Qui est le journaliste Ronan Farrow, le « tombeur » du producteur Harvey Weinstein ?

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  • Qui est Ronan Farrow, le « tombeur » d’Harvey Weinstein ?

    http://www.lemonde.fr/cinema/article/2017/10/13/ronan-farrow-le-tombeur-d-harvey-weinstein_5200274_3476.html

    Fils de Woody Allen et Mia Farrow, le journaliste et juriste a recueilli des témoignages de victimes du producteur hollywoodien.

    Ronan Farrow, qui a publié dans le New Yorker les ­révélations qui ont fait un paria du producteur Harvey Weinstein, l’un des hommes les plus puissants d’Hollywood, n’est pas tout à fait un journaliste ordinaire. A 29 ans, il a déjà eu plusieurs carrières : diplomate, militant, avocat. Il est aussi fils de stars. Son père est Woody Allen. Sa mère Mia Farrow. Un couple orageux, dont la rupture, en 1992, lorsque le cinéaste est tombé amoureux de Soon-Yi, la fille adoptive de l’actrice, a fait les délices de la presse new-yorkaise à scandales.

    Ronan Farrow n’a jamais pardonné à son père ce qu’il a qualifié de « transgression morale », au point d’abandonner le prénom que le réalisateur lui avait choisi à la naissance – Satchel, comme son joueur de base-ball favori Satchel Paige. Depuis des années, le jeune homme n’a cessé de défendre ­Dylan, une autre de ses sœurs adoptives, qui a accusé Woody ­Allen de l’avoir agressée sexuel­lement alors qu’elle avait 7 ans. Avec leur mère Mia Farrow, la tribu fait corps à chaque fois que le réalisateur d’Annie Hall est invité pour un hommage. En 2015, lorsque son père a présenté son film L’Homme irrationnel à Cannes, Ronan Farrow a signé un texte dans le Hollywood Reporter qui expose son analyse de la couverture – ou la non-couverture – par la presse des accusations d’agressions sexuelles contre les puissants.

    Surdoué

    Quand Ronan-Satchel est né, en décembre 1987, à New York, la famille baignait dans un mélange de bohème multiethnique et de snobisme de l’Upper East Side. A la maternelle, l’enfant avait déjà un psychiatre. Très jeune, il était familier des gros titres et des paparazzis. Ses grands-parents étaient l’actrice irlandaise Maureen O’Sullivan, la Jane du Tarzan Johnny Weissmuller, et le réalisateur australien John Farrow, autre couple en dysfonctionnement chronique. Le fils de stars a toujours été surdoué. A 15 ans, il sortait de l’université Barnard, à New York, le plus jeune diplômé (en biologie et philosophie) de l’histoire de l’institution. A 16 ans, il était admis à la faculté de droit de Yale. A 21 ans, il passait le barreau de New York, tout en travaillant comme chargé du droit humanitaire à la commission des affaires étrangères de la Chambre des représentants. « Je brûlais de faire mes preuves », a-t-il dit au magazine Esquire. Loin de « l’ombre imposante de parents célèbres ». A 23 ans, il rédigeait les discours de Richard Holbrooke, l’envoyé spécial de Barack Obama pour l’Afghanistan. Après la mort du diplomate, il est devenu le conseiller à la jeunesse de la secrétaire d’Etat Hillary Clinton.

    Ronan Farrow n’avait que 5 ans quand il a été pris dans le tumulte du divorce de ses parents. Mia Farrow, l’héroïne du Rosemary’s Baby de Polanski, a toujours mené une vie hors du commun. A 21 ans, elle a épousé Frank Sinatra, qui en avait trente de plus. En deuxième mariage, le compositeur et chef d’orchestre André Previn. Woody Allen l’a fait tourner dans treize de ses films, de Zelig à La Rose pourpre du Caire. Ils sont restés douze ans ensemble, mais ils ne se sont jamais mariés. Militante passionnée, courant d’expéditions humanitaires en séjours au Darfour, Mia Farrow a adopté 11 enfants, parmi les plus déshérités de la terre. En 1992, la tribu – et l’industrie cinématographique – a été secouée par un tremblement de terre lorsque Mia Farrow a découvert chez Woody Allen des photos d’une de ses filles adoptives, nue. Soon-Yi Previn, 21 ans, avait été adoptée en ­Corée à l’âge de 8 ans par Mia et André Previn. Elle a trente-cinq ans de moins que le cinéaste. La liaison a fait scandale.

    Une enquête de dix mois

    Dylan, 7 ans, n’a plus voulu voir son père adoptif. Le traumatisme n’a jamais disparu. Pour la Fête des pères, en 2012, Ronan a publié un Tweet sardonique. « Bonne Fête des pères. Ou, comme on dit dans ma famille, bonne fête des beaux-frères. »

    En 2013, après le département d’Etat, Ronan Farrow a été recruté par MSNBC, la chaîne câblée, pour une émission de l’après-midi censée s’adresser aux « millenials ». Il était trop sérieux. L’émission n’a duré qu’un an. Depuis 2015, il reste sous contrat avec NBC pour des grands sujets d’investigation. L’enquête sur les agressions sexuelles dont est accusé Harvey Weinstein lui a pris dix mois. Il y dénonce un système de couverture des agressions sexuelles à Hollywood, par la presse, les agents, les intermédiaires chargés des relations publiques, aboutissant à une « culture d’acquiescement ». Pourquoi a-t-il choisi de publier son scoop dans le New Yorker plutôt que sur la chaîne qui l’emploie ? Mercredi 11 octobre, les responsables de NBC ont nié avoir refusé son enquête par crainte de nuire à un homme aussi influent qu’Harvey Weinstein. L’enquête n’était « pas publiable en l’état », ont-ils affirmé. Interrogé – sur la même chaîne MSNBC –, Ronan Farrow a réfuté cette explication, soulignant que le New Yorker avait immédiatement accepté le dossier. Il s’est néanmoins gardé d’accuser directement la chaîne d’avoir cédé à des pressions.

    Dans son texte de 2015 au Hollywood Reporter, Ronan Farrow estime que la presse ne saurait s’exonérer de l’écoute des victimes au motif qu’il n’y a pas de plainte. « Notre rôle est encore plus important quand le système légal ne remplit pas sa mission auprès des vulnérables confrontés aux puissants, écrit-il. Souvent les femmes ne peuvent pas ou ne veulent pas porter plainte. Le rôle d’un reporter est celui de porteur d’eau pour elles. » Selon lui, une nouvelle génération de médias, « libérés des années de journalisme d’accès », commence à enquêter sur les agressions sexuelles commises par les « moguls » d’Hollywood ou d’ailleurs. « Les choses changent », assure-t-il.