Sa société Public Health Expertise a en effet vu son chiffre d’affaires bondir de 69% en 2020, pour atteindre 1,2 million d’euros. Ses bénéfices ont grimpé de 32%, à 323 220 euros, indiquent les comptes consultés par Capital. Soit une plantureuse marge nette de 26%...
Hasard ou coïncidence ? Cette progression coïncide avec l’irruption de Martin Blachier dans les médias. Depuis le début de la crise sanitaire, il y est intervenu 2.000 fois, selon le Figaro. Il effectue en ce moment une tournée supplémentaire pour promouvoir son premier livre qui vient de sortir (...). Il est le plus souvent optimiste sur l’évolution de l’épidémie, ce qui a fait de lui la figure de proue des “rassuristes”, et apporte un peu de baume au coeur de téléspectateurs excédés après deux ans de Covid. Hélas, ses prédictions rassurantes ne se sont pas toujours réalisées (cf encadré ci-dessous), ce qui lui a valu d’être finalement blacklisté par BFM TV. “Il s’est planté tout le temps sur toute la ligne”, a résumé lapidairement Yonathan Freund, médecin-urgentiste à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière.
Alors, comment expliquer ce bond des résultats ? “La totalité de la hausse du chiffre d’affaires en 2020 provient du recrutement d’un associé senior, qui avait 15 ans d’expérience et un réseau important, et qui a ramené du chiffre d’affaires”. Et aussi à la qualité de ses travaux : “nous sommes la meilleure équipe de modélisation en France, qui est notre spécialité depuis dix ans”. Sur LCI, il avait même affirmé : "mon équipe a des capacités d’analyse de la situation qui sont à peu près supérieures en France, à toutes les autres équipes, mêmes les équipes de modélisation de l’Inserm et l’institut Pasteur".
L’épidémiologiste Dominique Costagliola, grand prix de l’Inserm, l’avait renvoyé dans ses buts : “le discours de Martin Blachier n’est basé sur rien si ce n’est une prétention incroyable". Martin Blachier lui avait répondu : “Dominique Costagliola n’est pas une scientifique de bon niveau et n’a pas produit grand-chose”. Un twittos avait alors relevé que Martin Blachier n’affiche au compteur que 11 publications scientifiques, vingt fois moins que Dominique Costagiola…
Le CV de Martin Blachier lui-même revendique moult expériences (Sanofi-Aventis, Merck, Inserm…), qui en réalité ont été effectuées durant ses études de médecine. L’intéressé explique : “j’ai fait mes semestres d’internat dans des filiales de laboratoires pharmaceutiques - car à l’époque on pouvait y aller en tant qu’interne de santé publique -, à l’Inserm, au ministère de la santé, à la Haute autorité de santé… Puis, à la sortie de mon internat, j’ai créé Public Health Expertise avec trois associés”.
Martin Blachier, qui a en outre fait un mastère à l’Essec, assure qu’être son propre patron lui permet d’être “totalement indépendant”. “Je suis une des rares figures médicales [à l’être]. J’ai pas de corporatisme à défendre. Je ne défends même pas ma société. J’ai la chance de ne pas être dans une institution, et de me dire qu’en disant ça, je vais mettre en difficulté la direction…”, déclarait-il récemment.
Mais sa petite entreprise dépend évidemment des clients qui lui rapportent du chiffre d’affaires. Selon la base de données Eurofordocs, les trois principaux sont Merck (360.900 euros), Johnson & Johnson (275.840 euros) et Gilead (120.600 euros). Jusqu’en 2019, le site web de Public Health Expertise publiait aussi une liste des clients, qui comprenait également l’OMS, la Sécu, le cabinet Ernst & Young, Astra Zeneca, Bristol-Myers Squibb, Eli Lilly, Amgen ou Biogen.
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Ces relations d’affaires suscitent moult critiques. “Il a à la fois l’autorité médicale, ce qui lui donne une certaine aura scientifique et, de l’autre, il est PDG d’une société qui s’occupe de faire des prédictions et veut se placer sur le marché, et qu’il promeut. On peut difficilement être les deux”, a pointé Olivier Joannes-Boyau, professeur d’anesthésie-réanimation au CHU de Bordeaux.
Surtout, plusieurs clients de Public Health Expertise (Astra Zeneca, Janssen, Gilead…) fabriquent des traitements sur le covid, sujet sur lequel Martin Blachier s’exprime en permanence. Notre homme avait notamment pris la défense du vaccin d’Astra Zeneca lorsqu’il est sorti début 2021 : “il est hors de question d’interdire le vaccin Astra Zeneca, et ça n’arrivera jamais”.
Problème : la loi Bertrand sur les conflits d’intérêts stipule que "les membres des professions médicales qui ont des liens avec des entreprises produisant des produits de santé, sont tenus de faire connaître ces liens au public lorsqu’ils s’expriment sur lesdits produits dans la presse écrite ou audiovisuelle”. Mais Martin Blachier assure “ne pas être concerné par cette loi, qui veut prévenir les influences sur le médecin lorsque le médecin prescrit des médicaments, or je ne prescris rien”.
Un argument qui ne convainc pas Yannick Schmitt, président du collectif pour une Formation médicale indépendante (Formindep) : “les conflits d’intérêts ne se limitent évidemment pas à la seule prescription. Si on promeut un médicament inutile ou dangereux pour que d’autres le prescrivent, c’est tout aussi grave que de le prescrire soi-même”.
Mais, droit dans ses bottes, Martin Blachier assurait encore récemment : “je n’ai jamais caché qui j’étais. La seule manière ultime de lutter contre les conflits d’intérêts, c’est la transparence”. On pourrait donc humblement lui suggérer de publier à nouveau la liste de ses clients, comme il le faisait jusqu’en 2019 sur le site web de sa société…
Martin Blachier est connu comme associé-fondateur de Public Health Expertise, un cabinet spécialisé dans les études de santé publique. Il en détient 50%, le solde étant détenu par le co-fondateur et gérant Henri Leleu. Lors d’une récente réorganisation du capital, la société a été valorisée 500.000 euros. Très rentable, le bureau d’études a distribué 1,5 million d’euros de dividendes depuis sa création en 2012. A cela s’ajoute le salaire versé à Martin Blachier, qui s’élevait à 30 496 euros en 2014.
Mais, à côté de cela, le médiatique docteur s’est aussi lancé dans différents projets plus ou moins originaux, mais dont aucun n’a abouti. “J’ai toujours été attiré par le monde de l’entreprise, et je suis entrepreneur dans l’âme, donc j’ai eu de nombreuses aventures entrepreneuriales”, confirme l’intéressé.
D’abord, à la fin de ses études, notre docteur en santé publique tente de lancer une école de management spécialisée dans la santé. “Jean-Marie Goehrs, un de mes tuteurs de stage en internat, voulait lancer un mastère de management en santé, car il estimait que le management est une grande déficience chez les médecins, se souvient Martin Blachier. A la fin de mes études, il m’a proposé de le rejoindre. Mais le projet demandait des fonds importants. Nous avions reçu un bon accueil de l’université de Versailles Saint Quentin, mais celle-ci a eu des difficultés financières, et donc finalement le projet est tombé à l’eau”.
Ensuite, en 2014, Public Health Expertise lance une appli sur les risques de la consommation d’alcool, baptisée One More. “L’application avait été très bien accueillie par les médecins, mais c’était impossible à monétiser, et nous y avons perdu plus de 70.000 euros”, raconte Martin Blachier.
Puis, fin 2019, il crée avec Henri Leleu une agence de conseils en communication digitale, Digimed, qui est liquidée 8 mois plus tard. “Nous n’avons pas eu le temps de nous en occuper, et nous avons finalement laissé tomber”, explique Martin Blachier.
Mais le projet le plus inattendu est un centre esthétique spécialisé dans l’épilation. “Le projet avait été proposé à Henri Leleu et moi-même par Adrien Vidal, un pharmacien qui avait fait un stage à Public Health Expertise”, explique Martin Blachier. En 2015, les trois hommes créent donc une société à leurs initiales, Depil BLV SARL, dont chacun détenait un tiers du capital. Ils ouvrent un centre à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), et achètent pour 26.400 euros une licence Depil Tech. Cette enseigne promet à ses franchisés un retour sur investissement en sept ans, après un investissement initial d’environ 200.000 euros. Mais, au bout de seulement deux ans, les trois associés rompent leur contrat avec DepilTech, ferment le centre d’Issy-les-Moulineaux, et se rabattent sur Paris. Ils ouvrent en 2016 un centre de dépilation boulevard de Sébastopol sous l’enseigne Belle à Paris, puis en 2017 un institut de beauté rue Coquillière intitulé la Clinique du visage. La société recrute 20 personnes, et dépense beaucoup pour se faire connaître sur le web. Las ! Des clientes mécontentes utilisent les comptes Facebook et Instagram pour se plaindre.
“BLV a plutôt bien marché au début, mais s’est effondré avec les grèves SNCF et surtout le covid. Parallèlement, Adrien Vidal est parti en 2018 sur un autre projet”, explique Martin Blachier, qui doit alors reprendre par intermittence la gérance de la société. Finalement, en 2020, il décide de lâcher l’affaire : il ferme le centre du boulevard Sébastopol, et revend au groupe Lazeo celui de la rue Coquillière, qui réalisait environ un million d’euros de chiffre d’affaires. (...)
Les prédictions controversées de Martin Blachier
10 octobre 2020 : “On est sans doute au sommet d’une vaguelette” (la seconde vague atteint son pic mi-novembre 2020)
13 octobre 2020 : "L’entrée en réa semble arriver au sommet de sa courbe, on est à un début de plateau descendant sur l’entrée en réanimation… Les mesures de couvre-feu et de confinement, c’est totalement décalé" (le second confinement démarre le 30 octobre 2020)
1er février 2021 : "Je ne prédis pas une explosion des cas. Je ne pense pas qu’on se reconfinera” (le 3e confinement national démarre le 3 avril 2021, et la 3e vague atteint son pic mi-avril 2021)
18 février 2021 : “Cet été, ce sera terminé”
23 février 2021 : "On entre vraiment dans les derniers mètres les plus compliqués de l’épidémie. On sait qu’il n’y aura pas un nombre de morts beaucoup plus important qu’aujourd’hui" , c’est-à-dire un peu moins de 100.000 morts (au 6 mai 2022, le nombre de morts s’élève à 146.608)
9 mars 2021 : “On a passé un pic et on en est en train de rediminuer” (la 3e vague atteint son pic mi-avril 2021)
30 avril 2021 : "L’hypothèse de variants qui entraîneraient des nouvelles vagues n’est pas confirmée par toutes les études sur la vaccination contre les variants. Plus on avance, plus c’est un épouvantail qui est assez peu probable. Ça reste une hypothèse de moins en moins crédible, qui n’est observée nulle part” .
7 juin 2021 : “L’épidémie va s’éteindre pendant l’été, ca ne risque pas de remonter avant l’automne” (la 4e vague démarre fin juin 2021 et atteint son pic mi-août 2021)
6 décembre 2021 : "Dans notre modélisation, on prévoyait un pic mi-décembre. Noël sera dans une phase de descente de l’épidémie" (lors de la semaine de Noel, le nombre de cas est en hausse de 50%, c’est le début de la 5ème vague)
16 novembre 2021 : “Ça va probablement monter jusqu’à 50.000 nouveaux cas autour du 15 décembre” (le pic est atteint mi-janvier 2022 avec 365.366 cas)
27 décembre 2021 : “Clairement, la vague Omicron cataclysmique qu’on avait prévue n’aura pas lieu.... La vague Omicron n’emmène pas les gens en réanimation” (mi-janvier 2022, au pic de la 5e vague, il y avait 3.985 personnes avec covid en réanimation)
3 janvier 2022 : “L’histoire de la pandémie, elle est réglée… Finalement, cette vague Omicron aura eu très, très peu d’impact sur les pays qui ont été touchés... Omicron, c’était rien… Olivier Véran a dit que la vague Omicron allait remplir tous nos services hospitaliers. Je comprends pas cette vérité qu’il a sortie” (au pic de la 5ème vague, 33.447 personnes avec covid ont été hospitalisées, soit légèrement plus que lors de la première vague).