• Des intérimaires toujours plus précaires, Le Monde économie, Catherine Quignon, 17.10.2017

    L’intérim est de moins en moins un tremplin vers un emploi stable. Les syndicats dénoncent des recours abusifs aux travailleurs intérimaires, les premières variables d’ajustement des entreprises.

    Lors du retour très commenté d’Emmanuel Macron sur le site de Whirlpool à Amiens, le 3 octobre, (http://lemonde.fr/politique/article/2017/10/03/emmanuel-macron-de-retour-a-amiens-aupres-des-salaries-de-whirlpool_5195290_) le président de la République a été interpellé par le député de La France insoumise François Ruffin sur le sort des intérimaires. Si la reprise du site par un industriel picard devrait permettre, à terme, de sauver l’emploi de 277 salariés de Whirlpool, les intérimaires – qui ne sont pas moins de 250 – sont exclus du plan de sauvegarde de l’emploi (PSE).

    En effet, même s’ils travaillent depuis plusieurs années dans la même entreprise, les intérimaires n’entrent pas en compte dans les procédures de reclassement dont bénéficient les salariés en interne en cas de PSE. Leurs indemnités de fin de mission sont également sans commune mesure avec les « gros chèques » (indemnités extralégales) que touchent parfois les salariés sur le départ.

    Plus précaire, leur statut est censé être un tremplin vers un poste stable, mais c’est de moins en moins le cas : seuls 8 % de salariés en intérim en mars 2015 étaient en contrat à durée indéterminé (CDI) un an après, selon l’Observatoire de l’intérim et du recrutement (http://observatoire-interim-recrutement.fr/connaitre-les-interimaires/#section-1_1). Ils étaient 16 % en 2011. Dans les faits, « les intérimaires peuvent enchaîner des missions pour la même entreprise pendant des mois, voire des années », s’insurge André Fadda, de la branche intérim de la CGT.

    Réservé aux intérimaires enchaînant des missions régulières, le CDI intérimaire reste marginal : il concernait seulement 15 300 signatures fin février 2017, selon le dernier baromètre de Prism’Emploi. Une paille en comparaison des 698 000 intérimaires recensés en juillet 2017 par le ministère du travail. Au deuxième trimestre 2017, l’emploi intérimaire est en effet reparti à la hausse dans l’industrie et il est en forte croissance dans le tertiaire (http://dares.travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/2017-068.pdf).

    En théorie, la loi interdit de recourir à un intérimaire sur un poste stable. En pratique, les syndicats dénoncent le recours abusif aux emplois précaires. « Les pouvoirs publics ferment les yeux », s’insurge André Fadda. Les entreprises plébiscitent ce statut : « sur le site de PSA à Sochaux, il y a aujourd’hui plus d’intérimaires non qualifiés que de CDI qui sont recrutés », affirme Franck Plain, délégué CGT.

    Les condamnations pour abus restent rares

    Les condamnations pour abus restent rares : difficile de prouver l’existence d’un emploi durable quand plusieurs salariés se succèdent au même poste ; surtout, les intérimaires portent rarement plainte, espérant être réembauchés un jour. Mais elles existent : en mars, le tribunal correctionnel de Créteil a condamné Sanofi pour abus de recours au travail intérimaire. L’inspection du travail avait répertorié 1 782 contrats de mission en 2010 et 1 853 en 2011, ainsi que 600 infractions au code du travail, rapporte la CGT. En octobre 2016, la société Cordon Electronics, qui employait en permanence 60 % de ses effectifs en intérim selon L’Humanité, a également été condamnée par la cour d’appel de Bordeaux (https://www.humanite.fr/l-abus-dinterim-epingle-par-la-justice-617179).

    « Les CDD et les intérimaires sont les premières variables d’ajustement dans les entreprises », souligne André Fadda. Le non-renouvellement de leur contrat fait rarement les gros titres de la presse. Pourtant, les « charrettes » d’intérimaires peuvent être massives.

    Alors qu’Airbus a annoncé fin 2016 la suppression de plus d’un millier de postes en Europe, chez Airbus Helicopters, « on est passé de 1 000 à 350 intérimaires en quelques mois » , affirme Rémy Bazzali, représentant CGT, dans le quotidien La Marseillaise. A Carquefou, au sein de l’entreprise NOV-BLM, qui comptait jusqu’à 200 intérimaires au plus fort de son activité, tous se sont vus remerciés avant la mise en place d’un plan social, dénonce dans une brochure le syndicat FO.

    Contrats à la semaine

    André Fadda déplore aussi des contrats de plus en plus précaires : « sur les chantiers navals à Saint-Nazaire, quand l’activité a repris à la fin des années 2000, les intérimaires se sont vu proposer à la semaine ou à la journée, alors qu’avant c’était plutôt des contrats de 5 ou 6 mois », raconte le délégué syndical. De fait, au quatrième trimestre 2016, les missions en intérim duraient en moyenne 1,9 semaine, selon le ministère du travail.
    http://dares.travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/2017-027.pdf

    « Cette précarité empêche les intérimaires de faire des projets d’avenir », déplore le syndicaliste. Reste à voir si la taxation des contrats courts, au programme du gouvernement, permettra de limiter les abus.

    L’exploitation vue d’en bas, Le Monde, 25.11.2016, Anne Rodier

    Patrice Thibaudeaux livre un témoignage rigoureux et détaillé, sous la forme d’un journal de bord du travail de nuit dans une usine de métallurgie.

    S’il est de bon ton d’affirmer que « les classes sociales, c’est du passé », la condition ouvrière, elle, appartient bien au présent. Patrice Thibaudeaux en livre un témoignage rigoureux et détaillé, sous forme de journal de bord du travail de nuit dans une usine de métallurgie. Patrice Thibaudeaux y est intérimaire, comme plusieurs de ses collègues. Chaque jour à 6 heures, au retour de l’usine, il raconte sa nuit en quelques lignes. Parce que « la différence des classes commence par le langage », un lexique présente en fin d’ouvrage le vocabulaire des travailleurs de cette usine.

    Dans ce récit, la condition ouvrière prend vie comme dans un vieux roman classique : le travail très physique, parfois jusqu’à « l’abrutissement », les rapports entre ouvriers, tantôt cordiaux et solidaires tantôt agressifs, selon l’humeur et les conditions de travail du moment ; l’ambiance souvent tendue à cause de la fatigue, la violence, l’alcool et la drogue ; et les relations avec les « chefs », les « contremaîtres » et les « huiles de bureau », ceux qu’ils surnomment les « guignols en cravate ».

    Quant à Bob, Germain, Joseph, Maumo, Davy et les autres de ses compagnons, il en esquisse de brefs portraits, leur âge, leurs caractéristiques. Ils viennent presque tous d’un milieu ouvrier, certains de l’Assistance publique. Ils sont parfois paysans le jour et ouvrier la nuit. Mais pour l’auteur, ce qui explique le mieux leurs comportements, c’est leur passé.

    Les « négriers de l’intérim »

    Son témoignage poignant distribue les coups de griffe à la communication d’entreprise qui s’emballe sur les mesures de sécurité et donne des leçons, « comme si les gars prenaient plaisir à enfreindre les règles », comme s’il n’y avait pas d’impératifs de rentabilité ». Ils sont tellement loin de la réalité : « régulièrement des types se font écraser un doigt, se blessent avec un fil de fer », écrit-il.

    Puis vient le tour des « négriers de l’intérim », qui oublient de payer des heures, parfois une nuit entière, plus quelques primes, qui interrompent les contrats l’avant-veille d’un jour férié pour éviter de le payer. Et bien sûr celui d’un encadrement tatillon qui distribue les mises à pied « pour délit de cigarette ». Les ouvriers ne sont pas épargnés : ni ceux qui arrivent « avec un coup dans le nez », ni ceux qui « hurlent des vulgarités », etc..

    Le moral est souvent assez bas, plombé par un sentiment d’impuissance lié à la précarité de l’emploi. La résistance physique ou morale créent parfois des dynamiques de solidarité, mais pour Patrice, la seule issue est « la lutte des classes », car écrit-il : « tout, absolument tout (ou presque), découle d’elle ».

    Après cette longue épreuve qui a marqué l’année 2012, l’auteur passera une licence d’histoire en cours du soir et par correspondance qui lui permettra de faire un autre travail et d’en finir avec l’usine, provisoirement.

    « L’usine nuit et jour, journal d’un intérimaire », de Patrice Thibaudeaux. Editions Plein chant, 222 pages, 12 euros.

    #condition_ouvrière #intérimaires #tertiaire (invisibles #ouvriers) #CDD #variables_d’ajustement #précarité_de_l’emploi #exploitation #guignols_en_cravate #livre

    • PSA : colère des intérimaires de Sochaux et de Rennes qui dénonce une inégalité de traitement
      http://www.boursorama.com/actualites/psa-colere-des-interimaires-de-sochaux-et-de-rennes-qui-denonce-une-ineg

      Les intérimaires multiplient les débrayages depuis deux semaines, selon la CGT.

      Si les intérimaires des sites de Rennes et de Sochaux ont gagné moins d’argent que prévu, c’est parce qu’ils ont effectué moins d’heures supplémentaires en septembre, selon la direction. Le groupe automobile PSA a « formellement » démenti mardi 24 octobre toute différence de traitement et de rémunération entre ses salariés, après des accusations portées par la CGT intérim et -fait rare- des débrayages d’intérimaires.

      PSA précise qu’à Rennes, salariés et intérimaires ont réalisé « moins d’heures supplémentaires en septembre » que les mois précédents, en raison notamment de problèmes d’approvisionnement. Cette situation a eu « un impact négatif de 200 euros » sur la paie des intérimaires, payés au « réel » alors que les salariés de PSA ont un système de compteur temps annuel qui permet de « lisser la rémunération », a expliqué le porte-parole.

      « 1.367 EUROS PERÇUS CONTRE 1.850 EUROS ANNONCÉS »

      Le constructeur dément également que les pauses ne soient pas rémunérées pour les intérimaires et les tenues de travail non nettoyées ou remplacées, comme l’affirme la CGT dans un communiqué.

      D’après la CGT Sochaux, des intérimaires des équipe de VSD (vendredi, samedi, dimanche) n’ont perçu « qu’environ 1.367 euros nets au lieu des 1.850 euros nets annoncés par PSA et les agences d’intérim ».

      D’après le syndicat CGT intérim, une centaine d’intérimaires au total ont débrayé au cours des deux dernières semaines dans les usines PSA de Rennes et Sochaux pour dénoncer une « dégradation de leurs conditions de travail » et « le non-respect de l’égalité de traitement entre salariés à statut et salariés intérimaires », notamment en matière de rémunération.