• « Si la liberté de navigation est bafouée en mer de Chine, elle le sera partout »
    http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2017/10/31/si-la-liberte-de-navigation-est-bafouee-en-mer-de-chine-elle-le-sera-partout

    Le droit de la mer est remis en question par les politiques du fait accompli, selon l’amiral Denis Bertrand, commandant de la zone maritime Pacifique et des forces armées en Polynésie française.

    La frégate Auvergne vient d’effectuer une mission de huit jours en mer de Chine du Sud, passant par les îles Spratleys, mais également, ce qui est plus nouveau pour la marine française, à proximité des îles Paracel, qui sont aussi revendiquées par la Chine. Pourquoi cette navigation ?
    L’importance de cette navigation dans la région est illustrée dans la revue stratégique de la défense nationale qui vient d’être adoptée par le président de la République : elle souligne l’affirmation de la puissance chinoise, son influence régionale, et le développement considérable de ses capacités militaires. Nous avons un point de préoccupation, qu’a rappelé la ministre des armées en juin au Shangri-La Dialogue [le grand rendez-vous des ministres de la défense de la zone Asie-Pacifique] : la défense d’un ordre international fondé sur le droit. Cela vaut pour la piraterie, la prolifération avec la Corée du Nord, les pêches illégales, ou les entraves à la liberté de navigation. L’application de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer est remise en question par les politiques du fait accompli.

    Pour conserver son autonomie stratégique, la France doit préserver sa capacité d’appréciation de la situation. Il nous faut entretenir nos connaissances sur l’évolution des équilibres internationaux et régionaux, les comportements des uns et des autres. Depuis fin 2014, plus d’une dizaine de bateaux français ont ainsi transité dans la région, là où le droit de la mer nous y autorise, y compris dans ces zones contestées. Avec trois mots-clés : lisibilité, constance, équilibre.

    Quel est le bilan de ces transits ?
    Quand on navigue dans de telles zones, on apprend énormément des réactions, comme de l’absence de réactions observée. Nos transits nous montrent que la Chine a des réactions de plus en plus professionnelles, qu’elle est attentive à ce qu’il se…

    #paywall

    La France se met aussi aux mission #FoN #Freedom_of_Navigation

    • L’article de la journaliste embarquée (également sous #paywall, on ne connait pas le détail du passage près des Paracels ou Spratleys (dans les eaux territoriales revendiquées ou pas)

      A bord de l’« Auvergne », en mer de Chine du Sud
      http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2017/10/31/a-bord-de-l-auvergne-en-mer-de-chine-du-sud_5208107_3216.html

      La frégate française a effectué une mission inédite dans les îles Spratleys et Paracel, revendiquées par Pékin.

      #mer_de_Chine_méridionale

    • A bord de l’« Auvergne », en mer de Chine du Sud

      La frégate française a effectué une mission inédite dans les îles Spratleys et Paracel, revendiquées par Pékin.

      Un typhon sévit au nord, le vent dépasse les 75 km/h. Derrière les trombes d’eau qui s’abattent sur le port militaire malaisien de Kota Kinabalu, on devine avec peine les îles ceinturant les eaux chaudes et boueuses de la baie. Le navire de guerre s’arrache du quai entre deux bourrasques, sous un brouillard laiteux. Vendredi 20 octobre, l’Auvergne, la dernière née des frégates de la marine française, file sur la mer de Chine méridionale vers les îles Spratleys.

      Ces récifs proches des Philippines sont convoités par tous les pays de la région, au premier rang desquels la Chine, qui y bâtit des installations en dur. Dans les prochains jours, le bateau poussera jusqu’aux Paracel, au large du Vietnam. Là aussi, Pékin militarise cet archipel disputé qui forme la ligne de défense primordiale de son flanc sud.

      La lutte anti-sous-marine pour priorité

      Les cartes – britanniques – sont sorties sur la table de navigation de l’Auvergne. Les marins français ont tout à apprendre de la mer de Chine méridionale, de ses hauts-fonds plongeant jusqu’à 4 000 mètres. Ici transite la moitié du trafic commercial mondial. Les tensions régionales et internationales montent sous l’effet de la politique d’extension territoriale menée par Pékin, que les Occidentaux qualifient de « fait accompli ». La marine française mène là sa première mission opérationnelle complète jusqu’au nord de la zone. La frégate a pour priorité la lutte anti-sous-marine.

      Les nations qui comptent dans le Pacifique (Etats-Unis, Chine, Russie, France, Australie) assurent toutes ici une présence militaire visible en mer. Ce vendredi, trois frégates russes anti-sous-marines viennent d’arriver à Manille, à la veille d’une réunion des ministres de la défense de l’Asie du Sud-Est.

      « Il y a du monde sous l’eau », convient le commandant Xavier Breitel. Dont, bien sûr, des bâtiments chinois, y compris les sous-marins nucléaires les plus récents de l’Armée populaire de libération. Pékin a justement annoncé le 28 octobre qu’en prévision de déploiements plus nombreux, il allait créer au sein de sa flotte du Sud une unité de sauvetage sous-marine. Si l’Auvergne et son hélicoptère Caïman, avec leurs sonars, détectent un de ces navires, ce serait une autre première. « Un américain, c’est surfait ! », ironise un premier-maître du bord.

      A bord de l’Auvergne, l’on s’interroge : comment les Chinois vont-ils réagir ? Depuis 2015, une dizaine de bateaux français ont navigué près des Spratleys. La marine française a des moyens limités, mais ses passages en mer de Chine se systématisent, avec des missions de renseignement. Bien qu’ils croisent toujours dans les eaux internationales, soit au-delà de 12 milles nautiques (22,2 km) des îles disputées, la moitié des navires français ont été « marqués » par la marine de Pékin : simplement interrogés à la radio ou, plus brutalement, suivis de près par des frégates.

      « Un transit sans agressivité »

      La Chine n’est « pas une menace », rappelle toutefois le commandant à l’équipage. « Il s’agit simplement de passer, comme n’importe quel navire, dans les eaux internationales. Un transit sans agressivité pour faire valoir le droit de navigation », annonce-t-il. La France veut se distinguer des Etats-Unis, qui pratiquent des « opérations de liberté de navigation » en bonne et due forme.

      Les bateaux de guerre américains, en effet, effectuent des tours complets des îlots contestés, sillonnent en profondeur les atolls, dessinent de vastes huits sur les eaux… En août, le USS McCain s’est approché à 6 milles de Mischief (Meiji en chinois), dans les Paracel, pour la troisième « opération » en mer de Chine méridionale menée depuis l’élection de Donald Trump, qui a régulièrement reproché à Pékin ses annexions de fait. Un « acte portant gravement atteinte à la souveraineté de la Chine », a aussitôt réagi Pékin en affirmant avoir « expulsé » le navire.


      La frégate multimissions Auvergne au cours de sa mission en octobre 2017

      L’Auvergne a prévu de naviguer à une distance de 30 et 13 milles des îlots contestés. La frégate commence par progresser discrètement jusqu’au 10e parallèle. Radars et système d’identification coupés, sonars éteints, hélicoptère au hangar, elle n’apparaîtra pas plus grosse qu’un modeste chalutier dans les capteurs adverses. Mais dans un second temps, son attitude sera bien celle, ostensible, d’un bateau de guerre vaquant à ses activités.

      Ce vendredi, les marins sont appelés au poste de combat dès 20 heures. A l’issue de la nuit, fanions, projecteurs et appareils photo sont en place pour d’éventuels échanges avec les militaires chinois. Les mitrailleuses 12,7 mm ont été armées sur les flancs de la passerelle. L’Auvergne se tient prête à une approche. « Je m’attends à être marqué », souligne le commandant. Il faudra alors tout enregistrer. « Derrière, il y a aussi une guerre de l’information. » La subtilité consistera à réagir au nom de la sécurité maritime plutôt que selon les lois de la guerre, sans jamais donner l’impression de se plier à un ordre militaire chinois. « Je resterai sur la même route, à la même vitesse. »

      Marins las

      Samedi 21, le récif de Commodore s’inscrit à gauche de la route sur les écrans de navigation. Dehors, dans la chaleur pesante, seuls des pêcheurs dispersés occupent les eaux. Mais plus haut, à l’approche du récif de Mischief, deux radars chinois sont repérés. Actifs. Puis, à la mi-journée, un troisième. Des échanges de données sont captés. A l’est, un ravitailleur militaire chinois fait également route vers Mischief.

      Le 10e parallèle franchi, comme prévu, la frégate se dévoile. « French warship ! French warship ! », crie le chef du quart sur la radio. Les radars sont de nouveau branchés – les instruments de guerre électroniques chinois ne pourront manquer de les repérer. L’hélicoptère se prépare à décoller, lui aussi avec son sonar, une bouée largable redoutée des sous-marins.

      Mais en retour, nul appel. Nul bateau en route vers l’Auvergne. L’esquive. Depuis la passerelle, on scrute la dizaine de bateaux de bois multicolores qui sillonnent le coin. Ils ressemblent à de vrais pêcheurs, non à des « sonnettes », ces milices armées déguisées en civils qui font office de force avancée chinoise dans les Paracel. Dans l’attente, la frégate s’oblige à garder une route régulière, s’offrant à la houle forte. Changer d’allure, se retourner, virer, sont des manœuvres militaires agressives en mer. « Le problème, à vouloir éviter les pêcheurs, c’est qu’on finit par être radial [perpendiculaire] vers les eaux territoriales ! », remarque un officier de quart.

      Partis depuis deux mois, les marins de l’Auvergne sont las. Cette nouvelle frégate « multimissions », conçue pour un équipage réduit de moitié, use les hommes, et voilà que la veille interminable achève d’éprouver leurs nerfs. L’action se dérobe. Toute la nuit, le sonar actif de l’Auvergne va fouiller la mer, réveillant l’équipage de son sifflement strident.

      « Tremblez dans vos boîtes de conserve ! »

      Dimanche 22 au petit jour, sortie des Spratleys. L’hélicoptère s’envole, sous un ciel plombé, s’assurer que la frégate n’est pas suivie. Quand il a pris son quart en ce début de journée, le « midship » (le cadet des officiers) a promis une belle journée aux sous-marins qui pisteraient l’Auvergne : « Tremblez dans vos boîtes de conserve ! »

      A l’approche de Scarborough, récif que la Chine dispute aux Philippines, un garde-côte chinois est identifié, qui ignore la frégate. Tandis que l’on guette un rendez-vous plus ou moins courtois en surface, les sonars continuent de balayer sans complexe de larges espaces sous l’eau, avec l’espoir d’attirer des adversaires et d’en dévoiler la signature sonore. « Nous faisons le pari qu’en allant à tel endroit, le sous-marin qui se trouve possiblement dans la zone ira à tel autre », explique un officier au poste central des opérations. « Une marine présente ici ne peut pas nous ignorer », précise le commandant. A 19 heures, on pense tenir un sous-marin. Un contact sérieux, classé possible submarine, est enregistré. Furtif, lui aussi.


      La frégate multimissions « Auvergne », en octobre.

      Sur la mer continuellement agitée, la frégate roule, cap vers les Paracel. Lundi, l’hélicoptère est revenu de sa dernière patrouille avec un nouveau contact possible sous la surface. Il en attrape un autre au matin du quatrième jour, mardi. « En matière de lutte anti-sous-marine, ne rien ramener n’est pas forcément un échec. On fait naître le doute chez l’adversaire. Et s’il y avait quelqu’un dans la zone, on l’aura bien embêté », souligne le pilote, A. « Pas de contact direct avec les Chinois, c’est aussi une info ! », lâche l’officier opérations R.

      Pékin compte vingt avant-postes dans les Paracel et renforce ses installations militaires sur huit de ces îles. Le jour suivant, au large de l’île Lincoln, sur l’eau devenue bleu-gris, la frégate dessine une boucle en vue de redescendre vers Singapour, escortée d’une nuée de mouettes chasseuses d’exocets. Au passage du récif de Bombay, dans l’après-midi blanc du mercredi, des radars chinois sont de nouveau repérés.

      Retarder l’échéance

      La réaction chinoise survient soudain quand le bateau, laissant sur son arrière droite la principale base de l’Armée populaire sur l’île de Woody, longe les hauts-fonds Macclesfield. Un avion de patrouille maritime chinois surgit dans les radars, venu du nord-est. La preuve, s’il en était encore besoin, que Pékin envoie ses moyens militaires de surveillance loin de ses eaux territoriales reconnues.

      L’avion vient reconnaître la frégate. « Très professionnel. Le bateau ne s’est jamais senti menacé », juge le commandant Breitel. Dans les airs, le patrouilleur est resté à 12 milles, dessinant un cercle pour contourner l’Auvergne. Puis il a filé vers le sud, avant de remonter plein nord. Et quand, par deux fois, la frégate a modifié son mouvement, par deux fois l’avion a amendé sa trajectoire.

      Bien que restée muette, il se pourrait que la marine chinoise ait suivi l’Auvergne depuis le début de son périple. Et qu’elle ait appliqué un principe du stratège Sun Tzu : « Quand vous agissez, feignez l’inactivité. Quand vous êtes proche, feignez l’éloignement. Quand vous êtes loin, feignez la proximité. » La Chine adapte son attitude aux différentes nations qui sillonnent la zone, souligne l’état-major français.

      Mais entre l’esquive et l’action de force, Pékin exprime sa volonté inébranlable de consolider ses positions sur les Paracel et les Spratleys. « Si la liberté de navigation est bafouée ici, elle le sera partout à court terme », souligne Denis Bertrand, l’amiral commandant la zone maritime française Pacifique. Le risque est de voir un jour la mer de Chine du Sud se fermer comme un lac, prenant en otage les intérêts des autres puissances. En naviguant dans ces eaux chaudes et lointaines, les marins espèrent retarder l’échéance.

    • « Si la liberté de navigation est bafouée en mer de Chine, elle le sera partout »

      Le droit de la mer est remis en question par les politiques du fait accompli, selon l’amiral Denis Bertrand, commandant de la zone maritime Pacifique et des forces armées en Polynésie française.

      La frégate Auvergne vient d’effectuer une mission de huit jours en mer de Chine du Sud, passant par les îles Spratleys, mais également, ce qui est plus nouveau pour la marine française, à proximité des îles Paracel, qui sont aussi revendiquées par la Chine. Pourquoi cette navigation ?

      L’importance de cette navigation dans la région est illustrée dans la revue stratégique de la défense nationale qui vient d’être adoptée par le président de la République : elle souligne l’affirmation de la puissance chinoise, son influence régionale, et le développement considérable de ses capacités militaires. Nous avons un point de préoccupation, qu’a rappelé la ministre des armées en juin au Shangri-La Dialogue [le grand rendez-vous des ministres de la défense de la zone Asie-Pacifique] : la défense d’un ordre international fondé sur le droit. Cela vaut pour la piraterie, la prolifération avec la Corée du Nord, les pêches illégales, ou les entraves à la liberté de navigation. L’application de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer est remise en question par les politiques du fait accompli.

      Pour conserver son autonomie stratégique, la France doit préserver sa capacité d’appréciation de la situation. Il nous faut entretenir nos connaissances sur l’évolution des équilibres internationaux et régionaux, les comportements des uns et des autres. Depuis fin 2014, plus d’une dizaine de bateaux français ont ainsi transité dans la région, là où le droit de la mer nous y autorise, y compris dans ces zones contestées. Avec trois mots-clés : lisibilité, constance, équilibre.

      Quel est le bilan de ces transits ?

      Quand on navigue dans de telles zones, on apprend énormément des réactions, comme de l’absence de réactions observée. Nos transits nous montrent que la Chine a des réactions de plus en plus professionnelles, qu’elle est attentive à ce qu’il se passe, qu’elle surveille.

      Par ailleurs, la plupart de nos déploiements comportent des escales en Chine. Notre attitude s’inscrit dans une relation de grand pays à grand pays. Nous sommes capables de nous dire les choses franchement, tout en ayant une bonne relation de dialogue. Je me déplace dans tout le Pacifique plusieurs fois par an. J’ai des entretiens bilatéraux réguliers avec des responsables chinois de l’Armée populaire de libération (armée de terre, marine, armée de l’air), des garde-côtes, et de la coopération internationale. Le message de la France est compris.

      Faut-il déployer plus de navires en mer de Chine, sachant que les moyens français sont limités ?

      Nous faisons déjà beaucoup. La France est le seul pays européen du Pacifique. Le seul à y maintenir en permanence des forces, et à y déployer chaque année des bateaux militaires de premier rang. Envoyer l’Auvergne, l’un des meilleurs bâtiments de lutte anti-sous-marine du monde, est un investissement pour affirmer notre présence et entretenir notre autonomie stratégique. Le ministre de la défense Jean-Yves Le Drian avait incité les Européens à faire de même. Si la liberté de navigation est bafouée ici, elle le sera partout à court terme.

      Nous ne sommes pas du tout dans une logique d’escalade. Mais nous sommes attachés à suivre les équilibres d’une région où quatre nations membres du Conseil de sécurité de l’ONU voisinent : la France, les Etats-Unis, la Chine et la Russie.

      Dans le même temps, deux frégates chinoises ont fait escale à Toulon ces derniers jours. Pourquoi ?

      La Chine a fait la démonstration de ses capacités océaniques acquises ces dernières années. Ses groupes navals déployés en Europe, dans l’océan Indien ou dans le Pacifique témoignent de cette accélération. La présence de navires chinois en France traduit une relation mature entre deux grands pays liés par un partenariat stratégique fondé sur un principe de réciprocité.