• L’intérim, en forte croissance, manque de bras
    http://lemonde.fr/economie/article/2017/10/27/en-france-l-interim-a-bondi-de-12-en-un-an-et-manque-de-bras_5206569_3234.ht

    La pénurie de candidats oblige les agences de travail temporaire à rivaliser d’ingéniosité

    Recherche agent d’exploitation logistique H/F. « L’annonce se déploie en caractères géants sur plusieurs panneaux de quatre mètres par trois dans le centre-ville de Montélimar (Drôme). Il y a urgence : l’intérim manque de bras. » Ces campagnes d’affichage, on les multiplie pour aider nos agences à recruter. Sans cela, on ne pourrait pas satisfaire les demandes des clients « , justifie Grégory Delbaere, responsable marketing et communication chez Proman, une entreprise du secteur.

    Porté par la reprise, le travail temporaire connaît une croissance à deux chiffres cette année. D’après le dernier baromètre de Prism’emploi, rendu public jeudi 26 octobre, les effectifs ont bondi de 12 % au niveau national entre septembre 2016 et septembre 2017. Dans l’industrie, où sont employés près de la moitié des intéressés, la hausse est de 12,6 %. Elle grimpe jusqu’à 20 % dans les transports.

    Et si les ouvriers qualifiés et non qualifiés constituent toujours l’écrasante majorité des troupes, de plus en plus de cadres sont concernés. La direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) du ministère du travail dénombrait un peu plus de 670 000 travailleurs temporaires en août.
     » Même si le phénomène est général, il existe de grandes disparités régionales « , souligne François Roux, président de Prism’emploi. La demande des entreprises est forte en Bretagne (+ 17,7 %), grâce à la filière agroalimentaire, ainsi que dans les bassins d’emploi industriels du Grand-Est et de Bourgogne-Franche-Comté.

    A Montbéliard (Doubs), par exemple, le site de PSA tire l’activité, alors qu’en Ile-de-France, ce sont les sociétés de commerce en ligne, gourmandes en transporteurs, préparateurs de commandes ou caristes.

    Dans ces métiers, le » savoir-être « prime sur les qualifications. Mais les pénuries sont telles que tout est bon pour appâter le candidat : annonces sponsorisées sur les réseaux sociaux, multi—pli-cation des offres sur des plates-formes comme Indeed ou -CVaden, opération ponctuelle dans certaines villes, soutien à des équipes de football…
     » Mauvaise réputation « A Crépy-en-Valois (Oise), Proman a opté pour un bus de l’emploi, annoncé à grand renfort de spots radio et de placards municipaux. Nouvelle venue sur le marché, l’entreprise mise sur la proximité, multipliant les ouvertures d’agences. Elle enregistre cette année une croissance de plus de 20 % de son chiffre d’affaires en Ile-de-France. Pour le responsable régional, François Quesada, » il y a indubitablement un effet de rattrapage par rapport à - leurs - concurrents, mais - il - sent que les carnets de commandes sont pleins. Le décalage d’activité entre les six premiers mois et les six derniers mois de l’année tend à se réduire « .

    Un constat que partage Laurent Duverger, manageur des centres experts industrie et BTP chez Randstad : » Pour des agents de fabrication, par exemple, on a du mal à servir tous les postes demandés, alors que ce ne sont pas des métiers difficiles à pourvoir sur le papier. « 
    Et le besoin de recrutement est d’autant plus nourri que des -métiers traditionnellement en pénurie le restent. C’est le cas des tourneurs, des fraiseurs, des -chaudronniers, des soudeurs, des tuyauteurs, des mécaniciens poids lourds… » Des postes structurellement en tension, parce qu’ils sont peu connus, qu’ils souffrent d’une mauvaise réputation ou que l’éducation nationale a délaissé ces filières « , souligne M. Duverger.

    Pour trouver des rectifieurs – des ouvriers qui utilisent des meules en pierre intégrées dans des machines-outils pour finir d’usiner des pièces au micron près –, Airbus Helicopters, -Randstad et le lycée Le Marais à Saint-Etienne ont créé une formation ex nihilo il y a trois ans. » Tous les stagiaires ont trouvé du travail, affirme Laurent Duverger. Mais le tissu industriel est tellement riche en France que c’est compliqué d’avoir les bonnes ressources au bon moment. « 
    Salaires modestes
    Conséquences de ces évolutions : de nouvelles pénuries apparaissent dans le sillage des avancées technologiques. Dans l’industrie ou le bâtiment, les entreprises -travaillent de plus en plus avec des matériaux composites ou de l’électronique intégré. » On cherche aussi des techniciens de maintenance dans l’éolien, dans le solaire ou la géothermie « , observe le responsable de Randstad.

    Des recrutements d’autant plus difficiles que les salaires sont modestes (entre 1,3 % et 1,4 % du smic en moyenne) et que les formations ne suivent pas toujours, malgré les 380 millions d’euros investis chaque année par les enseignes du travail temporaire, selon des chiffres de Prism’emploi. Le chantier de l’adaptation des compétences aux besoins des entreprises s’annonce titanesque.

    Indicateur avancé du marché du travail, l’intérim en reflète aussi la précarisation grandissante. Faute de trouver des emplois pérennes, de plus en plus de candidats n’ont d’autre choix que de se tourner vers le travail temporaire.
     » Il n’y a jamais eu autant d’intérimaires en France. Ils représentent 4 % de l’emploi marchand, mais un tiers des 500 000 créations nettes enregistrées ces deux dernières années. Et c’est une tendance durable « , observe Mathieu Plane, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), un think tank d’inspiration keynésienne.

    Est-ce parce que les entreprises, marquées par la crise de 2008, -hésitent encore à embaucher en contrat à durée indéterminée (CDI) ? Parce qu’elles attendent l’adoption des réformes du code du travail et de la fiscalité ? Ou parce que le travail temporaire est devenu l’outil privilégié de la flexibilité de l’emploi ? Il est encore trop tôt pour répondre.

    Du côté des grandes enseignes de l’intérim, on se défend de -contribuer à l’accroissement de la précarité. » Mieux vaut un contrat d’intérim qu’un contrat à durée déterminée - CDD - « , répète-t-on à l’envi. Le temps des » négriers « , des » marchands de viande « a vécu.

    Reste que seuls 11 % des intérimaires voient leur contrat se muer en CDI au bout d’un an, selon l’Observatoire de l’intérim et du recrutement. Et, d’après la même étude, le mot » précarité " est le premier qui vient à l’esprit des personnes interrogées pour décrire leur situation. Un travail subi pour 80 % d’entre elles.

    Élise Barthet

  • Mulhouse, l’usine dont PSA veut faire un modèle
    http://lemonde.fr/economie/article/2017/10/26/a-mulhouse-dans-l-usine-dont-psa-veut-faire-un-modele_5206277_3234.html
    Le site bénéficie du plus lourd investissement du groupe : 300 millions d’euros entre 2014 et 2020

    300 : C’est, en millions d’euros, l’investissement 2014-2020 prévu par PSA dans son site de Mulhouse, principal effort financier consenti par le groupe pour moderniser ses usines en France (790 millions au total).

    400 000 : C’est, en nombre de véhicules,la capacité de production que devrait atteindre le site de Mulhouse en 2020 (270 000 actuellement).

    529 : C’est, en euros, la réduction des coûts de production par véhicule depuis 2015 que devrait atteindre le groupe PSA en 2017. -Objectif : 700 euros en 2018.

    Dans les salles de formation attenantes à l’atelier de ferrage, le catéchisme de « l’usine excellente » façon PSA s’étale sur les murs. « En 2016, le coût des retouches s’élève à 2 millions d’euros », dit une affiche. Plus loin, un calicot destiné aux futurs ouvriers de la chaîne résume le credo : « Je m’implique pour garantir la qualité du véhicule. Je suis premium. »

    En ce mardi 24 octobre ensoleillé, c’est bien une usine étiquetée « premium », celle de Mulhouse-Sausheim, que PSA fait visiter à une vingtaine de journalistes cornaqués par Corinne Spilios, la directrice du centre de production. La seule femme (avec Thérèse Joder, à Rennes) à diriger une usine de PSA était pour l’occasion accompagnée de Yann Vincent, patron de la stratégie industrielle du groupe.

    Le lieu n’est pas choisi par hasard : Mulhouse est un site-clé dans l’ensemble industriel de PSA. C’est ici que vient de démarrer la production du véhicule le plus élégant du groupe : la DS7 Crossback, un SUV qu’Emmanuel Macron a sélectionné pour en faire sa voiture présidentielle officielle et qui sera commercialisé début 2018. Mais là n’est pas le plus important. Avant tout, l’usine – et en particulier sa nouvelle ligne d’assemblage – devient une vitrine des meilleures pratiques industrielles de PSA telles que celles voulues par Carlos Tavares, son président : polyvalente, efficace, économe.

    Voici de quoi intéresser le nouvel entrant dans la famille PSA, Opel-Vauxhall, acquis par le groupe français cette année. Les sites de production européens d’Opel ont un niveau de rentabilité médiocre, en particulier, si l’on en croit les experts de PSA, l’usine mère de Rüsselsheim, en Allemagne, et, dans une moindre mesure, l’usine Vauxhall d’Ellesmere Port, au Royaume-Uni.

    Au sein du groupe de journalistes visiteurs, le correspondant en France du Frankfurter Allgemeine Zeitung, l’un des grands quotidiens de référence allemands, n’était pas le moins attentif. Il est à Mulhouse pour faire découvrir à ses compatriotes un modèle français industriel qui a permis à PSA de réduire en moyenne ses coûts de plus de 500 euros par véhicule depuis 2015.

    En quoi consiste la recette de l’usine idéale façon PSA ? Première étape : réduire les frais fixes. Et pour cela, il existe un mot magique : le compactage. Il s’agit de diminuer la surface utilisée pour la production, afin de réduire les dépenses de maintenance, de chauffage et les coûts fiscaux.

    Ce type d’action est loin d’avoir des effets homéopathiques. « Dans notre usine de Sevelnord - Nord - , explique M. Vincent, l’opération va nous faire économiser 100 euros par modèle produit. » A Mulhouse, c’est environ un tiers des 300 hectares de l’usine qui sont soit cédés, soit transformés pour accueillir des fournisseurs et le magasin de pièces détachées au plus près des lignes.

    Le maître mot est flexibilité
    Direction justement cette nouvelle ligne d’assemblage où sont produits les petits SUV Peugeot 2008 et les nouvelles DS7 Crossback. L’endroit est un condensé de pratiques vertueuses. Ici, un fournisseur prépare des tableaux de bord pour la zone logistique. Là, des ouvriers – l’usage est de dire opérateurs – préparent les pièces selon la technique du full kitting (l’ensemble des pièces d’une voiture avancent avec le modèle en cours de montage au lieu d’être placées le long de la ligne). Partout, des robots autoguidés transportent les kits de pièces.

    Mulhouse est l’usine qui bénéficie du plus lourd investissement de tous les sites français du groupe : 300 millions d’euros entre 2014 et 2020 (sur un total de près de 800 millions). Mais pas question de dépenser à tort et à travers. Une partie des robots qui assemblent la carrosserie de la DS7 sont des engins d’occasion trouvés sur la Bourse interne au groupe qui rassemble les actifs dont certains sites n’ont plus l’usage. La débrouille est aussi une vertu.

    Ici, en plus de sobriété, le maître mot est flexibilité. La ligne, qui tourne à une vitesse de 60 véhicules à l’heure, sera capable de produire six modèles différents. Au détriment des conditions de travail, affirment des -représentants du personnel. « Samedis travaillés, soirées rallongées… En matière de flexibilité, on a une longueur d’avance, affirme Jean-Pierre Mercier, délégué central CGT du groupe. Mais les salariés le paient cash. Et la précarité s’ajoute à cette pression : il y a 7 000 intérimaires aujourd’hui dans les usines françaises, autant qu’en 2010, alors que le nombre de CDI est passé de 69 000 à 57 000. »

    « Nous considérons les intérimaires comme des collaborateurs à part entière, répond M. Vincent. Une partie d’entre eux a d’ailleurs signé un CDI avec la société d’intérim. » De toute façon, à Mulhouse, pour les 6 500 salariés (dont 1 000 intérimaires), pas question de réduire les cadences. On parle même d’ajouter une quatrième équipe le week-end en plus de -celles qui font les trois-huit. Mulhouse n’a pas fini de produire des voitures.

    Éric Béziat

    #travail #usine #quatre_équipes #intérimaires