• Quand les #lois sont perfides
    https://www.lecourrier.ch/153163/quand_les_lois_sont_perfides

    à la fin du XIXe siècle, en 1893-1894, trois lois sont votées à chaud dans le sillage d’attentats anarchistes. Ce sont les premières lois #antiterroristes. Leur application réprimera exclusivement l’extrême gauche et les mouvements sociaux opposés à une droite déjà aussi libérale que brutale : des propos sont judiciarisés comme des actes, « militants » et « sympathisants » sont assimilés les uns aux autres sans qu’aucun fait concret ne soit reproché, et les « bons » citoyens sont incités à la #délation. Jaurès est le premier à rejeter ces lois, qui seront qualifiées de « scélérates » par Pressensé, un des fondateurs de la Ligue des droits de l’homme. Léon Blum dénoncera pour sa part des lois qui « suent la #tyrannie, la #barbarie et le #mensonge ». Au XXe siècle, la loi dite « anti-casseur » de 1970 leur donne un vernis de modernité, pour être abrogée en 1982 sous Mitterrand. Les lois « scélérates » de 1894, elles, ne furent abrogées qu’un siècle plus tard, en 1992. Toutefois, en 2010, sous la présidence de Sarkozy, la « scélératesse » fait son come back avec la loi sur les violences en bandes.

    Aujourd’hui, la banalisation des mesures d’#exception de l’état d’urgence, depuis leur reconduction fin 2015, va être parachevée par leur entrée dans le droit courant, avec la loi sur la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme du ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb. La #perfidie s’installe dans le quotidien juridique français, en permettant de criminaliser des « comportements », et non des faits, ainsi que la participation à des rassemblements, comme toujours au nom du concept vague de « responsabilité collective ». L’esprit des lois de 1894 est de retour.

    C’est pour cela qu’aujourd’hui, à 83 ans, Me Henri Leclerc, président d’honneur de la Ligue des droits de l’homme, dénonce une « réforme contre des gens qui n’ont pas commis des actes, mais (...) qui sont suspects de pouvoir les commettre ». Rappelant l’inefficacité de l’état d’urgence en matière de lutte antiterroriste, Henri Leclerc souligne que la logique de « mesures très attentatoires aux libertés », a, par contre, été « efficace au moment de la COP21 pour arrêter un certain nombre de militants écologistes, et par la suite, pour réprimer des manifestations, ou les interdire ».

  • EDITO : : SUISSE : : Le « Jobber », un salarié sans droit ni loi
    https://www.lecourrier.ch/153117/le_jobber_un_salarie_sans_droit_ni_loi

    Economie numérique
    Le « Jobber », un salarié sans droit ni loi
    Mardi 03 octobre 2017
    Christiane Pasteur

    Aux confins du salariat et du travail indépendant, le « jobbing », ou économie des petits boulots, est en plein essor. Venu des Etats-Unis, le phénomène consiste à mettre en relation des particuliers, via des plateformes internet, en vue de réaliser un travail à la tâche en échange d’une rémunération fluctuante. Pierre a acheté une commode, Jacques propose de la monter : en un clic de souris, le marché est conclu.

    Côté pile, le « jobbing » permet d’arrondir ses fins de mois, de choisir quand, où et pour quel tarif travailler. Pour le client, c’est l’assurance d’un travail rapidement effectué et à des prix défiant toute concurrence.

    Côté face, sous couvert de modernité et de nouvelles technologies, une petite part de la population se voit transposée au XIXe siècle, avant le salariat et l’Etat social, lorsque hommes et femmes ne bénéficiaient d’aucune garantie de l’emploi ni de revenu, contraints de vendre leur force de travail au jour le jour. Et tant pis s’il y a un accident, une maladie, une grossesse, une baisse de l’activité, une tête qui ne revient pas…

    Une situation d’autant plus injuste et absurde que jamais notre société n’a produit autant de richesses. Mais la mondialisation et la numérisation de l’économie sont passées par là, induisant l’émergence d’un salariat fractionné, précarisé, pressurisé, et d’un temps de travail extensible : progression du temps partiel, travail chez soi, le dimanche, le soir, cumul des emplois, etc. Et ce n’est qu’un premier pas, l’avènement de l’intelligence artificielle chamboulera irrémédiablement notre rapport au travail.

    La méthode Uber, ou Airbnb, s’applique désormais aux mille et une tâches du quotidien, et plus largement à des pans croissants de l’économie. Avec pour conséquence de voir le risque et le coût de l’échec se déplacer de l’entreprise vers l’individu, incité à endosser l’entière responsabilité de la réussite, ou non, de son « entreprise ».

    Travail au noir, assurances sociales, chômage, retraite, formation, conventions collectives, accidents de travail : toutes ces thématiques doivent être interrogées à l’aune de ce changement de paradigme. Et imposent une réponse politique, qui pour l’heure fait défaut. Car une chose est certaine : sans sécurité, la flexibilité ne sera que régression.

  • EDITO : : ACTUALITÉ : : Alternative brune
    http://www.lecourrier.ch/138564/alternative_brune

    Alternative brune
    Mardi 26 avril 2016
    Benito Perez

    Imaginez Marine Le Pen dans un an en tête du premier tour de la présidentielle française avec près de 40% des voix… Irréaliste ? C’est pourtant ce que viennent de vivre les Autrichiens dimanche avec la percée de Norbert Hofer. Bien évidemment, la présidence autrichienne n’a pas le poids du monarque républicain, mais les sondages semblent formels : des législatives aujourd’hui en Autriche donneraient les clés du gouvernement au mal nommé Parti de la liberté (FPÖ).

    Au pays de la social-démocratie raisonnable et du conservatisme bon teint, le choc est rude. Avec 11% chacun, les candidats du SPÖ (centre-gauche) et du ÖVP (centre-droit) sont laminés. Leur gouvernement commun à Vienne paraît condamné, deux ans avant terme. Il n’est pas pour rien dans la débâcle. Accordées aux réalités européennes, où les principaux choix économiques sont imposés depuis Bruxelles, les « grandes coalitions » entrent en revanche en conflit avec les systèmes représentatifs. La démocratie d’alternance exige des alternatives, fussent-elles symboliques.

    Comme en Allemagne, l’extrême droite autrichienne et les Verts se disputent ce rôle de premier opposant, devenu vacant. Chaque fois à l’avantage des populistes, qui ont pour eux la nouveauté, la radicalité et l’air du temps.

    A l’heure où la médiacratie française célèbre le « phénomène Macron », dernier avatar du discours de la fin des idéologies par ralliement au dogme néolibéral, un coup d’œil par-dessus les frontières n’est pas inutile. Afin de voir dans quel état de déliquescence est ressorti le travaillisme du blairisme et la social-démocratie germanique des grandes coalitions à répétition.

    En Espagne, où une violente crise économique et les mouvements sociaux ont eu raison du bipartisme, le mythe de la concorde nationale s’installe à son tour. Les plus extrêmes-centristes y réclament un gouvernement conservateur-socialiste-Ciudadanos dans une tentative de bâtir un front anti-Podemos. Comme si bâillonner le messager allait effacer le message.

    Avant de « dépasser les clivages », la politique doit d’abord les affronter. Les oppositions de classe, les divergences d’intérêts, les désaccords philosophiques ne disparaissent pas en les niant ; ils se redéploient. Et si ce n’est par la raison, ils reviennent en émotions, en passions.

    La démocratie, comme la politique, a horreur du vide. Et l’extrême droite – que l’ère de la démocratie, de l’égalité et de la citoyenneté aurait dû définitivement écarter – s’empresse de le remplir de ses slogans égoïstes et de sa haine.

    On a tendance à l’oublier : l’extrême droite n’est pas un danger mais bien une réalité institutionnelle en Europe. Dominante en Hongrie depuis des lustres et en Pologne depuis six mois, elle participe ou soutient les gouvernements danois, finlandais, suisse et croate. Son ancrage est bien plus profond que la vague migratoire actuelle. Aucune digue turque n’arrêtera sa marche en avant.

    A l’Est, elle a déjà remplacé la gauche comme principale alternative au néolibéralisme. A l’Ouest, il est minuit moins cinq.

  • EDITO : : GENÈVE : : Un travail d’information rigoureux et crucial
    http://www.lecourrier.ch/135612/un_travail_d_information_rigoureux_et_crucial

    Un travail d’information rigoureux et crucial
    Mercredi 13 janvier 2016
    Le Courrier

    Jean Claude Gandur attaque Le Courrier en justice. Voilà un élément nouveau dans le dossier déjà bien fourni de l’extension-rénovation du Musée d’art et d’histoire (MAH), sur laquelle se prononceront les citoyens de la Ville de Genève le 28 février prochain.

    Le collectionneur a en effet porté plainte au pénal et au civil, s’estimant diffamé par un portrait publié le 16 mai dernier, décrivant comment le businessman a fait fortune dans le négoce des matières premières. Au-delà, les plaintes s’en prennent à l’ensemble de la couverture de ce dossier. Le Courrier maintient ses écrits qu’il juge rigoureux. A l’instar du Ministère public, qui a classé la plainte pénale. Mais M. Gandur a recouru contre cette décision.

    Quiconque s’estime diffamé a bien entendu toute légitimité pour actionner la justice. En revanche, il n’est pas anodin qu’un milliardaire s’attaque à un journal indépendant, notoirement connu pour ses difficultés financières et pour sa ligne éditoriale qui tranche dans le paysage médiatique. En l’occurrence, sans avoir encore pris position dans cette votation, Le Courrier s’est démarqué par le regard critique porté sur le projet de la municipalité.

    Soyons clairs : en recourant à l’artillerie lourde, le milliardaire, de notre point de vue, cherche tout simplement à nous museler.