• Harcèlement : le ballet de l’Opéra secoué par un sondage
    http://next.liberation.fr/theatre/2018/04/17/harcelement-le-ballet-de-l-opera-secoue-par-un-sondage_1644074
    Une étude interne fait état d’abus parmi les danseurs et met en cause leur directrice, Aurélie Dupont. L’établissement et les intéressés voient dans sa publication une manipulation.

    Lundi, le Figaro a publié le résultat d’un sondage interne, réalisé par la Commission d’expression artistique de l’institution et adressé aux 154 danseurs de la compagnie. Le quotidien met en avant trois chiffres préoccupants : 76,8 % des 108 membres du ballet qui ont répondu ont été victimes ou témoins de harcèlement moral, 25,9 % de harcèlement sexuel et 89,8 % marquaient leur défiance vis-à-vis des méthodes de management de la directrice de la danse, Aurélie Dupont. Un plébiscite inversé contre celle qui, en poste depuis février 2016 après le passage éclair du tournoyant Benjamin Millepied, avait pour mission de rétablir le calme dans une maison qui venait d’être secouée.

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    « Dans ce métier de la danse, il y a parfois des réflexions difficiles, sur l’aspect physique d’une danseuse, sur le fait qu’elle ait mal dansé. […] Quand on parle de relations tendues, de harcèlement moral, on touche à des choses où les frontières sont proches », analyse Stéphane Lissner auprès de l’AFP. La direction veut maintenant une ouverture totale de la boîte de Pandore et cherche à se rendre irréprochable : « Ces allégations sont trop graves, fait-on savoir en interne. Si des gens savent quelque chose, qu’ils parlent. » Sur la question du harcèlement sexuel, le directeur a fait savoir qu’il avait eu à connaître trois cas depuis sa prise de fonctions en 2015. Deux des personnes ont été licenciées et une procédure est en cours pour la troisième.

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    C’est peu dire que la stupeur est grande au sein de la direction de l’institution. Qui se rassure en expliquant qu’il faut voir ce sondage comme un exutoire interne où les protagonistes se sont lâchés. Et dont les résultats auraient été différents si les danseurs avaient su qu’ils allaient être portés sur la place publique. Bizarrement, c’est un des points de convergence dans cette affaire : tant la direction que les membres du ballet estiment s’être fait piéger par la fuite.

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    #harcelement #harcelement_sexuel #sexisme #invisibilisation (par l’emploi du masculin tout le long de l’article) #danse #travail

    • Le directeur du ballet de l’Opéra de Lyon doit passer en justice en novembre pour discrimination envers une de ses anciennes danseuses qui était enceinte. Une affaire qui rappelle la difficulté de combiner carrière et maternité dans un milieu où l’âge de la retraite sonne à 42 ans.

      Le 9 octobre, le site d’investigation Médiacités révélait que le directeur du ballet de l’Opéra de Lyon, Yorgos Loukos, était poursuivi par l’une de ses anciennes danseuses, Karline Marion, pour discrimination et harcèlement. La danseuse, âgée de 35 ans à l’époque, l’accuse de l’avoir écartée dès l’annonce de sa grossesse et d’avoir mis fin à sa collaboration de six ans après son accouchement, en 2014. Une de leur discussion avait été enregistrée par Karline Marion, où il justifiait ainsi son comportement : « Je t’aime beaucoup comme fille, je trouve que t’es gentille, que t’es jolie, que t’as un joli corps, etc. […]. Je pense que si entre 29 et 34 [ans] tu as fait pas mal mais pas beaucoup, c’est pas entre 35 et 40 que tu vas faire plus, en plus avec un enfant […] parce que tu es plus occupée, tu as des choses à faire. » Le tribunal correctionnel étudiera la question le 9 novembre. Pour ce genre de délit, la peine maximale encourue est de deux ans de prison et 30 000 euros d’amende.

      Du côté de cette prestigieuse et ancienne compagnie, où les danseurs bénéficient d’un CDI, les ballerines sont conscientes d’avoir une situation privilégiée et ont constaté une évolution des mœurs à propos de la maternité. « C’est assez récent que les danseuses puissent avoir des enfants sans que cela ne pose de problèmes. Nos prédécesseures ont eu des enfants, elles nous ont ouvert la voie. Il y a douze ans, elles étaient très peu à en avoir et il y a vingt ans c’était même commun de ne pas être mère », raconte Dorothée Gilbert, danseuse étoile et maman d’une petite fille. Cette tolérance à propos de la maternité a notamment été impulsée par l’ancienne directrice Brigitte Lefèvre, restée vingt ans à la tête du ballet. Un flambeau repris par Aurélie Dupont, ancienne danseuse étoile, elle-même mère de deux enfants.

      Mais hors de l’écrin protecteur et doré du Palais Garnier, trouver le moment idéal n’est qu’une des nombreuses barrières qui se posent sur le chemin de la maternité. Dans la plupart des compagnies, les danseuses ne jouissent pas de contrats stables et enchaînent les engagements en intermittence. Brigitte (1), 40 ans, ancienne danseuse contemporaine désormais chorégraphe, a connu cette problématique et n’a pour l’heure pas eu d’enfants. « Ça m’a traversé l’esprit quand j’avais 25 ans, mais tous les trois mois je changeais de lieux, je partais en tournées, c’était trop compliqué. J’étais en plein boom, j’avais un contrat à Londres, à New York. J’ai fait passer mon métier avant car, si j’étais absente, on allait m’oublier. » Au courant de l’affaire de l’Opéra de Lyon, la chorégraphe n’est nullement étonnée : « Les scandales comme celui-ci sont très fréquents. J’ai pu constater des abus avec mes collègues. On leur dit "pas maintenant, l’année prochaine", "on fait une nouvelle création, je ne te prendrai pas si tu décides de faire un bébé". Des amies se sont mises à culpabiliser, à se dire que ce n’était pas le moment, que ce n’est pas un métier fait pour devenir maman. »

      Les changements du corps impliqués par une grossesse et leurs répercussions sont également une forte source d’inquiétude : « On a peur de ce qu’on va devenir après, d’avoir le ventre relâché. On peut nous virer parce que physiquement ça ne marche plus. J’acceptais bien d’être ronde au début, mais c’était plus dur à la fin de ma grossesse, je me demandais si j’allais redevenir comme avant. Retrouver la même forme et le même physique qu’auparavant a d’ailleurs été compliqué. Je me suis enfermée dans une vie complètement différente et me suis laissé aller au niveau du poids, puis j’ai reperdu. Je faisais mon deuil », se remémore Annabel Dubois. Pourtant, comme chez les sportifs de haut niveau, les modifications corporelles et la prise de poids ne sont pas une fatalité : « Pendant la grossesse, j’ai fait un peu attention, je ne mangeais pas des cochonneries tout le temps. Je n’avais que trois kilos à perdre et j’ai été étonnée de voir à quel point mon corps se souvenait de comment il était avant. La reprise n’a pas été si difficile que ça », raconte Dorothée Gilbert.

      Cependant, une fois les étapes de la grossesse et du retour sur scène surmontées, les danseuses se confrontent au problème de la garde lors des tournées ou la nuit au moment des représentations. Véronique Munoz, 39 ans, professeure au conservatoire de Bayonne, a pu compter sur un soutien sans faille de sa compagnie lorsqu’elle était danseuse : « Mon fils avait deux ans quand j’ai été prise au Malandain Ballet Biarritz, je l’emmenais partout lors de mes voyages. J’avais de la chance que le staff s’en occupe pendant les spectacles et quand j’étais sur scène. » Mais pour la plupart des danseuses, peu de choses sont mises en place pour faciliter la garde des enfants. Lors de son intervention au Monde Festival, Aurélie Dupont a évoqué, « sur le ton de la boutade », la possibilité d’ouvrir une crèche à l’Opéra de Paris. Un service tout sauf anodin, qui pourrait soulager d’un poids ces femmes tiraillées entre amour de leur art et désir de maternité.

      #sexisme #travail