Sociologie : le danger de la (pseudo) neutralité | Mediapart
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Par Joseph Confavreux
Gérald Bronner prétend, dans son dernier livre, Le Danger sociologique, vouloir sauver la sociologie, au nom de la (neuro)science et de la neutralité idéologique. Son refus d’en faire un « sport de combat » cache plutôt une volonté de la transformer en exercice de soumission à l’ordre existant.
Dans ce nouveau livre, abondamment relayé dans les médias, les auteurs développent une stratégie pernicieuse consistant, sous couvert de défendre la sociologie, prétendûment menacée par l’idéologie et le manque de scientificité, à tout faire pour lui couper les ailes, en la sommant de renoncer à sa dimension critique et de se soumettre au nouvel impérialisme neuronal.
La charge politique est d’autant plus forte que les auteurs accusent « le récit sociologique déterministe » de « déresponsabiliser les individus qui acceptent d’en être les accueillants destinataires » et de les « condamner à une forme de prophétie auto-réalisatrice ». Par un étrange retournement, les sociologues qui s’attachent à mettre en lumière les ressorts de l’ordre existant se trouvent ainsi accusés d’aggraver les inégalités ! Mais les auteurs ne s’arrêtent pas en si bon chemin, puisqu’ils jugent la sociologie de Bourdieu responsable de la montée du complotisme, en estimant qu’il « existe un continuum cognitif ou, si l’on veut, une pente glissante, entre la convocation inconséquente d’entités collectives, le biais d’agentivité, le finalisme, les arguments du cui prodest (à qui profite le crime) et les théories du complot ».
Mais sous la plume de Bronner et Géhin, cette volonté de transformer la sociologie, jugée défaillante, grâce à l’apport des neurosciences pose au moins deux problèmes majeurs. En premier lieu, cette volonté de solliciter la biologie pour comprendre la vie sociale de l’homme est tout sauf nouvelle, alors qu’elle se présente comme un parangon de modernité ; ensuite, elle est aussi tout sauf neutre, contrairement à ce qu’elle prétend. Les neurosciences sociales ne sont en effet que l’ultime avatar d’une longue lignée de travaux visant à étudier le comportement humain et, en particulier, sa vie en société, comme celui d’un animal biologique, dont l’histoire est problématique.
Si l’on s’interdit ainsi de comprendre que le tout n’est pas que la somme des parties, et que le social n’est pas la simple juxtaposition d’interactions bilatérales entre individus, on plonge dans un réductionnisme où les notions d’institutions, d’agencement collectif, de contrats ou de structures sociales n’entrent pas en ligne de compte. À ce titre, Gérald Bronner et Étienne Géhin s’apparentent à des Margaret Thatcher des sciences sociales, convaincus, comme la Dame de fer, que « there is no such thing as society ». Un paradoxe, pour des chercheurs qui revendiquent encore le titre de sociologues…