À lire un extrait de « Paniques identitaires », de Laurence de Cock et Régis Meyran – CONTRETEMPS

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  • À lire un extrait de « Paniques identitaires », de Laurence de Cock et Régis Meyran
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    Par « panique identitaire », nous désignons un cas particulier de panique morale. Ce concept a été inventé par le sociologue Stanley Cohen[3] à partir de l’analyse d’une bataille relativement anodine entre mods[4] et rockers sur la plage de Clacton (Angleterre, 1964) qui avait pris des proportions délirantes dans la presse – jusqu’à être présentée comme une « invasion » de hooligans menaçant le pays. Cohen définit la panique morale par la forte préoccupation de l’opinion publique (mesurable par des sondages) vis-à-vis d’un groupe dont le comportement est vu comme une menace pour les valeurs de la société ou pour l’existence même de cette société. Un tel groupe suscite l’hostilité : il est vu comme un ennemi, comme le Mal incarné, qu’il est nécessaire de combattre pour le bien de tous. Pour qu’il y ait panique morale, il faut un consensus assez large au sein de la société ou au sein de certains groupes sociaux quant à la réalité de cette menace. Mais la peur suscitée par la menace est complètement disproportionnée par rapport à sa réalité, et toutes les données sont exagérées : nombre de victimes ou d’agresseurs, coût des dégâts matériels, etc. Enfin, Cohen décrit ce phénomène comme volatile – pouvant apparaître et disparaître en un rien de temps. Il suppose en outre l’existence d’entrepreneurs de morale[5] qui contribuent à la diffusion de la panique morale (notamment dans le monde des médias ou chez les politiques).

    Nous définissons quant à nous un type particulier de ces paniques morales : la panique identitaire, qui met en jeu à la fois les représentations de soi d’un groupe social – sa supposée identité, pensée de façon essentialiste et culturaliste[6] – et la perception que ce groupe a d’un autre groupe social – pensé lui aussi de façon essentialiste et culturaliste, présenté comme une menace et dès lors diabolisé. L’affaire du burkini, que nous avons évoquée, peut en ce sens être considérée comme une panique identitaire : le groupe perçu comme inquiétant étant « les musulmans », le groupe d’appartenance idéalisé étant « la vraie France » (sous-entendue blanche, chrétienne, « de souche », etc.), les entrepreneurs de morale se nommant Nicolas Dupont-Aignan, Manuel Valls ou Florian Philippot – ainsi qu’un certain nombre d’éditorialistes qui leur ont emboîté le pas.