entretien avec Stefan Kipfer – Période

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  • #Gramsci géographe : entretien avec Stefan Kipfer – Période

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    Dans cet entretien, Stefan Kipfer réalise un tour de force. Non content d’avoir proposé un agenda profondément novateur en géographie critique, en associant Fanon et Lefebvre, Kipfer s’attaque cette fois à Gramsci. Prenant le contre-pied de la focalisation temporelle de Gramsci, autour du concept d’historicisme, le géographe montre l’immense potentiel que le philosophe communiste recèle pour penser l’espace. Jonglant brillamment avec les études gramsciennes sur la question méridionale, sur l’impact de l’urbain ou du rural dans le développement du fascisme, Kipfer n’oublie pas non plus d’aborder toute la littérature secondaire qui a permis de tirer de précieux enseignements sur Gramsci et la postcolonialité, la race et le nationalisme. De ce fait, Kipfer apporte un éclairage particulièrement neuf sur des sujets aussi divers que la géographie populiste de Christophe Guilluy, les révolutions arabes de 2011, la racialisation dans la périphérie de l’Europe, le sociologue islamique médiéval Ibn Khaldoun ou encore le rapport Orient-Occident.

    #géographie

  • Gramsci géographe : entretien avec Stefan Kipfer – Quelques observations sur les révoltes arabes
    Période
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    En quel sens les révolutions de 2011 en Égypte et en Tunisie te semblent-elles pouvoir être analysées à travers le prisme de « l’historicisme spatial » de Gramsci ?

    À l’époque, deux choses m’ont frappé quant à la couverture des médias euro-américains vis-à-vis des soulèvements tunisiens et égyptiens qui ont chassé les dictateurs Ben Ali et Mubarak. Donnant la parole aux soutiens étasuniens et français officiels des régimes en place et à l’hostilité concomitante envers les rebelles, cette couverture médiatique avait bien souvent une connotation raciste-civilisationnelle. Par conséquent, le soulèvement a été perçu comme le reflet des contradictions intemporelles, mais explosives, de la « rue arabe » (une passivité fataliste alternant, de manière imprévisible, avec un fanatisme violent), qui, dans cette vision orientaliste, rendait la domination autoritaire nécessaire au Moyen-Orient. Cette représentation (tout comme les simplicités journalistiques basiques) explique la focale de la couverture médiatique sur les squares et les rues, alors invoqués par les mobilisations de masse : les squares de Tahrir et de Kasbah au Caire et à Tunis, tout comme l’Avenue Habib Bourguiba à Tunis.

    Ce parti pris envers les centres-ville a également été au cœur de certains travaux universitaires bien plus enthousiastes concernant les révolutions politiques de 2011 en Tunisie et en Égypte. Certaines de ces (souvent très bonnes) analyses nous ont permis de voir ces révoltes comme la première (ou peut-être la seconde, après les mobilisations de 2009 en Iran) étape dans une séquence transnationale des révoltes de « squares et de rues » s’étendant au-delà de la Méditerranée (en Grèce et en Espagne) et de l’Atlantique (aux États-Unis, au Canada et au Brésil) puis accomplissant le chemin inverse (Turquie). Afin de rectifier cette lecture à sens unique, Gramsci nous invite à faire deux choses : (1) remplacer les lectures culturalistes des révolutions par des analyses conjoncturelles du changement et de la continuité historiques ; et (2) élargir les lectures étroitement urbaines (c’est-à-dire des métropoles et des grandes villes) par des analyses multiscalaires des révoltes de centres-ville, au sein desquelles la question nationale garde son importance. Ainsi, les soulèvements tunisiens et égyptiens surgissent dans une conjoncture historique marquée par une crise qui combine plusieurs échelles et espaces et articule un éventail de rythmes historiques différents.

    Historiquement, les revendications de « dignité » (pour parler comme Sadri Khiari14) exprimaient la crise politique finale des régimes d’ajustement structurel (et de leurs soutiens impérialistes). En 2010, la capacité de ces régimes à gouverner a été vidée de sa substance par des formes absurdement personnalisées de corruption, ainsi que par la confiance et les capacités collectives de toute une série de contestations précédant 2010-2011 (et qui furent souvent négligés par les médias). Depuis les années 1980, ces régimes avaient déjà reformulé les contradictions de la période nationaliste des années 1950 et 1960 qui avaient atteint leur point cardinal dans les années 1970. Dans cette vision à plus long terme, on perçoit plus clairement les dimensions impérialistes et néocoloniales comparativement plus spécifiques qui ont façonné les récentes révoltes tunisiennes et égyptiennes.

    Géographiquement, on pourrait dire avec Gramsci (ainsi qu’avec Lefebvre) que les aspects les plus visibles des soulèvements — les mobilisations dans les rues de Tunis et du Caire — étaient en eux-mêmes les produits de vastes géographies de lutte. Les manifestants revendiquaient un « droit à la ville » non pas parce qu’ils provenaient de ou souhaitaient l’occupation permanente de l’espace principal des deux capitales, mais parce qu’ils incarnaient des revendications vis-à-vis du pouvoir politique qui exprimaient une convergence des luttes : des grèves et des manifestations dans d’autres quartiers métropolitains ainsi que des espaces sociaux dans les zones périphériques. En Tunisie, les zones les plus connues sont les districts miniers et les villes agricoles situées dans le centre géographique de ce pays au développement très inégal : les secteurs dans et autour de Sidi Bouzid et Gafsa, où les soulèvements débutèrent avant d’atteindre les zones côtières à l’Est (Sfax) et au Nord-Est (Tunis) du pays).

  • #Gramsci géographe : entretien avec Stefan Kipfer

    Dans cet entretien, Stefan Kipfer réalise un tour de force. Non content d’avoir proposé un agenda profondément novateur en géographie critique, en associant Fanon et Lefebvre, Kipfer s’attaque cette fois à Gramsci. Prenant le contre-pied de la focalisation temporelle de Gramsci, autour du concept d’historicisme, le géographe montre l’immense potentiel que le philosophe communiste recèle pour penser l’espace. Jonglant brillamment avec les études gramsciennes sur la question méridionale, sur l’impact de l’urbain ou du rural dans le développement du fascisme, Kipfer n’oublie pas non plus d’aborder toute la littérature secondaire qui a permis de tirer de précieux enseignements sur Gramsci et la postcolonialité, la race et le nationalisme. De ce fait, Kipfer apporte un éclairage particulièrement neuf sur des sujets aussi divers que la géographie populiste de Christophe Guilluy, les révolutions arabes de 2011, la racialisation dans la périphérie de l’Europe, le sociologue islamique médiéval Ibn Khaldoun ou encore le rapport Orient-Occident. L’hégémonie ne s’avère pas seulement être une hypothèse parmi d’autres de l’histoire intellectuelle progressiste : il représente sans aucun doute l’un des agendas les plus féconds pour le subalternes aujourd’hui.

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    cc @albertocampiphoto