Comment le PKK a piégé les services secrets turcs

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  • Comment le PKK a piégé les services secrets turcs

    http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2017/10/26/comment-le-pkk-a-piege-les-services-secrets-turcs_5206183_3218.html

    L’organisation kurde a organisé cet été un guet-apens au Kurdistan irakien pour arrêter le chef adjoint des opérations du MIT et son responsable de la lutte contre le PKK. Elle les détient toujours.

    L’affaire passe pour l’un des coups les plus durs portés par la guérilla kurde du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) à l’Etat turc, dans le conflit qui les oppose depuis 1984. Durant l’été, le PKK est parvenu à enlever au Kurdistan irakien deux responsables de haut niveau de l’Organisation nationale du renseignement (MIT), les services secrets turcs.

    « Durant l’été, le PKK a réussi l’un des plus beaux coups de son histoire », résume un responsable des renseignements kurdes irakiens. L’opération, qui aurait été menée sans que les autorités locales kurdes en aient été avisées, s’est traduite d’après lui par l’enlèvement, au Kurdistan irakien, du chef adjoint des opérations du MIT et du responsable de la lutte contre le PKK au sein des renseignements turcs, alors qu’ils étaient venus superviser la capture d’un leader de l’organisation kurde.

    Depuis les années 1990, le PKK a établi des bases dans des zones de montagnes reculées du Kurdistan d’Irak, aux frontières de la Turquie et de l’Iran, qui échappent au contrôle des autorités kurdes. Régulièrement visées par des frappes aériennes turques, ces installations, rendues imprenables par un relief très accidenté, abritent des camps d’entraînement, des sites militaires et le quartier général de l’organisation.

    « Le piège s’est refermé sur eux »

    C’est là que se trouve le sommet d’un QG dont les ramifications vont du nord de l’Irak aux grandes villes de Turquie en passant par le nord de la Syrie, soit partout où le PKK et ses alliés contrôlent des territoires, et disposent de cellules clandestines ou de cadres politiques et militaires. Les principaux responsables du PKK y sont basés depuis l’arrestation, par Ankara, de son chef historique, Abdullah Öcalan, en 1999.

    « Depuis que le conflit kurde a repris, en 2015, entre le PKK et la Turquie, le gouvernement turc veut obtenir une victoire comparable à la capture d’Öcalan en arrêtant ou en assassinant un chef du PKK au Kurdistan irakien, explique le responsable des renseignements kurdes. Ils croyaient être sur le point d’y parvenir en août, mais ils étaient infiltrés par un agent double et le piège s’est refermé sur eux. » D’après le récit de cette source, corroboré par un agent d’influence kurde irakien proche du PKK, l’organisation kurde avait placé un de ses membres au cœur des services de renseignement turcs.

    « Depuis plusieurs années, un membre proche du commandement du PKK, qui s’était rendu aux Turcs, fournissait au MIT des informations exactes et de grande valeur sur le PKK, qu’il prétendait avoir collectées grâce à ses réseaux à l’intérieur de l’organisation. Il le faisait en réalité sur ordres des chefs du PKK », raconte la source du renseignement kurde. « Cet agent a acquis la confiance du MIT. Les renseignements qu’il a donnés à ses interlocuteurs ont coûté cher au PKK, mais ses chefs étaient prêts à faire ces sacrifices pour en tirer parti plus tard », explique le proche de l’organisation kurde.

    L’occasion s’est présentée cette année. L’agent du PKK, qui a facilité de multiples succès des renseignements turcs, propose à ses commanditaires du MIT un plan leur permettant de capturer le chef en exercice de l’organisation, Cemil Bayik, 64 ans, un des fondateurs du PKK et le tenant de son aile la plus dure. « Bayik a de graves problèmes de dos. Par l’intermédiaire de son agent, le PKK a fait croire au MIT qu’il allait devoir recevoir des soins dans la région de Souleimaniyé début août et qu’il se déplacerait par discrétion avec une escorte très limitée. » Un plan visant à intercepter la cible est alors mis sur pied avec l’aide de l’agent double.

    Monnaie d’échange

    Une équipe des services de renseignement turcs se rend alors au Kurdistan irakien, et s’installe dans une villégiature prisée des environs du lac Dokan, dont la fraîcheur attire de nombreux vacanciers au cœur du caniculaire été irakien. L’itinéraire que doit emprunter le chef du PKK, fourni au MIT par l’agent double, passe à proximité. « Tout était prévu dans les moindres détails. Un hélicoptère a été stationné dans les environs pour évacuer Bayik. Les Turcs étaient si sûrs d’eux que le chef adjoint des opérations du MIT et le responsable du dossier du PKK avaient fait le déplacement, pour pouvoir ensuite s’attribuer le succès de l’opération. (…) L’agent était présent avec eux », explique la source du renseignement kurde. Le véhicule de Cemil Bayik n’arrivera cependant jamais. Le commandement du PKK, en coordination avec sa taupe, a déployé une unité de combattants qui prend par surprise le groupe d’agents turcs. Les deux responsables du MIT sont pris au piège et emmenés avec leurs hommes vers les bases de montagne du PKK. Après avoir servi le MIT, l’agent infiltré est de retour auprès de ceux qui étaient restés ses vrais commanditaires.

    Le 24 août, au lendemain d’une visite au Kurdistan irakien du ministre turc des affaires étrangères, Bahoz Galali, représentant à Ankara de l’Union patriotique du Kurdistan (UPK), le parti kurde irakien qui contrôle la zone de Dokan, a été expulsé par le gouvernement turc. « Les Turcs veulent que nous fassions l’intermédiaire pour obtenir la libération des deux agents. Nous sommes en contact avec le PKK, mais ils ne veulent rien savoir, indique la source des renseignements kurdes. Ces prisonniers sont un trésor pour eux. » De fait, l’organisation kurde dispose à présent de sources inestimables et d’une monnaie d’échange tout aussi précieuse face à son ennemi turc.