• Militer : une activité safe ? Pour une critique politique de la notion d’espace safe - Contre-attaque(s)
    http://contre-attaques.org/magazine/article/militer-une

    Penser l’espace safe est une part importante de la légitimation des groupes luttant contre des oppressions, quelles qu’elles soient d’ailleurs. En plus des attentes en termes de luttes contre les violences systémiques et institutionnelles, la question du safe dans la construction de ces espaces revient souvent, répondant aux besoins de membres qui sont - pour la plupart - passés par d’autres organisations et qui ont dû faire face à la reproduction de mécanismes de domination en interne. La détermination dont font preuve certaines organisations militantes dans leur refus de confronter politiquement les violences racistes, hétéro-patriarcales ou classistes internes ; les injonctions aux “don’t ask, don’t tell” qu’il faut comprendre ainsi “on veut bien de vos forces pour travailler à la mobilisation, faire les petites mains mais en cas de problème, débrouillez-vous”, en plus de refuser la politisation de certaines questions considérées comme minoritaires, ne font que renforcer l’individualisation des questions de violence et poussent littéralement certain-e-s militant-e-s vers la sortie. Comment des collectifs qui sont censés engager un combat qui demande le recrutement, des débats internes et aussi externes, peuvent s’engager à être de tout temps, en tout lieu, un espace safe ? Les mots de bell hooks permettent un rappel salutaire quant à l’objectif d’un mouvement politique.

    • L’exemple le plus parlant et le plus répandu est celui des groupes dits informels affinitaires basés sur la politisation, légions sur internet. Ces groupes n’ont d’“informels” que l’intention de départ, car en réalité des règles implicites très fortes régissent ces groupes : le vocabulaire à utiliser, les personnes qui y sont le plus influentes, les antécédents que certaines personnes peuvent avoir avec d’autres, etc. Les interactions avec des individus partageant une même analyse peut laisser croire à une pratique radicale alors qu’il n’y en réalité aucune action de transformation de l’ordre social.

      […]

      bell hooks :

      Souvent, l’approche liée à l’identité et au style de vie est séduisante car elle crée l’impression d’être engagée dans une pratique. Cependant, au sein de n’importe quel mouvement politique qui vise à transformer radicalement la société, la pratique ne peut pas uniquement se résumer à créer des espaces au sein desquels des personnes supposées radicales expérimenteraient la sécurité et le soutien. Le mouvement féministe pour mettre fin à l’oppression sexiste engage activement ses participantEs dans un combat révolutionnaire. Et un combat, c’est rarement safe et agréable.

    • La mise en pratique du concept du safe dans son acception libérale n’est pas gage de défense politique des personnes les plus marginalisées mais de performance de comportement. Ces performances passent par l’utilisation de lexiques qui sont en conformité avec les critères du safe définis par chaque groupe. On assiste ainsi à la constitution d’espaces extrêmement individualisants dont toute l’énergie passe dans le maintien de cette “sécurité” et où quelques chanceux parviennent à créer des liens mais sans forcément produire d’effet sur les luttes. Dans ces espaces, chacun est renvoyé à sa propre démarche d’être safe pour les autres : le discours militant prônant le changement de système est substitué par un discours sur la construction d’îlots d’individualités qui interagissent. On passe du collectif à l’individuel, du macro au micro. Dans le système de l’espace safe, la personne contrevenante est d’ailleurs renvoyée à l’extérieur, “le non safe”.

      Vraiment super article

      #libéralisme #individualisme #performance