lui propose une version améliorée d’Enquire, un système qu’il avait mis au point quelques années auparavant. Ce système, lui aussi fondé sur l’hypertexte, liait les noms des chercheurs à leurs thèmes de travail.

    Mike Sendall lui demande de rédiger une note à ce sujet. Tim Berners-Lee la lui remet le 12 mars 1989. Le document de 16 pages, disponible sur le site du Cern (PDF), est sobrement intitulé « gestion de l’information : une proposition ». Il montre un schéma buissonnant avec des ronds, des rectangles et des nuages, tous reliés par des flèches. L’idée est de lier entre eux des documents variés du Cern qui, à l’origine, n’ont rien à voir entre eux. « Vague but exciting » ("vague mais excitant"), écrit laconiquement Mike Sendall en haut de la première page de ce document, aujourd’hui considéré comme l’acte fondateur du web.

    Aperçu de la note de Tim Berners-Lee déposée en mars 1989, présentant le principe du web, avec le commentaire écrit de son supérieur Mike Sendall \"vague but exciting...\"
    Aperçu de la note de Tim Berners-Lee déposée en mars 1989, présentant le principe du web, avec le commentaire écrit de son supérieur Mike Sendall « vague but exciting... » (CERN)

    « En 1989, je peux vous assurer que personne n’a compris quoi que ce soit », affirme François Flückiger, qui travaillait dans le même bâtiment que Tim Berners-Lee, à un étage de différence. Et d’insister : "Mike Sendall a écrit ça ["vague but exciting"] mais c’était vraiment incompréhensible." « Je ne pense pas que quelqu’un ait dit que c’était fou », commente dans le documentaire The Web, Past and Future Peggie Rimmer, l’une des supérieures de Tim Berners-Lee.

    Vous devez d’abord comprendre quelque chose avant que vous puissiez dire que c’est fou. Nous n’avons jamais atteint ce point.Peggie Rimmerdans « The Web, Past and Future »

    Aussi incompréhensible soit-elle, cette proposition n’est pas totalement isolée. La même année, sur le même campus, à un kilomètre d’écart, Robert Cailliau a une intuition proche de celle de Tim Berners-Lee. « J’ai écrit une proposition pour étudier les hypertextes par les réseaux du Cern parce que je voyais beaucoup de physiciens qui transportaient des disquettes ou les envoyaient les uns aux autres alors qu’en fait il y avait un réseau », a-t-il expliqué en 2016 lors d’une conférence donnée à l’université de Fribourg (Suisse).

    Mais le Belge met rapidement de côté son projet et se joint au Britannique. Selon ses explications, la proposition de Tim Berners-Lee, « fondée sur internet », « était beaucoup plus ouverte, beaucoup plus utilisable ». Si Tim Berners-Lee fait un premier converti, ses supérieurs l’ignorent poliment. Ils ne peuvent lui allouer de moyens : son idée concerne d’abord l’informatique et non la physique, l’objet premier du Cern. Cela n’empêche pas son supérieur de l’encourager passivement en le laissant faire sur son temps libre.
    Un puissant ordinateur et un nom temporaire

    Le tandem britannico-belge se met au travail. Le Britannique se penche sur l’aspect technique, tandis que le Belge, présent au Cern depuis longtemps, fait marcher ses réseaux et joue les évangélistes au sein de l’institution. « Il a beaucoup œuvré à formuler la pensée de Tim Berners-Lee avec des mots simples et compréhensibles par d’autres communautés », explique Fabien Gandon, directeur de recherches en informatique à l’Inria, qui connaît Tim Berners-Lee. Selon François Flückiger, Robert Cailliau est un « excellent communicant » contrairement à Tim Berners-Lee qui, à l’époque, est plutôt perçu comme un « professeur Tournesol ». Pour lui, l’apport de Robert Cailliau est crucial.

    Robert Cailliau n’est pas le co-inventeur du web, comme cela a pu être écrit, mais il n’y aurait pas eu de web sans lui.François Flückigerà franceinfo

    Au début de l’année 1990, un ordinateur NeXT – la marque fraîchement lancée par Steve Jobs – arrive au Cern. Tim Berners-Lee, impressionné, demande à son supérieur la possibilité d’en acquérir un. Cet outil, particulièrement puissant pour l’époque, est idéal pour développer son projet. Mike Sendall valide : il justifie cet achat en expliquant que Tim Berners-Lee va explorer les éventuelles utilisations de cet ordinateur pour l’exploitation du LEP.

    Tim Berners-Lee et Robert Cailliau posent avec l\’ordinateur NeXT sur lequel le Britannique a codé les premiers outils du web, à Genève (Suisse), le 13 mars 2009.
    Tim Berners-Lee et Robert Cailliau posent avec l’ordinateur NeXT sur lequel le Britannique a codé les premiers outils du web, à Genève (Suisse), le 13 mars 2009. (MARTIAL TREZZINI/AP/SIPA)

    En attendant que l’ordinateur arrive, la réflexion de Tim Berners-Lee progresse. En mai 1990, il fait une seconde proposition (PDF) et y évoque le vocable de « mesh » ("filet") pour désigner son idée. Le même mois, en compagnie de Robert Cailliau, il se penche sérieusement sur le nom du projet. Le Belge raconte dans une note (en anglais) vouloir écarter d’emblée les références à des dieux grecs ou à la mythologie égyptienne, une habitude à la mode chez les scientifiques. « J’ai regardé dans la mythologie nordique mais je n’ai rien trouvé qui convenait », précise-t-il auprès du New York Times (en anglais) en 2010.

    Tim Berners-Lee, lui, a plusieurs pistes. Il pense donc à « mesh » mais l’écarte rapidement car il trouve que la sonorité ressemble trop à « mess » ("bazar"). La possibilité de l’appeler « Mine of information » traverse également son esprit mais il trouve que l’acronyme MOI est trop égocentrique. Même réflexion pour « The information machine » dont l’acronyme TIM résonnerait comme une autocélébration. Le Britannique affectionne également « World Wide Web » ("la toile d’araignée mondiale"). Ses collègues sont sceptiques. Ils soulignent que l’acronyme « www » est long à prononcer en anglais : « double-u, double-u, double-u ».

    Dans ses mémoires, Tim Berners-Lee précise que pour Robert Cailliau, qui parle flamand, et comme pour ceux qui parlent des langues scandinaves, « www » se prononce simplement « weh, weh, weh ». « World Wide Web » finit par figurer sur la proposition commune des deux hommes déposée le 12 novembre 1990 (PDF). Mais il ne s’agit, pensent-ils, que d’une solution temporaire.
    Il ne fallait surtout pas éteindre le premier serveur

    Entre temps, l’ordinateur NeXT a fini par être livré, en septembre 1990. De quoi ravir Tim Berners-Lee, se souvient Ben Segal, le mentor du Britannique. « Il m’a dit : ’Ben, Ben, c’est arrivé, viens voir !’ Je suis allé dans son bureau et j’ai vu ce cube noir sexy. » Tim Berners-Lee peut enfin donner forme à son projet. Il s’enferme et propose, à quelques jours de Noël, le 20 décembre, la première page web de l’histoire et un navigateur appelé lui-même World Wide Web. Ce premier site, visible à cette adresse, pose l’ambition encyclopédiste du web et affirme que le projet « entend fournir un accès universel à un large univers de documents ». Il propose, entre autres, une présentation, une bibliographie et quelques liens.

    Capture d\’écran de la reproduction du premier site web mis en ligne en décembre 1990 par Tim Berners-Lee.
    Capture d’écran de la reproduction du premier site web mis en ligne en décembre 1990 par Tim Berners-Lee. (CERN)

    L’ensemble tient grâce aux trouvailles imaginées et développées par le Britannique : le protocole HTTP (grâce auquel des machines peuvent échanger entre elles sans les lourdeurs jusqu’alors nécessaires), la notion d’URL (qui donne une adresse précise à chaque document disponible sur le réseau) et le langage HTML (langage informatique qui permet d’écrire et de mettre en forme les pages web).

    Si le protocole HTTP et le langage HTML marchent si bien ensemble, c’est parce qu’ils proviennent d’un seul et même cerveau.François Flückigerà franceinfo

    Le fameux ordinateur NeXT de Tim Berners-Lee sert de serveur à ce web embryonnaire. Autrement dit : sans lui, pas de web. Pour que personne ne l’éteigne par mégarde, il colle dessus une étiquette et écrit en rouge « Cette machine est un serveur. NE PAS ÉTEINDRE !! »
    Le web tisse sa toile

    Dix-huit mois après la première proposition, la donne change totalement. François Flückiger le concède sans détour : ce n’est qu’à partir de cette première mise en ligne qu’il est convaincu par l’innovation de Tim Berners-Lee, anticipant au moins un succès au sein de la communauté scientifique. Le projet séduit également le Français Jean-François Groff. Ce jeune ingénieur en télécom de 22 ans vient de débarquer au Cern, dans le cadre de son service civil, « pour travailler sur l’acquisition de données ». « Tim Berners-Lee était un voisin de bureau et c’est un collègue qui nous a présentés assez vite à mon arrivée », raconte-t-il. Aussitôt, c’est l’entente parfaite. « J’avais la culture nécessaire pour comprendre ce qu’il faisait. Et étant exposé au succès du minitel en France, j’ai tout de suite saisi la portée que pourrait avoir son sytème », ajoute-t-il.

    Le jeune Français fait rapidement part de ses idées à celui qui travaille alors seul au développement du projet. Pour lui, le système doit tourner sur tout type de plateforme. « Tim était d’accord. Mais il nous fallait un peu de temps et de ressources pour transférer ce prototype », relate Jean-François Groff. Ce dernier se met alors à travailler « en sous-marin » avec Tim Berners-Lee pour « écrire une librairie de logiciels ». Au cœur de l’hiver, il ne compte pas les heures supplémentaires à coder en écoutant à la radio les dernières nouvelles de la guerre du Golfe.

    Souvent, je terminais vers 17 ou 18 heures ma journée normale. Je rentrais chez moi, je mangeais et je rejoignais Tim à 21 heures jusqu’à 2 ou 3 heures du matin.Jean-François Groffà franceinfo

    Avec le travail accumulé, l’ouverture s’accélère. En mars, le logiciel est mis à disposition à des collègues sur des ordinateurs du Cern. A la même période, Jean-François Groff bascule, de façon non officielle, à plein temps avec Tim Berners-Lee.

    Le 6 août, le Britannique fait part de son innovation à l’extérieur du Cern. Il partage sur un groupe de discussion un texte présentant les grandes lignes de son projet. « Nous sommes très intéressés par le fait de propager le web dans d’autres endroits. (...) Les collaborateurs sont les bienvenus », écrit-il. C’est avec cette annonce que le web commence à intéresser du monde, à tisser sa toile sur d’autres campus et à se répandre sur la planète. Le début d’une révolution historique qui connaît un coup d’accélérateur déterminant lorsque le Cern verse le web dans le domaine public en avril 1993.

    Mais aujourd’hui Tim Berners-Lee se dit « dévasté » par ce qu’est devenu le web. Il regrette la toute puissance d’une poignée de géants comme Google, Amazon ou encore Facebook, et déplore l’utilisation qui est faite des données des utilisateurs. Le Britannique, qui a été anobli en 2004, milite désormais pour un web décentralisé. Avec son nouveau système baptisé Solid (en anglais), il souhaite que les internautes « reprennent le pouvoir » sur leurs données personnelles. « Il n’y aura plus de streaming reposant uniquement sur la publicité, a-t-il anticipé lors d’une conférence, en octobre 2018. Du point de vue des développeurs, leur seule préoccupation sera de construire des services utiles pour les utilisateurs. » Une ambition qui renverse en grande partie le modèle économique du web actuel, et renoue avec l’idéal des débuts.

    #Histoire_numérique #Web #Tim_Berners_Lee

    • MESH !!! C’est aussi le nom qui avait été donné à une application géniale qui transformait ton smartphone en talkie-walkie. J’en attendais beaucoup mais ça n’a jamais pris et j’ai jamais compris pourquoi. J’ai voulu le re-tester récemment et j’ai vu que l’application demandait l’autorisation d’accéder à un paquet de données, je sais plus trop quoi en penser... Bref, là n’est pas le sujet : #merci @hlc pour cette super trouvaille qui ne nous rajeuni pas !

    • y a pas à dire, ça ne nous rajeunit pas tout ça. Mais dites-moi, vous autres, ça fait combien de temps que vous êtes accro à Internet ? Moi perso, ma première connexion (en RTC puisque habitant dans un bled d’à peine 200 habitants) remonte à 2002. J’avais 45 ans. Mon premier PC ? Acheté en 1999 (4,3 Go de disque dur, 64 Mo de RAM, processeur AMD K6-2 cadencé à 350 Mhz). On commençait à parler de Google qui se définissait comme un « méta-moteur » (de recherche) et certains se la pétaient en prétendant pouvoir télécharger des trucs copyrightés sur Napster. Les gosses utilisaient eMule et ça prenait plusieurs jours pour télécharger un film (56 kbps oblige). J’arrivais même pas à visionner des vidéos sur Youtube. Le FAI que j’avais choisi : Free, car assez compétitif sur les offres bas-débit (15 €/mois pour 50 h de connexion). Après, 4 ans plus tard, quand l’ADSL est arrivé jusque chez moi, je suis passé obligatoirement chez Orange vu que l’opérateur « historique » n’avait pas encore ouvert ses tuyaux à la concurrence pour les bouseux.
      Et sinon, je naviguais avec Internet Explorer (navigateur par défaut installé sur Windows 98). Quelques années plus tard je suis passé à Firefox en commandant un CD-ROM d’installation avec le manuel utilisateur (en anglais) arrivé dans une belle pochette tout droit des États-Unis. J’avais pas dû comprendre assez rapidement qu’on pouvait l’avoir gratos en le téléchargeant en ligne mais vu le débit que j’avais sur ma connexion RTC, je me dis que j’ai pu gagner du temps en soutenant financièrement la Mozilla Foundation ...

    • Ah, c’est beau d’être jeune... Ma première navigation sur le web, c’était en 93, sur un terminal VT 220 (caractères oranges sur fond noir, 25 lignes de 80 colonnes). Les liens étaient en surbrillance, entre crochet avec des numéros... et il fallait faire « escape + le numéro » pour suivre le lien. Comme dans Lynx quoi ;-) Le modem à 9600 bauds était un champion de course par rapport au modem à 300 bauds et écouteurs sur lesquels on plantait le téléphone pour la porteuse qui fut ma première connexion (transpac, hein, pas internet... en 1984, fallait vraiment être un geek comme @Bortzmeyer pour avoir un accès internet...)

    • Ma première page web (en mode local, je n’avais pas de serveur) était en 94. Je devais faire une présentation à une conférence. J’avais insisté pour avoir un vidéoprojecteur. A l’époque, c’était des machines énormes, 1,5m de long !!! Mais les gens étaient enthousiastes : depuis des heures les bavards parlaient de l’internet, mais dans la salle personne n’avait jamais rien vu... alors autant dire que ma démo a soulevé les foules.
      Evidemment, c’était une copie locale de chose existant sur le web... mais c’est la magie du spectacle : faire croire qu’on est en direct live alors qu’on fait du playback.
      Bon, la fin de l’histoire, c’est que ça a tellement plu qu’on m’a invité à une conférence à Moscou en 94. Valab !
      Faut dire aussi que tout avait failli mal tourner : le disque dur externe de 10Mo (oui Mega) sur lequel j’avais préparé ma démo est tombé de mon bureau la veille... tout éclaté. J’ai couru dans le labo d’informatique pour faire ressouder... et quand je suis arrivé, les techniciens n’avaient pas vraiment envie de toucher à ça. J’ai fait la soudure moi même. Et hop, c’est reparti !!!

    • en 91, pendant l’organisation d’un festival d’art contemporain avec quelques amis ( https://www.le-terrier.net/albums/acte_festival/index.htm ), nos recherches de jeunes artistes dans les écoles d’art et ailleurs nous avaient conduit au départ de notre périple à rencontrer, aux beaux arts de Nantes Pierre Giquel et Joachim Pfeufer, qui y enseignaient. On a assisté pendant notre séjour à une drôle d’expérience qui les tenaient en haleine depuis pas mal de temps (je ne sais pas si c’était lié ou non au projet Poïpoïdrome ou pas, je crois que oui, faudrait leur demander) : tenter d’échanger entre trois pôles géographiques très éloignés (mes souvenirs me disent Japon et USA, mais hmmm...) des images (façon de parler) simultanément.
      Je trouvais si disproportionnés les efforts techniques mis en place et le résultat, que je ne voyais pas du tout l’intérêt de ce bordel, et moins encore artistiquement.
      Cinq ans après, la toute première version du Terrier apparaissait sur Mygale et me tenait éveillé des nuits entières à bricoler des pages HTML et je considérais que j’étais en train de vivre l’aventure artistique la plus excitante depuis l’invention de la video.

    • Ben non j’étais aux Arts Déco, sur la date je suis à peu près sûr que c’était en deuxième année, donc 87-88. Le cours d’histoire de l’art de Don Foresta. Ou alors en vidéo. Puisqu’il donnait des cours de vidéo aussi, certains auxquels j’ai assisté quand bien même je n’étais pas en vidéo. Il faudrait que je demande à une amie qui y était aussi et avec laquelle je suis encore en contact.

      En tout cas je suis sûr que ce n’était pas aux États-Unis, où je n’ai jamais entendu parler de connexion pendant les trois ans où j’y ai étudié (88-91).

      Et je suis sûr que ce n’était pas au Japon où de fait je ne suis jamais allé.

    • Et sinon j’ai le souvenir de connexion entre des postes connectés des deux côtés de l’Atlantique entre Paris et les Etats-Unis dans une école de photographie où j’ai accompagné Robert Heinecken qui y donnait un stage. Il y avait une sorte de partage d’écrans à distance, mais cela ne fonctionnait pas bien du tout. L’école en question était rue Jules Vallès à Paris et ça c’était en 1991 ou 1992.

    • Première connexion en 1992, j’étais en DEA au Canada (Guelph), mais je n’avais qu’un seul correspondant, un copain qui faisait sa thèse à Orsay.

      Retour à Paris, à Jussieu, je demande à créer un nom de domaine pour mon labo, mais je suis le seul à l’utiliser, les autres ne comprenant pas à quoi ça peut servir. Mes correspondants ne sont encore que des copains scientifiques étudiant dans des universités.

      Je crois qu’il faut attendre 1995, mon post-doc aux USA, pour que je commence à avoir des correspondants qui ne sont pas des scientifiques. A l’époque mes mails sont en fichier texte et j’archive tout. Jusqu’en 2005, une année de mail « pèse » à peine 10 Mo...

    • Alors ça ! Je suis impressionnée par les croisements de liens que contiennent ces commentaires. Je sais pas par où commencer, donc autant le faire chronologiquement :

      – en 1987/88 j’ai eut un prof de math, remplaçant, très jeune, et tellement passionné qu’il a réussi en quelques semaines à élever le niveau de la classe de premières littéraires dont je faisais partie. Je me rappelle particulièrement de son cours où il nous avait expliqué et fait découvrir sa passion : ce truc qui s’appelait ordinateur et faisait plein de trucs à partir du 0 et du 1 ! Je revois très bien ce machin, bizarre, cette sorte de télé sans image. Je me rappelle m’être dit que c’était complètement loufoque de tout « coder » en 0 et 1 et que c’était assez surréaliste pour me plaire...

      – je me rappelle quelques années plus tard, 1992/93, de l’émulation et de l’électricité qui régnait dans le sous-sol de l’école des Beaux-Arts de Nantes autour de Joachim Pfeufer et des quelques écrans, toujours squattés, que je n’avais jamais vraiment pu approcher. Du coup j’avais feint le dédain, mais surtout, c’était l’autre labo, celui de photo, qui m’attirait. (Bon en fait j’ai fini par m’embrouiller avec quasi tous les profs, donc j’ai pas gardé de supers souvenirs de cette seule année passée dans ce lieu qui m’avait tant fait rêver pendant toute ma scolarité...)

      #mon_premier_ordinateur_à_moi, avec accès immédiat à internet puisque c’est pour ça que je l’avais acheté, ça a été quelques années plus tard, mais j’arrive plus à me rappeler précisément, je dirai 1998 ou 99. Je l’avais pris en leasing chez Ooreka et ... ça a bouleversé ma vie, ça m’a permis d’apprendre, de comprendre, de travailler... à tel point que lorsque mon appartement a été incendié en 2000, c’est une des premières choses que j’ai voulu récupérer (après mes négatifs et mon appareil photo, bien sûr !)

      Je vois que nulle part n’est mentionné le #minitel, mais pour moi il fait partie de l’histoire, un peu, aussi ;)

    • @val_k oui, le minitel a pas mal pris de place également dans l’histoire pour moi également ; j’ai pu y découvrir toute la fécondité de l’hétéronymie : un ami avait monté un serveur en 88, à Rennes, qu’il avait appelé Factel. J’y passais des nuits entières à composer des textes/images, sous divers hétéronymes, que je postais sur le forum, tirant des réponses des autres connectés la matière pour les réalisations suivantes ; j’ai quelque part dans mon bordel des pages imprimées sur une matricielle à aiguilles, sans doute très délavées, de ces espèces de calligrammes électroniques. Tout ça a été la matière première de ce qui allait devenir dans les newsgroups (frap, essentiellement) les newsgroup-poems de Olivier Wattez.
      celui-là jouait avec le tempo des expéditions (comme pas mal de gens causaient sur frap, des messages hétérogènes pouvaient s’insérer à tout moment dans une tentative de filer des messages)

      https://www.le-terrier.net/lestextes/wattez/wattezpoemes/pli/pli.htm

      celui ci sur les imbrications de messages produisant des changements de sens

      https://www.le-terrier.net/web_art/heraclite/heraclite.htm

      celui-ci sur les limites de l’ascii imposées par les contraintes de cadre formel des newsgroup

      https://www.le-terrier.net/web_art/menines/01/index.htm

  • Il y a quelques mois, une conversation sur Seenthis a conduit les participants au fil à s’échanger ce qu’ils pensaient être les bonnes suggestions de lectures de bandes dessinées, les trucs à ne pas rater, les livres d’exception.
    Cette conversation, en me propulsant d’une certaine manière trente ans en arrière, m’a attristé à un point difficilement descriptible (un peu comme si une conversation à vingt sur la musique avait conduit à réécrire le palmarès hebdomadaire de nrj).
    Ne sachant même pas par où commencer une réponse ici, j’ai décidé de me désinscrire de Seenthis, pensant que je n’avais sans doute pas grand-chose à y faire : puissant et nécessaire organe de construction politique, Seenthis m’apparaissait comme un échec culturel total, au moins dans le champ disciplinaire auquel je consacre ma vie, celui de la bande dessinée.
    Après avoir quitté les lieux pendant tout ce temps, j’ai vaqué à mes occupations, dessiné beaucoup, écrit copieusement sur les bandes dessinées (je vous en causerai peut-être), et oublié seenthis.
    Et puis j’ai décidé de revenir en commençant simplement par publier des articles que j’ai écrit pour Pré Carré , que la plupart d’entre vous ne connaissent pas, et qui pas à pas vont dessiner les contours politiques, éthiques, artistiques, d’une position, de ma position. C’est à partir de ces publications que quelque chose, pour moi, pourra commencer à être échangé sur les bandes dessinées si le cœur vous en disait. C’est la solution que j’ai trouvée pour que, d’une manière ou d’une autre, ma présence ici continue à avoir du sens. Je commence donc par l’article ci-dessous, publié dans le Pré Carré 12, qui répond très directement à la quasi totalité des suggestions de lecture et des raisons qui les motivaient, quand il fut question sur Seenthis de constituer une bibliothèque de bd :

    " La création d’une collection au Lombard appelée Petite bédéthèque des savoirs entérine un changement de paradigme du mépris pour la bande dessinée tel qu’il s’amorce déjà depuis quelques années par la multiplication de publications pédagogisantes ou documentarisantes.
    Que quelques humiliés de classe culturelle s’imaginent, et avancent, qu’on sauve la bande dessinée du regard condescendant porté sur elle par la pédagogie, par les grands sujets historiques ou sociaux, ceci ne fait qu’exposer la parfaite nullité de leur regard sur notre discipline et sa puissance propre : il y a mille fois plus à apprendre dans deux pages de Bertoyas, de Bicéphale ou de Musturi, PAR la bande elle-même comme pratique du monde sur lui, que dans l’intégralité des pensums thésards qui rougissent de fierté d’aborder des grandes questions .
    Moyens archaïques de narration, placés, toujours, dix crans au-dessous de tout plan de recherche, ils en sont le reflet timoré, désuet et lourd à l’encre, ce qui est tout-à fait, hélas logique, puisque les bandes sont invitées à l’illustrer et non à en être le cadre expérimental ou déictique.
    Ce rapport instrumentalisant aux bandes est hanté par l’objet , le faisant déborder toute la sphère discursive. Faye et bien d’autres ont pu dire dans les années 70 qu’un tel rapport à la forme atteignait vite cette aporie : il n’y aurait de roman plus moderne que de science-fiction... Mais c’est qu’on pouvait être soucieux de ce qu’une forme prise pouvait faire et changer du monde, probablement parce qu’on n’y méprisait pas le fait même d’écrire .
    Il faudrait être fou, pense-t-on à juste titre, pour consacrer sa vie à une pratique dont on a honte. Et pourtant, nos publieurs de bande dessinée la méprisent plus encore que ceux auxquels leur mode de réévaluation est censé répondre. S’il s’appliquait au cinéma, ce principe éditorial reviendrait à sanctifier le journal de vingt heures en exigeant de Kerrigan, de Maddin ou d’Ishii un bon sujet ancré . Mais c’est exactement sur des valeurs inverses que s’est bâtie l’histoire du cinéma, et c’est devant Fellini ou Tarkovski que les documentaristes ont eu tant de peine à exister ; c’est seulement parce qu’ils accordent un supplément de puissance à leur discipline que Epstein, Franju, Le Tacon, Massart, Ruiz, Pelechian, ou Lucien Castaing-Taylor et Verena Paravel apparaissent là où les autres documentaristes sont minorés.
    S’imaginer qu’on sauve (comme si elles devaient l’être) les bandes par l’Histoire, le social, la pédagogie, « les grands sujets », c’est croire que ce qui sauve la peinture du XXe siècle c’est le réalisme socialiste ou que le meilleur de la littérature du XXe, c’est Maurice Druon.

    Il y aurait là un vaste sujet possible de travail sur les malentendus entretenus par les acteurs de notre scène eux-mêmes, encore plus bêtes, bornés, aveugles à la beauté et à la force de la bande dessinée que ceux qui n’en lisent pas. Il suffit de se souvenir avec quels livres, les brandissant comme des emblèmes de leur jugement, s’est photographiée une ribambelle d’auteurs blessés dans je ne sais quelle représentation de leur amour-propre pour répondre à Finkielkraut  ; celui-ci ne leur en demandait pas tant quand il cracha publiquement ce jour-là sur une de ces milles petites choses dont il ignore tout, la bande dessinée. Nous avons eu le droit dans ces selfies vengeurs à tout ce qu’on pourrait imaginer de plus convenu comme petite bédéthèque des savoirs avant l’heure, inventaire mou, centriste, prof, cucul, honorable et diplômé, de bandes dessinées censément exemplaires.

    Pour défaire l’affirmation de la merdicité de la peinture et de son manque d’ampleur, vous gifleriez votre adversaire avec Bouguereau ou avec Sigmar Polke ? Vous hésiteriez une demi-seconde ? Et pourtant, ce jour-là, tous nos auteurs avaient sorti leur Bouguereau pour convaincre de la noblesse des beaux sujets. Sans doute parce qu’ils ignorent eux-mêmes l’existence, dans les bandes, de nos Polke.
    –--------
    références : Une bd pour Finkie :
    https://www.actualitte.com/article/bd-manga-comics/une-bd-pour-finkie-fluide-glacial-refait-l-039-education-du-philosophe/49036

    la sinistre PBS : http://www.lelombard.com/bdtk

    aimer, traquer, trouver : https://www.du9.org/dossier/angouleme-2019

    il y a dix ans : https://www.le-terrier.net/bibliographie

    #bande_dessinée #culture #petite_bourgeoisie_de_la_gauche_culturelle

    • Seenthis m’apparaissait comme un échec culturel total, au moins dans le champ disciplinaire auquel je consacre ma vie, celui de la bande dessinée.

      Ça c’est du « statement » comme on dit à l’ONU. Fichtre !

      Alors bonne arrivée [à nouveau] comme on dit à Ouaga (mais aussi à Bobo-Dioulasso), je me réjouis de te relire en espérant ne pas être - par mes choix culturels souvent très ringards, je reconnais à l’aise - à l’origine de ton prochain re-départ.

      J’espère aussi que tu sauras profiter de la belle et puissante intelligence collective qui sévit en ces lieux pour les thématiques qui ne te sont pas familières.

    • Et donc faisons des liens pour contextualiser :
      https://seenthis.net/messages/739053

      Pour continuer l’analogie, je ne mettrais pas toute cette liste sur NRJ : clairement certaines seraient plutôt sur FIP ou France Culture. Ce qu’on peut parfois critiquer aussi bien sûr, mais pour d’autres raisons que NRJ.
      Et en ce qui me concerne, je ne passe pas ma vie à écouter uniquement que de la musique bruitiste, expérimentale. Ça m’arrive quand même plus souvent d’écouter Mingus, Erykah Badu, Anouar Brahem ou pas mal de rap. Ce sont des choix de vie…

      Et allons plus en détail : certaines comme pour Fred et quelques autres, sont dans votre propre bibliographie du Terrier !
      https://www.le-terrier.net/bibliographie/fred.htm

      Alors il y a un peu de mauvaise foi dans le lot. :)
      (Et un peu de mépris aussi, en tout cas lorsque c’est formulé comme ça à l’écrit. Il faudrait en discuter à l’oral en plus.)

      #bande_dessinée #bd

    • @rastapopoulos pour le supposé mépris, on en reparlera dans 30 ans, quand la quasi intégralité des conversations, critiques, commentaires, études, qu’elles soient laudatives ou pas, bienveillantes ou pas, auront perdu ce mépris substantiel pour ma discipline et la façon pateline, ascendante, papamaman, sociocharcutière, de la tenir dans les instruments d’optique culturelle. Tous ceux qui parlent des bandes, à un moment ou à un autre, s’en excusent, parasitent la conversation de paralogismes culturels la subordonnant à autre chose, qu’il s’agisse de son histoire, de sa puissance à produire des mondes, des singularités de ses productions etc.
      Cette inversion tordue de l’axe de la condescendance, par exemple, est supposée m’édifier dans la belle histoire parfaitement hors-sujet de Aude, pur artifice rhétorique de bullshitage traditionnel, conte déconnecté de tout ce que l’article de Pré Carré pouvait dire de spécifique sur une guerre de position, storytelling pas du tout mais alors pas du tout petit-prof-bien-dans-son-éthique, celle de Guillaume Trouillard bossant honnêtement, si sincèrement et avec son bon coeur pour cette saloperie terminale que sont les Cahiers dessinés. Oh le vilain lldemars qui condescend grave. Ah ? Franchement, c’est ça, le sujet ? Je ne ferai même pas semblant de discuter de toutes ces conneries avec quelqu’un d’autre que Guillaume lui-même quand l’occasion se présentera.
      Franchement, on reparlera du mépris et de sa polarité si évidente, si évidemment distribuée, semble-t-il, quand, précisément, des entreprises comme celles des Cahiers dessinés et de la Petite Bédéthèque (mot pathétique, dévoré de refoulement, trahissant le mépris de soi de tous ceux qui font des bandes dessinées sans parvenir à les considérer elles-mêmes comme des livres) cesseront d’incarner un état adulte, accompli, noble, des bandes.
      Je considère que le fond invisible, non-dit, imperceptible à la majorité des intervenants de cette conversation qui m’avait fait fuir ici même, est précisément un mépris qui s’ignore (je n’imagine évidemment pas que tout le monde ici regarde les bds comme une paralittérature gentiment débile, hein, je parle de mouvements de fonds bien plus sournois que ça !) de la bande dessinée dans les plus grandes largeurs. Et c’est bien parce qu’il s’ignore, ce mépris, que ma position était si compliquée, et que je ne voyais même pas comment l’aborder ici (ou ailleurs, mais ici c’était plus douloureux).
      Je doute que la publication de quelques articles aille bousculer grand-chose d’un siècle de malentendus entretenus, mais je veux, par exemple, me rendre la vie possible sur Seenthis en signifiant ce à quoi je ne répondrai plus jamais à propos de bandes dessinées (très notamment les paraboles méritocratiques sur les humbles dessinateurs au service du Bien pour Tous de Aude et ses innombrables semblables ; les demandes de modestie de cette farine accompagnent toute vie de dessinateur de bd du jour où il dessine sa première planche jusqu’à sa mort. Fais pas l’artiste, coco, c’est la bédé, reste à ta place quand même, fais nous des beaux dessins et la ramène pas trop avec tes aspirations supérieures ). Et si au passage j’arrivais à rendre sensibles quelques aspects du traitement général critique paresseux réservé aux bandes, de ce manque constant d’exigences éditoriales et critiques dû à un problème fondamental de considération pour elles, hé bien je serais content.
      Voilà voilà. Bon.
      quand à la biblio du Terrier, elle a dix ans, elle est née dans un certain contexte et l’intro me semble assez claire sur ses objectifs très ciblés (ce qui explique l’absence de choses qui seraient évidentes à un lecteur déjà bien équipé, historiquement notamment). De ça aussi, de la demande elle-même comme de la façon de considérer certaines évidences de la réponse, il faudrait beaucoup dire (de n’importe quelle autre discipline ayant été soumise à la même demande, toute réponse aurait été précédée de mille précautions pour encadrer un minimum le dialogue. La bd, pas besoin, on s’en fout, allez hop, y’a pas besoin. C’est la bd, quoi ! et la bd, c’est la bd !)
      Quand à Nrj, c’est l’incarnation pour moi de l’esprit de palmarès et de tout ce que ça nous dit de rapport au monde, à une société, à l’idée statistique qu’on s’en fait etc. Manque effectivement à cette comparaison la conscience de classe culturelle de France Culture et les dégâts qui en résultent sur l’ouverture aux productions artistiques des marges (celles qui exigent un regard de marge, une attention de marge, pas celles qui sont destinées à pimenter exotiquement la construction culturelle du moment et mobilisent les mêmes outils de mesure que le reste. On se contentera d’y ajouter la petite étiquette « mauvais genres », sans autre soucis de ce que ça pourrait vouloir ne pas dire).

    • Je perçois la colère, la tristesse et la rancoeur. Dommage que cela t’amène à confondre ignorance et mauvaise foi, ou encore connaissance et autorité.
      #on_ne_convainc_pas_les_gens_en_les_engueulant
      Mais je suis content de ce retour vu que tes seens m’ont souvent permis de découvrir des mondes et pensées inconnu.e.s de moi jusqu’alors.

      Suske_qui_lit_tout_2semaines_plus_tard

    • @suske quand je suis en colère, je n’essaie de convaincre de rien d’autre que ma colère. Je pense que je t’en ai bien convaincu.
      Quand à l’ignorance avancée ici, je ne vois pas très bien comment prendre cette hypothèse au sérieux dans un cadre comme celui dont je parle : une série de conseils de lecture. Des conseils, donc. Depuis l’ignorance ? Ok. Cool. Et précisément, à part dans le cas où on ne suppose aucune espèce de connaissance à acquérir parce que le domaine est supposé léger léger léger, quand donne-t-on des conseils depuis l’ignorance ?
      Ce n’est pas avec de la mauvaise foi (notion qui apparait où, d’ailleurs, dans ce que je dis ?) que je confonds (tu le dis) l’ignorance, mais avec une subtile variété chromatique du mépris de classe culturelle dans un cas ou de subordination d’une pratique artistique à des objets supposés supérieurs à elle dans l’autre.
      Je ne fais pas appel à une autorité (inconstituable devant les exigences d’une matière en perpétuel mouvement) mais à une position (stratégique, spéculative, interrogative), à chercher, à constituer.
      Et ce que je dis, donc, c’est qu’une série de textes me permettront pas à pas de présenter la mienne (pas qu’ils établissent un quelconque modèle !). Pas forcément pour convaincre de la rejoindre ou d’y acquiescer. Juste, de la présenter.

    • Tu as raison, « mauvaise foi » était mal choisi. C’était une tournure pour mettre en balance une approche probablement légère avec une approche pointue. Passons à la suite :-). Je découvre ici des pans entiers de vie, d’arts et d’engagements que je ne connais que trop peu. Et je suis souvent assoiffé d’élargir mon cadre de références.

  • deuxième nouvelle de ces jours derniers qui vient consoler un peu la découverte du pillage de mon travail : la sortie de Trou !
    c’est le queerzine de C. de Trogoff et de ses éditions PCCBA
    il est beau comme tout, il parle depuis plein d’horizons corporels psychiques et sexuels
    j’ai deux poèmes dedans (c’est le moment où je me met dans la lumière !)
    il y a un teaser là https://www.le-terrier.net/pccba/index.htm

    #queer #folie #psy #trans #genres #gay #art #fanzine

  • Des BD, des bd, encore des bd

    Comme il est question de bd aujourd’hui sur seenthis, pourriez-vous me recommander des albums ou auteurices que vous estimez. J’en ai lu quelques une bien-sûr mais ma culture bd est très très limitée et comme la médiathèque de chez moi est bien fournie, je devrais pouvoir y trouver des petits trésors. Merci.

  • Pré Carré numéro 12
    https://www.le-terrier.net/concerts/precarre12/index.htm

    Hé bien voilà, c’est déjà le douzième numéro de Pré Carré, notre magazine théorique et critique consacré aux bandes dessinées. Dingue. Quand je pense qu’on se demandait si on atteindrait un jour le troisième !
    La revue vous a habitués aux textes amples, aux feuilletons théoriques, aux développements sans retenue sur tous les sujets qu’elle aborde depuis presque cinq ans.
    Ce douzième numéro est exceptionnellement dédié aux formes courtes, aux écritures brèves, éclats, saillies, fusées, microscopies.
    Il en résulte un numéro nerveux, enlevé, dissonnant, aux sujets hétéroclites et aux angles de vues variés et promeneurs, pour pas moins de 72 livres et sujets abordés.

    Icitte, on voit le truc en train de se faire :

    https://www.youtube.com/watch?v=Fb8Z4hJysv8

    Cette réduction affirmée des textes nous a permis de parler pour une fois de bien plus de livres et de choses passionnantes dans un seul numéro, qui ne suscitaient ou n’exigeaient pas une écriture longue, et surtout de travailler à des formes plus elliptiques ou plus vives, de produire un cadre nouveau pour nous qui devait ouvrir à des formes nouvelles.
    Puisque évidemment plus court ne veut pas dire plus simple, nous avons pu nous attacher à n’écrire que sur un aspect restreint et précis d’un livre choisi, ou bien chercher à tout en dire tout en un minimum de lignes, le but étant de libérer des formes d’écriture qui n’avaient pas eu encore de place dans la revue.
    vous en saurez plus sur tout ça, trouver un extrait de 10 pages en pdf, et vous pourrez commander notre dernier numéro ici :

    https://www.le-terrier.net/concerts/precarre12/index.htm

    Ajoutons ceci, pour les parisiens de seenthis : Pré Carré est présent au salon de la Revue le week end prochain. Halle des Blancs Manteaux, 48, rue Vieille-du-Temple
    Vendredi 9 novembre 20h-22h, Samedi 10 novembre, 10h-20h, Dimanche 11 novembre, 10h-19h30

    #bande_dessinée #critique #revues

  • je fais passer ce message, dont l’objet est de consolider le boulot largement entamé et fructeux à Tarnac :

    TARNAC : Participez au rachat du Magasin Général-Club Communal

    Vous connaissez sûrement le « MAGASIN GÉNÉRAL DE TARNAC », vous êtes des habitués de ce lieu, vous êtes venus y jouer ou y présenter un livre, vous y êtes passés par hasard, pour manger, boire un coup, rencontrer les amis que vous ne connaissiez pas encore, ou encore vous en avez entendu parler et n’avez pas encore eu l’occasion d’y passer…

    C’est en septembre 2007, que l’épicerie-bar historique du village
    est devenue le « MAGASIN GÉNÉRAL DE TARNAC ». Rendez-vous quotidien pour nombre d’habitants du bourg et des alentours et tout un tas de personnes complices venues régulièrement du monde entier. C’est à la fois un espace de vie quotidienne, et un espace d’activités pour toutes celles et ceux qui cherchent à s’organiser collectivement sur la commune de Tarnac et au-delà. Le Magasin Général-Club Communal est un endroit de rencontre et de réflexion permanent à la fois enraciné et soucieux du monde.

    POUR POUVOIR NOUS LANCER DANS LA RÉNOVATION, LE RÉAMÉNAGEMENT ET LA MISE AUX NORMES DES LIEUX, NOUS ALLONS RACHETER, APRÈS 11 ANS DE LOCATION-GÉRANCE, LE BÂTIMENT QUI ABRITE LE MAGASIN GÉNÉRAL DE TARNAC, SOUS LA FORME D’UNE SOCIÉTÉ CIVILE IMMOBILIÈRE DÉNOMMÉE « SCI CLUB COMMUNAL ». Pour payer la première tranche qui rendra l’acquisition définitive (avant décembre) nous lançons un appel à dons via un site de crowdfunding dont voici le lien :

    https://www.ulule.com/magasin-general-tarnac

    Même si vous ne pouvez pas contribuer, n’hésitez pas à faire
    circuler autour de vous …

  • D’une pierre deux coups (parce que la grande agitation entourant la période de création du précédent numéro m’a complètement fait zapper l’annonce de sa sortie) avec les dernières sorties du Fanzine Amici, qui clôtureront cette passionnante et gratifiante expérience éditoriale :

    le dixième Amici (Pubis) reçoit les planches de C. de Trogoff, Jean-Pierre Marquet, Robert Varlez, Antoine Ronco
    Loïc Largier, L.L. de Mars et une création exceptionnelle de
    Guillaume Chailleux qui s’est vu confier les planches réalisées par Marie-Florentine Geoffroy et moi lors d’un « Ressac » commencé au cours d’une rencontre Pierre Feuille ciseaux et que la mort de Marie florentine nous a interdits d’achever. Guillaume a poursuivi le travail, l’a augmenté, a donné un sens et une cohérence à tout ça.

    https://www.le-terrier.net/pccba/10_pubis/index.htm

    Le onzième numéro accueille les travaux de L.L. de Mars, Muzotroimil, Jérôme LeGlatin & blexBolex qui, in extremis, trouvent une fin à leurs « Dernières nouvelles de Randolph Carter », J.M. Bertoyas qui nous fournit enfin ses planches après 10 numéros, Loïc Largier, C. de Trogoff et Jean-Pierre Marquet.

    https://www.le-terrier.net/pccba/11_plus/index.htm

    Nous avons atteint notre objectif, qui était de dix numéros, et nous l’avons même excédé de ce numéro + qui vient conclure en beauté cette belle histoire.

    #micro_édition #fanzine #bande_dessinée

  • certains d’entre vous les connaissent déjà (ils étaient, par exemple,
    présentés dans le Terrier* depuis un moment), mais pour les autres, qui ont découvert le travail de Guillaume Massart avec ses derniers longs (notamment La Liberté, film incroyable dont je vous ai déjà causé ici, qui tourne en ce moment même), c’est une occasion de découvrir une œuvre qui commençait en puissance, avec quatre de ses premiers films (une playlist sur la chaine du Terrier a été créée) :

    https://www.youtube.com/watch?v=47B8KbeCTAE&list=PLeaO_VYIJQiz5LoDtSMkxmgg-MhWWc0pt

    pour ceux qui voudraient être tenus au courant des mises en ligne (je
    n’annonce ici qu’une toute petite partie de celles ci, vous vous en doutez, quand ça me semble plus connexe avec des problématiques seenthisienne),il est assez simple de s’abonner au truc et de cliquer sur une espèce de petite cloche à la con pour recevoir directement les annonces à chaque nouveau film. Bon. C’est youtube, j’imagine que vous connaissez le fonctionnement mieux que moi.

    *https://www.le-terrier.net/massart/index.html

    #video #guillaume_massart #terrier

  • Une dernière vidéo pour vous faire visiter brièvement l’expo et vous annoncer son finissage, simple occasion de rencontrer d’autres personnes, de passer un bon moment ensemble, de faire une visite guidée pour ceux qui le désireraient, avant de plier tout ça et de rapatrier les pièces.

    Ce finissage aura lieu dimanche,
    à 17h, et c’est toujours au MAGA, à Bruxelles
    à dix pas du parvis St Gilles (56 rue Jean volders)

    https://youtu.be/4OsfQQuuXFE

    page dédiée (photos et descriptions) ici https://www.le-terrier.net/concerts/2018exposbelges/index.htm

  • https://dicodoc.wordpress.com/2017/11/05/e-comme-entretien-guillaume-massart
    et il y a la suite là :

    https://dicodoc.wordpress.com/2017/11/12/e-comme-entretien-guillaume-massart-2

    Guillaume Massart (qu’on peut croiser là http://www.le-terrier.net/massart/index.html) fait des films incroyables, qui ne ressemblent à aucun autre et ne se ressemblent pas entre eux.
    Il vient d’en finir un inouï sur Casabianda, la prison ouverte pour criminels sexuels. Il en cause un peu dans cet entretien. Le ratez surtout pas quand ça passe près de vous ce truc, c’est pas loin de changer votre vie un film pareil. Voilà.

  • La nouvelles stratégie anti-casseurs de la police
    http://telegra.ph/Manifestations--la-nouvelle-strategie-anticasseurs-de-la-police-09-29
    Prise d’ADN sur les pavés in situ , vidéos partout et légalisation de l’usage des téléphones personnels policiers, la contre-insurrection « en mode dégradé » déroule sa feuille de route.

    (...) Des « Live Tweet » et des panneaux lumineux en remplacement des haut-parleurs pour gérer les cortèges (...) « Il faut que les manifestants de bonne foi sachent ce qui se passe, puissent partir par une voie d’évacuation balisée afin que l’usage de la force ne se concentre que sur les fauteurs de troubles, déclare-t-on au cabinet du directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN). (...)

    ● Pour identifier les casseurs, des agents de police scientifique et des procéduriers intègrent les dispositifs Face à des émeutiers de plus en plus organisés, furtifs et équipés comme pour aller à la guerre, les stratèges de l’ordre public commencent à déployer au sein même des dispositifs des experts en police scientifique pour récupérer « à chaud », au cœur de l’action des indices, des pièces à conviction voire des effets personnels comme des anoraks abandonnés par leurs adversaires sur le champ de bataille. (...)

    ● Gagner la bataille des images et de la communication (...)

    ● Filtrages et fouilles préalables pourraient se généraliser (...) « Reste à transposer une disposition qui s’applique en temps normal à une enceinte privée recevant des spectateurs à la voie publique soumise aux principes constitutionnels de la liberté d’aller et venir », tempère un officier.

    ● Des canons à sons, le stroboscope et des billes de « marquage » à l’étude (...)

    Objectif prioritaire : tracer par l’action policière une frontière séparant manifestants et casseurs, ça pioche pas mal dans le modèle allemand du #maintien_de_l'ordre.

    #police #justice #toctoc

  • J-219 : J’y vais, je n’y vais pas ? Mettre Qui ça ? en ligne, maintenant, ou, seulement quand ce sera fini ?

    A vrai dire je m’étais déjà posé la question, il y a plus de deux ans, quand j’avais commencé à construire Ursula . Et puis, après des années et des années de Bloc-notes du Désordre , je me suis dit qu’au contraire, je ferais bien de garder Ursula bien au chaud, de l’abriter des regards, de construire patiemment, d’autant que je n’étais sûr de rien. De rien. Je ne suis jamais sûr de rien. Là, je n’étais pas sûr que cela allait donner quelque chose ― et d’ailleurs je ne suis toujours pas très sûr que cela ait donné quelque chose. Et en fait, ici, avec Qui ça ? , non plus.

    Je pense qu’il y a quelques années, je me moquais bien de telles questions. Je faisais les choses et puis je les mettais en ligne, la distance entre le moment où je pensais à ce que je voulais faire et le moment où je mettais le résultat en ligne était aussi réduite que possible, en gros, le temps de faire les choses. Et puis cela n’a plus été, j’ai senti, il y a un lustre, que cela n’allait pas, que cela ne me laissait pas le loisir d’essayer, de rater, de recommencer et de rater mieux ( Ever tried. Ever failed. No matter. Try Again. Fail again. Fail better . Samuel Beckett). C’est curieux, cette phrase de Beckett, je la trouvais déjà très belle et puis, l’année dernière, j’ai eu l’occasion de remercier, ponctuellement, un simple geste, la psychologue d’Adèle, qui est irlandaise, je voulais un petit cadeau symbolique, je lui ai offert Molloy en français ― parce que Beckett avait écrit ce livre en français et que je me doutais que si elle l’avait déjà lu, elle avait dû le lire en anglais ―, elle avait souri, en me disant que c’était befitting ― entendre par là que je ne m’étais pas trompé en soupçonnant, au-delà de ses origines irlandaises, qu’elle puisse être une lectrice de Beckett ― et avait alors tenté de traduire, à la volée, cette merveilleuse formule de Beckett à Adèle en français, ce qu’elle avait très bien fait, en utilisant le verbe échouer , Essaie, échoue, essaie encore, échoue encore, qu’importe, échoue mieux. Je lui avais alors dit que dans la traduction française, aux éditions de Minuit , c’était le verbe rater qui avait été finalement choisi, mais que c’était très beau avec le verbe échouer, surtout quand on l’entend, aussi, dans son acceptation maritime.

    Il n’empêche, il s’agit bien de rater. De rater mieux. Mais de rater quand même. Et il s’agit de rater bien. De rater comme il faut. De rater en secret. De rater sans craindre le regard, et le jugement, d’autrui. Or, pendant des années, je ne me suis pas du tout préoccupé de rater en face de tous, cela ne me faisait ni chaud ni froid, en somme. J’aimais mieux réussir, mais cela arrivait quand même drôlement souvent que je rate.

    Alors qu’est-ce qui a changé ? Qu’est-ce qui a changé en moi ?

    C’est Ursula qui m’a changé.

    Ursula . En travaillant à Ursula , je n’ai pas eu peur d’échouer, à aucun moment, et même, je m’en rendais compte, si cela devait me coûter beaucoup de tra-vail, et cela m’en a coûté beaucoup, énormément, en fait, mais c’était comme de travailler à un jardin connu de moi seul, si ce que je plantais ne poussait pas, j’étais le seul à le savoir. Et de cette façon d’ailleurs, ce n’est pas le seul projet auquel j’ai travaillé de la sorte, j’ai bricolé un petit film d’animation de trois minutes, Philippe , ce que je n’avais jamais fait jusque-là, et il y avait toutes les raisons de penser que sans doute cela échouerait, par bonheur L.L. de Mars (http://www.le-terrier.net), nettement plus aguerri que moi avec ces choses animées, m’a mis le pied à l’étrier et a pris en charge le montage, voyant bien à quel point il était difficile pour moi de jeter des séquences sur lesquelles j’avais particulièrement transpiré, et cela a fini par donner ce petit film dont je suis finalement plutôt fier, je me suis lancé dans un petit film de time lapse ― un film d’intervalles ― et j’ai connu un plaisir extraordinaire à son montage en me fiant à la musique de Jean-Luc Guionnet, j’ai essayé des trucs qui ont plus ou moins bien fonctionné, comme de monter Film de Samuel Beckett sur une musique de Hubbub , et je continue de trouver le résultat de cette expérience étonnant, mais je peux difficilement m’en prévaloir (http://www.desordre.net/bloc/ursula/2014/bouquets/017.htm), je me suis de nouveau essayé à écrire des romans ― j’imagine que l’on peut tapisser ses toilettes de lettres de refus des éditeurs en prétendant être fort détaché de ces correspondances, plein de morgue même, mais, ne plus rien écrire pendant presque dix ans n’est-ce pas le signe qu’un certain message, décourageant, est peut-être passé ―, et puis finalement, dans le giron d’ Ursula , je me suis rendu compte que je prenais beaucoup de plaisir à raconter de ces histoires, leur donner corps, j’ai d’abord écrit Raffut , puis Arthrose ― dont un jour il faudrait que je me prenne par la main pour en réaliser la version électronique, sa bande-son, ses extraits de film, notamment du Fils de Saul de Laslo Nemes, tant ce livre est une entreprise de sa destruction finalement, et cela je ne le fais toujours pas parce que je me demande si j’en ai le droit, puisque c’est l’histoire de ma chance, de ma très grande chance de ne pas être allé dîner au Petit Cambodge un 13 novembre, le 13 novembre 2015, et la dernière chose que je voudrais faire c’est quelque chose d’obscène ―, et puis J. , un livre de fantasmes, Je ne me souviens plus et, cet été, Élever des chèvres en Ardèche (et autres logiques de tableur) ― ah mon, absence de talent pour les titres, en tout cas les titres courts, je crois que j’ai tout donné avec Désordre ― et puis les ébauches de Punaise ! ou encore des Salauds ― j’aimerais tellement avoir la force d’écrire ce livre jusqu’au bout, après je peux crever, je serais définitivement vengé ―, et, depuis peu, de X. et de Qui ça ? , et puis ces derniers temps ce projet de film documentaire, la Petite Fille qui sautait sur les genoux de Céline , oui, tout cela j’ai finalement eu le courage de le faire parce que je l’avais abrité des regards, au moins le temps de la construction et je crois bien que ce sera désormais ma conduite.

    Donnez-moi le temps et l’espace pour rater encore, pour rater mieux.

    Donc Qui ça ? , pour le moment va rester dans le seul cadre de seenthis, à l’état de brouillon. Je suis content d’y avoir réfléchi par écrit, une mauvaise fois pour toutes, pour emprunter la formule, à nouveau, à Samuel Beckett.

    https://vimeo.com/48765699

    #qui_ca

    • Exercice #2 de Henry Carroll : Prenez des photographies non touristiques d’un lieu touristique.

      C’est étonnamment de cette façon que je suis devenu photographe. J’ai fait mon service militaire au Service d’Information et de Relations Publiques des Armées dans l’Armée de l’air, en tant que photographe, dans un petit service qui comptait trois sous-officiers, tous les trois parfaitement photographes, avec de sérieux bagages techniques ― je leur dois beaucoup de mes connaissances tech-niques ― et pour l’un d’eux, un véritable regard de photographe ― je lui dois beaucoup dans ma façon d’appréhender un sujet et de chercher à en faire une image, il faisait notamment de la perruque en tant que photographe de plateau de l’émission de télévision Apostrophes, il était remarquable de voir que de semaine en semaine, avec le même décor, le même arrière-plan et le même éclairage, il trouvait le moyen d’un renouvellement ―, et qui se sont d’abord montrés fort méfiants vis-à-vis du deuxième classe que j’étais. Et pour me tester, d’emblée, le chef de cette petite unité, et donc photographe de plateau sur Apostrophe , m’avait confié deux boîtiers Nikon, deux FM2 si mes souvenirs sont bons, deux ou trois optiques que j’avais eu le droit de choisir parmi pléthore d’objectifs, deux films de couleurs et trois de noir et blanc et la consigne, à la fois simple et piégeuse, d’aller photographier la tour Eiffel, qui avait l’avantage de se trouver à quelques stations de métro seulement du Ministère de l’Air. Il s’attendait à ce que je revienne de ce reportage, un bien grand mot, avec une très belle collection de cartes postales, il en fut pour ses frais, et en fus assez surpris, tant ce que je lui rapportais correspondait en rien à ses attentes, j’avais d’abord pris le parti de photographier la Tour Eiffel de plus loin possible, y compris depuis le balcon de chez mes parents à Garches, ce qui était encore possible à l’époque, puis j’avais également produit toute une série de photographies des boulons rouillés de la vieille dame d’acier et aussi quelques photographies à la dérobée des touristes serrés dans les ascenseurs ― avec le recul il est assez amusant pour moi de me dire que, si cela se trouve, ces photographies font partie des archives photographiques de l’Armée de l’Air, dûment répertoriées avec des numéros de film du genre 1985-0178 0179 et 0180, je n’avais utilisé qu’un film de couleur et deux de noir et blanc et c’était, de fait, au tout début de l’année 1985. C’est au prix de cette originalité, dont je me demande bien ce qui avait pu la provoquer à l’époque, j’avais tout juste vingt ans et une culture visuelle fort pauvre, à l’exception d’un stock d’anciens numéros du magazine Zoom que j’avais achetés aux Puces ― et comme je serais content par la suite de trouver dans la bibliothèque du labo photo du SIRPA de nombreux autres numéros de cette revue que l’adjudant tenait en grande estime, parmi lesquels un numéro spécial à propos des photographes brésiliens, dans lequel j’avais fini par isoler une image de piétons sur une rue de Sao Paolo, une vue au huitième de seconde, seuls les pieds des passants sont nets, le haut de leur corps fantomatique, et par je ne sais quel tour de magie que la vie a en stock, j’ai eu à rencontrer le photographe de cette image, qui a longtemps été punaisée dans ma chambre, étudiant lui-même de Barbara Crane à Chicago, c’est désormais le tirage qu’il m’a offert, après que je lui ai raconté l’histoire de cette image, qui orne un des murs de ma chambre ― c’est au prix donc de cette originalité que j’ai été accepté au purga-toire de ce petit labo, dans lequel j’ai appris, en tirant des centaines et des centaines de photographies d’avions, mais aussi de reportages à propos de troupes au sol, ou encore de défilés militaires et de portraits de généraux, le métier de photographe.

      La même histoire de l’origine en somme racontée différemment, dans Arthrose :

      J’ai appris le métier de photographe pendant mon service militaire au Service d’Informations et de Relations Publiques des Armées (SIRPA) au sein d’une petite équipe de photographes, trois sous-officiers et moi-même, l’Aviateur De Jonckheere, deuxième classe donc, homme du rang. Les trois sous-officiers étaient des photographes de reportage tout à fait accomplis, certes cantonnés dans ce travail de représentation, glorieuse si possible, de l’armée de l’air, il n’en est pas moins qu’ils avaient de robustes compétences de photographes de terrain, l’un d’eux, par ailleurs, en dehors de ses heures de travail, était passionné de littérature et était le photographe de plateau de l’émission de télévision Apostrophes et j’ai beaucoup appris de lui, notamment sur la nécessité de réfléchir à l’image que je voulais faire avant de braquer mon appareil-photo, d’en réfléchir aux paramètres techniques, son enseignement était que la plupart du temps on disposait tout de même d’une trentaine de secondes de réflexion avant de prendre une photographie de reportage. Ces trois sous-officiers photographes étaient des passionnés et parlaient de photographie du matin jusqu’au soir, ils étaient abonnés à toutes sortes de magazines spécialisés et un de leur jeu préféré, qui devenait rapidement une joute amicale, était de deviner les circonstances d’une image, ses paramètres et ses astuces techniques et ce qui avait sans doute été produit au laboratoire pour parvenir à une telle image. J’ai beaucoup appris de ces discussions auxquelles j’étais parfois invité à participer en fin d’année de service militaire, ayant désormais acquis un vrai bagage technique. Parmi les nombreuses revues de photographie il y en avait une qui avait ma prédilection, il s’agissait de la revue Zoom , depuis défunte, et dans laquelle on trouvait les photographies les plus esthétiques comparées aux autres magazines, notamment les photographies de mode, sans compter quelques photographies à l’érotisme très esthétisant dont je ne pourrais jamais dire que, jeune homme, elles ne m’aient pas questionné et, si je devais les retrouver aujourd’hui, à quel point elles me feraient sourire. Et une bibliothèque occupait le couloir central de cet atelier de photographie dans laquelle se trouvaient de pléthoriques archives de toutes ces revues. Je me souviens d’un numéro spécial de Zoom consacré à la photographie brésilienne. Dans ce numéro une photographie avait particulièrement retenu mon attention, il s’agissait d’une photographie de rue, carrée, au 6X6, en noir et blanc qui représentait des passants flous à l’exception de leurs pieds qui étaient restés à peu près nets, flou de mouvement qui avait été particulièrement heureux pour permettre la création de ces fantômes aux pieds nets posés sur un pavé dont le piqué était remarquable. J’avais demandé à l’adjudant Rullaud. ce qu’il pensait de la vitesse d’obturation de cette image, 1/15ème ?, avais-je hasardé, plutôt 1/8ème avait-il répondu, donc l’appareil est sur un trépied ?, et, comme toujours, l’ironie avait fusé, avec une petite trace d’accent du Sud-Ouest, et bien si vous tenez le 1/8ème de seconde à main levée avec un Hasselblad, vous pouvez revendre votre trépied. Cet après-midi les tâches en cours étaient peu nombreuses et je lui avais demandé la permission de me servir du banc de reproduction pour me faire un tirage de cette image que j’aimais beaucoup. Fait inhabituel, il avait montré de l’enthousiasme pour cette perruque et m’avait même proposé de me servir de l’Hasselblad pour un meilleur rendu, homothétique qui plus est. J’ai longtemps eu ce tirage au-dessus de ma table de dessin quand j’étais étudiant aux Arts Déco, dans mon appartement de l’avenue Daumesnil. Ce qui est étonnant c’est que je n’avais pas pensé à noter le nom du photographe brésilien qui avait pris cette photographie. Trois ans plus tard je partais étudier à Chicago. J’ai fait des pieds et des mains pour suivre les cours de Barbara Crane sur le bon conseil de mon ami Halley. J’avais fini par obtenir d’intégrer le groupe d’étudiants en Master qu’elle prenait en tutorat ce qui était beaucoup plus que je ne pouvais espérer. Au début de l’année scolaire nous avons eu une réunion de ses étudiants de Master au cours de laquelle nous devions apporter quelques images de nos travaux en cours, pour ma part j’avais montré ma série sur Berlin, dont je ne peux pas dire, qu’en dehors de Barbara Crane, elle ait beaucoup enthousiasmé les autres étudiants. Puis ce fut le tour des deux Gregs. Les deux Gregs c’était un peu une autre limonade. Après eux, un autre étudiant étranger présentait un portfolio de photographies en noir et blanc, toutes prises à l’Hasseblad, les tirages étaient somptueux et en grande majorité montraient des paysages urbains de nuit avec cette particularité intéressante que sur aucune de ces images nocturnes on ne pouvait voir la source d’éclairage public qui pourtant éclairait ce paysage urbain de São Paulo. Barbara Crane n’était pas avare de compliments pour cet étudiant un peu plus âgé que nous et qui, comme moi, s’exprimait dans un anglais maladroit. Lorsqu’il est arrivé à la dernière image de son portfolio de photographies nocturnes, il était sur le point de remettre tous ses magnifiques tirages dans leur boîte quand je remarquai au fond de la boîte cette image que je connaissais si bien des fantômes sombres sur le pavé net. J’ai eu du mal, dans mon anglais encore balbutiant à l’époque, à raconter à quel point il était extraordinaire que je me retrouve en présence de cette photographie qu’un mois auparavant je décrochais du mur de ma chambre avenue Daumesnil à Paris, empaquetant mes affaires pour les stocker dans la cave de mes parents à Garches, avant de prendre le départ pour Chicago où je me trouvais désormais en face de son photographe en chair et en os. Carlos Fadon Vicente. Qui le jour de son départ de Chicago, en fin de premier semestre, m’avait cherché dans le labo pour me remettre un tirage de cette image, j’étais très ému de ce cadeau et avait balbutié le seul mot de portugais que je connaisse, Obrigado , nous nous étions embrassés dans l’éclairage inactinique du laboratoire collectif des étudiants en Master ― parfois internet ce n’est pas si pratique que cela, ainsi j’avais oublié du tout au tout le nom de Carlos, d’ailleurs dans un premier temps je me souvenais de Ricardo, et pourtant je voulais absolument que son nom figure en toutes lettres dans ce texte, pas juste son prénom, dont justement je me rends compte que ce n’était même pas le sien, j’ai passé beaucoup de temps à tenter toutes sortes de recherches pour retrouver Carlos-Ricardo, j’ai fouillé dans des listes et des listes de noms dans les anciens étudiants de the School of the Art Institute of Chicago (parmi lesquels j’ai été très déçu de ne pas trouver le mien), ce qui ne risquait pas beaucoup de réussir si je continuais d’appeler Carlos Ricardo, j’ai tenté de faire des recherches sur les archives du magazine Zoom sur internet, dont force est de constater qu’il n’en reste pas grand-chose, ce que je trouve regrettable, j’ai tenté des recherches sur les projets d’urbanisme de São Paulo parce que je savais que cette photographie faisait partie d’un ensemble de photographies qui avaient été commandées par un des urbanistes d’un grand projet de cette mégapole bré-silienne, j’ai fait des recherches de plus en plus larges à propos de photographes brésiliens contemporains, j’ai découvert une multitude de photographes aux travaux admirables, mais je ne retrouvais toujours pas Carlos-Ricardo, j’ai sorti la photographie du sous-verre posé sur ma table de travail et sous lequel j’ai composé un pêle-mêle parmi lequel se trouve la photographie de Carlos (mais aussi une lithographie de L.L. de Mars, une sérigraphie de Doug Huston, un polaroid agrandi de Jennifer Pilch, dont j’étais fou amoureux, une petite photographie de Natalie Bookchin, une photographie de Karen Savage, un tract de Formes d’une guerre , une lithographie sur papier kraft d’un étudiant portoricain à Chicago dont je me souviens seulement du prénom, mais de façon certaine, Alejandro, l’affichette de la lecture de @mona à la librairie Mille Pages à Vincennes, un tirage numérique de Barbara Crane, un petit collage photographique de Hanno me représentant à la Garde de Dieu en 1989, des billets de un dollar sur lesquels John Pearson, un autre étudiant de Chicago, avait imprimé des cyanotypes, une ancienne publicité pour le pneus Dunlop, pour ses couleurs qui me rappellent des tas de souvenirs d’enfance, un dessin de L.L. de Mars, une photographie de Mouli et moi chez nous, 943N Wolcott avenue à Chicago, une de mes photographies de la Très Petite Bibliothèque et une autre de la série 20040322.txt , un collage de quatre photographies représentant B. et moi nous embrassant à la Garde de Dieu, et enfin la photographie de Carlos) dont je pensais toujours qu’il s’appelait Ricardo, dans l’idée de la scanner de tenter une recherche en utilisant l’option de recherche par image du moteur de recherche, et c’est à ce moment-là que je me suis rendu compte, comment n’y avais-je pas pensé plus tôt ?, surtout quand on connaissait un peu Carlos, le genre de photographe sérieux, que naturellement, non seulement son nom figurait au crayon à papier au dos du tirage, mais aussi toutes sortes d’indications, Da Paulista, 1983, (Sao Paulo) © Carlos Fadon Vicente ƒ8 1/8 93˝ D 288/12 , pas toutes compréhensibles même par un autre photographe, le D majuscule souligné voulait-il signifier que le film avait développé dans du D76 ?, en revanche je remarque, trente ans plus tard, que le pronostic de l’adjudant Rullaud. était juste, c’était bien au huitième de seconde qu’avait eu lieu cette affaire : c’est fi-nalement là qu’internet est le moins pratique, quand on y cherche des choses que l’on a sous le yeux. J’ai toujours peine à me dire que ce jeune homme que j’étais devenu, presque 24 ans d’arrogance et de sûreté de soi, parti conquérir rien moins que l’Amérique, s’imaginant rien moins que le nouveau Robert Frank, n’était distant que de trois années de celui peu assuré qui s’arrangeait surtout pour ne pas trop déplaire aux trois sous-officiers photographes du SIRPA, ce faisant, tirant le meilleur de leurs connaissances techniques fort sûres, mais surtout ne les contredisant pas sur tant et tant de sujets, surtout politiques, mais aussi à propos de certaines des légendes courantes dans le monde de la photographie de reportage et notamment ces histoires abracadabrantes de scoops qui constituaient pour eux une manière de Saint Graal, se trouver sur les lieux d’une catastrophe, d’un événement historique, d’un attentat, d’un accident, sur le chemin d’un homme politique pris la main dans le sac, d’être le témoin photographiant de toutes sortes de malversations, de délits, de petits scandales minables écla-boussant à peine des personnalités du monde du spectacle, que sais-je encore, toutes sortes de situations dans lesquelles je rêvais moi de ne surtout pas me trouver, quand bien même, et c’était cela qui me désolait de la part de ces instructeurs chevronnés, cette attirance, de tels scoops pourraient mériter toutes sortes de rétributions de la part des grands hebdomadaires de la presse. Et à ce sujet les légendes urbaines qui émaillaient leurs conversations étaient à la fois nombreuses et invraisemblables, tel organe de presse, en cas de grande catastrophe aérienne, capable d’acheter en liquide, pour de fortes sommes, des films qui n’étaient pas encore développés et c’était tout un monde qui miroitait dans les yeux de ces photographes pourtant aguerris mais crédules de ces histoires dont au contraire, moi, si jeune, tellement en attente de leur validation, de leur reconnaissance comme un des leurs, alors je lisais Ultramarine de Malcom Lowry, et comme tout cela résonnait fort en moi, moi, leur deuxième classe de corvée des trucs pas toujours très drôles à faire, de ces batchs de films à déve-lopper dans la journée avec des planches-contacts, nettoyer les cuves, faire les mélanges et les tirages en cinquante exemplaires, c’était finalement moi qui était le moins crédule de telles fables. D’ailleurs quand j’entends le mot scoop, dans tout ce qu’il ne contient pas, c’est souvent à ces lointaines discussions en prenant le café que je tenais prêt au moment où les sous-officiers rentraient du mess des sous-offs, que je repense, pour moi le scoop ce serait toujours ces effets de récit d’une vie, ces spaghetti ramassés en désordre dans une assiette, mais que l’on tire sur un seul et cela bouge de l’autre côté de l’assiette, disparaît sous la masse des autres spaghetti, pour réapparaitre, ces moments de vie souterraine à l’intérieur de la vie-même, la photographie du magazine Zoom isolée, reproduite, accrochée sur le mur de ma chambre et dont je rencontre le photographe à l’autre bout du monde, ces photographies d’une jeune ivoirienne ramassée dans un bar et qui reparaît en Alsace, cette chambre en Espagne où je séjourne chez l’Oncle de mon amie Laurence, juge, et dont la fille, qui est en photographie de mariée sur la table de chevet de cette chambre et qui un jour devient mon avocate, ceux-là sont les vrais scoops de l’existence. Passer tout près de l’explosion d’une bombe, d’un accident ou d’un attentat terroriste, quelle que soit la manière dont ensuite on tente de donner du sens à ce frôlement continue d’être, par définition, un non-événement, le contraire même d’un scoop.

      Avec le recul, j’en viens à réaliser qu’en matière de photographie j’aurais eu deux professeurs assez dissemblables, l’adjudant Rullaud et Barbara Crane.