L’invention du Sud - Libération

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  • L’invention du Sud - Libération
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    Le Sud n’est pas un lieu, mais plutôt l’effet de relations entre pouvoir, connaissance et espace. La modernité coloniale invente une géographie et une chronologie : le Sud est primitif et passé. Le Nord est progrès et futur. Le Sud est le résultat d’un système racial et sexuel de classification sociale, une épistémologie binaire qui oppose haut et bas, l’esprit et le corps, la tête et les pieds, la rationalisation et l’émotion, la théorie et la pratique. Le Sud est un mythe sexualisé et racialisé. Dans l’épistémologie occidentale, le Sud est animal, féminin, infantile, tarlouze. Le Sud est potentiellement malade, faible, stupide, incapable, paresseux, pauvre. Le Sud est toujours représenté manquant de souveraineté, manquant de connaissance, de richesse et, par conséquence, intrinsèquement endetté vis-à-vis du Nord. Dans le même temps le Sud est l’endroit où se déroule l’extraction capitaliste, le lieu où le Nord capture énergie, sens, jouissance et valeur ajoutée. Le Sud est la peau et l’utérus. L’huile et le café. La chair et l’or.

    A l’autre extrémité de cette épistémologie binaire, le Nord apparaît comme humain, masculin, adulte, hétérosexuel, blanc. Le Nord se présente toujours plus sain, plus fort, plus intelligent, plus propre, plus productif, plus riche. Le Nord, c’est l’âme et le phallus. Le sperme et la monnaie. La machine et le software. C’est le lieu de la mémoire et du profit. Le Nord, c’est le musée, l’archive, la banque.

    La division Nord-Sud domine sur toute autre forme de spatialisation. Chaque société désigne un Sud, un lieu où va s’organiser l’extraction et où se déverseront les ordures. Le Sud est la mine et le cloaque. Le cœur et l’anus. Le Sud est aussi le lieu craint par le Nord en tant que réserve de puissance révolutionnaire : c’est pourquoi que c’est là que s’intensifient contrôle et vigilance. Le Sud est le terrain de guerre et la prison, l’endroit de la bombe et des résidus nucléaires.