Grand Paris : à Aubervilliers, « on va nous remplacer par des gravats »

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    • @raspa Super article, où l’on retrouve Juliette Rousseau, pas étonnant !
      Ce passage :

      Comme l’a montré récemment la lutte des Amérindiens de Standing Rock contre le pipeline Dakota Access, elle dénonce la surexposition des populations pauvres et racisées aux nuisances environnementales, qualifiée de « racisme environnemental ».

      avec le concept de racisme environnemental, ouvre de sacrés perspectives d’action commune, dont j’avais pas forcément pris conscience en voyant Rise, alors que c’est pourtant évident : le NIMBY ou lutte contre les GPII des classes moyennes ou supérieures blanches étant bien plus efficaces (= entendues des décideurs) que les mobilisations des populations racisées / autochtones / pauvres, c’est près de chez elles qu’on met les pipe-lines polluants, les usines SEVESO, les poubelles nucléaires ou les autoroutes. Et c’est clairement sur la dénonciation de cet état de fait qu’il y a moyen de créer des ponts.
      Je me souviens d’une chercheuse nantaise sur les questions de développement durable, Hélène Combe, qui affirmait très franchement que si le quartier Malakoff avait été autre chose qu’un quartier populaire à fort taux de population étrangère, la grosse voie sur berge aurait disparue au moment de la rénovation du quartier, au profit d’une voie « mobilité douce et voitures dans un petit coin », et que le pont Tabarly n’aurait pas existé sous cette forme...

    • @raspa Et pour poursuivre sur le sujet...
      Ghassan Hage : « Les réfugiés sont traités comme des déchets non recyclables » - Page 1 | Mediapart
      https://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/231017/ghassan-hage-les-refugies-sont-traites-comme-des-dechets-non-recyclables?o

      C’est dans cette continuité mais avec une autre approche, nourrie de l’anthropologie de Philippe Descola et d’Eduardo Viveiros de Castro, que le chercheur libano-australien Ghassan Hage écrit aujourd’hui qu’« on ne peut pas être antiraciste sans être écologiste, et inversement ». Dans un livre très original et sans doute fondateur, il tente de démontrer que le racisme a des conséquences écologiques désastreuses. Le racisme est-il une menace environnementale ? demande le titre de son ouvrage en anglais. En français, les éditions Wildproject ont préféré l’intituler Le Loup et le musulman pour insister sur la forme spécifique de racisme qu’est l’islamophobie étudiée par Ghassan Hage.

      « Le racisme n’est pas une menace écologique uniquement parce qu’il a ici ou là un impact sur la crise environnementale de l’extérieur, ce qui est le cas, mais aussi parce qu’il l’intensifie de l’intérieur », écrit-il. Dans sa lumineuse postface, le philosophe Baptiste Morizot résume ainsi le livre de Hage : « Ce ne sont pas les autres qui font problème (les étrangers, les vivants), ce n’est pas nous par essence (nous serions méchants, malades, déchus), ce sont les relations de nous à eux, l’entre : ce sont les modes cristallisés par l’histoire qui sont le point du problème. De là, les convergences des luttes deviennent limpides. » Ces convergences, dans le concret des luttes, ne sont en réalité pas si simples à établir. Ce pourrait être un programme de travail pour la reconstruction des écologies politiques.

    • @raspa Toujours dans le même esprit... Sous le béton du Grand Paris, les pauvres qu’on expulse plus loin :
      Grand Paris : à Aubervilliers, « on va nous remplacer par des gravats » - Page 2 | Mediapart
      https://www.mediapart.fr/journal/france/311017/grand-paris-aubervilliers-va-nous-remplacer-par-des-gravats?onglet=full

      Mais ces territoires de conquête de la promotion immobilière ne sont pas vides. Leurs habitants vivent de revenus modestes, parfois presque inexistants, dans les communes pauvres de la périphérie parisienne. Bénéficieront-ils de ce déversement de béton et d’argent ? Ou seront-ils forcés de quitter leurs quartiers au fur et à mesure qu’ils s’améliorent ? La question paraît caricaturale. L’expérience des expulsés du métro d’Aubervilliers est cependant brutale. « Je compare ça à perdre son boulot, décrit une habitante de l’immeuble qui doit être détruit. C’est le même désarroi. Il est hors de question qu’on recule plus loin dans la métropole. C’est un choix de vie. Je bosse ici, j’ai fait toute ma vie ici. On vit depuis cinq ans avec les travaux de la ligne 12 du métro, ils ont des conséquences sur notre vie quotidienne. En 2025, on passera devant ce qui aura été construit à la place de notre immeuble. On regardera qui habitera là. Et nous, on sera où ? »

      Expliqué par les joies des montages financiers public-privé, de la rentabilité de projets au coût exorbitant :

      Sur le fond, toutefois, l’établissement public de l’État à caractère industriel et commercial, créé en 2010 par la loi sur le Grand Paris, dispose de prérogatives extraordinaires. En plus de la maîtrise d’ouvrage des lignes et des gares, il peut exercer des compétences d’aménageur dans un rayon de 400 mètres autour des futures stations de métro. Concrètement, il peut ainsi racheter, exproprier, démolir et revendre du foncier aux opérateurs immobiliers, sous la forme de droits à construire. Les parcelles sont revendues à un prix correspondant à la valeur acquise grâce aux nouvelles infrastructures, soit nettement au-dessus de ce qu’elles valaient précédemment. La culbute financière va fournir à la SGP des moyens supplémentaires pour payer des opérations très coûteuses, pouvant atteindre 35 milliards d’euros pour l’ensemble des lignes.
      [...] À Aubervilliers, « on pourrait construire la gare sans développer de projets immobiliers connexes, les financements ne sont pas les mêmes », assure Anne Bonjour. Mais pour Anthony Daguet, premier adjoint à la maire communiste d’Aubervilliers, Meriem Derkaoui : « C’est le modèle économique de la SGP. Ils équilibrent une partie de leur budget avec la construction de logements. »

      Alors qu’évidemment et comme toujours, il y avait moyen de faire autrement :

      Avant que la SGP ne devienne maître d’ouvrage, le Stif avait proposé un autre schéma pour le Grand Paris, avec des gares plus modestes, souvent souterraines. « Il n’y avait aucun esprit de grands gestes architecturaux. Ce n’était pas du tout la même logique », décrit l’élu. À Aubervilliers, dans cet ancien projet, l’immeuble de la rue Ferragus était conservé.

      Mais bon, nos ami⋅e⋅s dirigeant⋅e⋅s et géants du BTP ne vont pas renoncer au plaisir de gentrifier hein...

    • @georgia je n’ai pas lu la totalité des articles que tu cites, juste les parties citées.

      On passe de l’anti-racisme et de l’environnementalisme... à l’urbanisme ! mais évidemment, tout est lié. J’ai parfois eu des discussions avec des étudiants en urbanisme et cette dimension sociale et politique était très présente dans leur tête (bon après, c’était quand même des gens du milieu associatif / solidaire / ESS et comme souvent, je pense que les gens intelligents se font damer le pion par les gens âpres au gain, dans ce milieu comme ailleurs). En tous les cas, dans la façon dont les villes sont imaginées et aménagées, on peut retrouver le racisme des institutions politiques.

      Le point commun entre le racisme, le sexisme, le capitalisme, la destruction de l’environnement... on en revient toujours à la notion d’exploitation. C’est très fermement ancré dans notre culture (on en trouve des traces dan les textes religieux) cette idée que la Terre a été donnée au bon homme blanc pour qu’il en tire sa subsistance, sa prospérité. Ce « droit » a été étendu à l’exploitation de tout ce qui n’est pas un bon homme blanc. Comme c’est dit dans ton premier extrait, il y a un problème dans la « relation », la façon dont cet archétype dominant interagit avec tout ce qui l’entoure - sur un mode essentiellement de prédation et d’exploitation.

      Un autre élément sur le racisme environnemental et le colonialisme au sens « faire chez les autres ce qu’on n’a pas le droit de faire chez nous » : le fait qu’un certain nombre de pays pauvres sont les poubelles de recyclage de l’Occident, y compris de matériaux toxiques ou radioactifs. L’environnement des pays pauvres, la santé de leur population, leur équilibre écologique, la protection de leur patrimoine naturel... n’est pas jugé comme aussi important que les mêmes questions concernant les pays riches - à l’exception peut-être de la protection de la nature, parce qu’il faut bien des photos de pandas et de bébés tigres pour attendrir le coeur de nos têtes blondes... cf le safari, le reste du monde comme terrain de jeu et de découverte). Et encore dans ce cas-là, les « protecteurs de la nature » peuvent faire preuve d’un racisme et d’un colonialisme incroyable.

      Maintenant, ce qui peut paraître difficile, c’est de faire le lien entre ces réflexions globales (ou ces luttes locales qui se déroulent dans des contextes radicalement différents d’ici, comme à Standing Rock) et la réalité du racisme institutionnel aujourd’hui en France. On en revient à l’urbanisme et de façon générale, à la politique de la ville. Mais dans tous les cas il n’est pas possible d’avoir une compréhension des enjeux écologiques et de leur intrication avec les enjeux sociaux et raciaux sans vivre là où ces enjeux se cristallisent : l’exemple de l’ouverture des bouches d’égout en été (et de la perception qu’en a eu le militant écolo lambda) le montre bien.

      Bref. Il faut multiplier les occasions pour que le mouvement environnemental-climatique-écolo-sauveur-de-pingouins puisse entendre la situation des quartiers populaires et les analyses des personnes racisées sur les enjeux climatiques.