• Une tranche de bifteck - Wikisource
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    Sandel avançait et reculait, surgissait à droite, survenait à gauche, léger de jambes et ardent de cœur, miracle vivant de chair blanche et de muscle offensif, s’échappant et bondissant comme une navette, accomplissant entre deux mouvements toute une série de gestes intermédiaires, combinés en vue de démolir Tom King, cet obstacle interposé entre lui et la fortune. Et Tom King, avec patience, endurait tout cela. Il connaissait son affaire et comprenait la jeunesse maintenant qu’elle ne lui appartenait plus. Rien à faire avant que l’autre eût perdu un peu de vapeur, pensait-il ; et il souriait en lui-même en se baissant exprès pour recevoir sur le crâne un coup lourdement asséné. C’était une malice, mais parfaitement conforme aux règles du jeu. Au boxeur de prendre soin de ses jointures, et s’il s’obstine à frapper l’adversaire sur le sommet de la tête, c’est à ses risques et périls.

    King aurait pu se baisser un peu plus et laisser le coup se dépenser à vide, mais il se souvenait de ses premiers assauts et de la façon dont il s’était brisé une première jointure sur la caboche de la Terreur du Pays de Galles. Il se conformait aux règles du jeu. Cette parade coûterait à Sandel une de ses jointures : non pas que le jeune homme dût s’en apercevoir sur-le-champ : il continuerait avec une superbe indifférence, frappant aussi dur que jamais jusqu’au bout de la bataille. Mais plus tard, lorsque commenceraient à se faire sentir les effets d’assauts multiples et prolongés, il regretterait cette jointure et se rappellerait comment il l’avait démolie sur la tête de Tom King.

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    • malice donc :

      Quand la reprise approcha de sa fin, King, averti du fait par la vue des seconds qui se préparaient à bondir entre les cordes, s’arrangea pour mener la bataille vers son propre coin. Et dès que sonna le gong, il s’assit immédiatement sur son tabouret qui l’attendait, tandis que Sandel dut traverser toute la plate-forme en diagonale pour rejoindre son coin. C’était peu de chose, mais c’est le total de ces petites choses qui compte. C’était peu de chose, mais c’est le total de ces petites choses qui compte. Sandel fut obligé de faire ces pas supplémentaires, de dépenser cette minime somme d’énergie, et de perdre ainsi une partie de sa précieuse minute de repos. Au début de chaque reprise, King avançait de son coin en flâneur, obligeant ainsi l’autre à parcourir la plus grande distance. À la fin de chaque reprise, King manœuvrait pour attirer l’autre dans son coin et s’asseoir immédiatement.

    • Assis dans son coin et regardant son adversaire, il se prit à songer qu’en additionnant sa propre prudence et la jeunesse de Sandel, on obtiendrait un fameux champion du monde des poids lourds. Mais voilà l’ennui : Sandel ne deviendrait jamais un champion du monde : il lui manquait la prudence : il ne pouvait l’acquérir qu’au prix de sa jeunesse. Et quand il posséderait la prudence, il lui manquerait la jeunesse, dépensée à l’obtenir.