Pauvreté, crise du climat et agrocarburants

/revue-multitudes-2008-3-page-217.htm

  • Article de 2008.

    Pauvreté, crise du climat et agrocarburants | Cairn.info
    https://www.cairn.info/revue-multitudes-2008-3-page-217.htm

    Nous allons à la famine ! Ce titre d’un des premiers livres de René Dumont anticipait de trente et un ans celui de son dernier livre, Famines, le retour, et la réalité de cette année 2008. René Dumont, l’un des plus grands agronomes du XXe siècle et fondateur de l’écologie politique, prophétisait qu’un modèle de développement productiviste, guidé par la loi du profit, aboutirait nécessairement à des famines généralisées.

    « Chez nous », il n’y a pas de famine. Simplement la hausse des prix. Mais pas de tous les prix : pas d’inflation cumulative comme dans les années soixante-dix. Une hausse des prix des produits de première nécessité : alimentation et énergie, postes principaux des dépenses des moins riches. Mais dans les pays déjà pauvres, cela signifie déjà que, sans catastrophe naturelle particulière, on ne puisse déjà plus manger à sa faim. L’image de la famine actuelle n’est plus le ventre ballonné des enfants des camps de réfugiés fuyant la sécheresse au Sahel. C’est l’image des émeutes de la faim dans les « pays les moins avancés ».

    Le dernier rapport de la FAO signale que trente-sept pays sont actuellement victimes d’une grave crise alimentaire, alors même que la plupart ne sont pas touchés par un « accident climatique » particulier (sécheresse exceptionnelle, inondation). Non : ils ont simplement abandonné, sous injonction des organismes internationaux, leur souveraineté alimentaire. Ils doivent importer leur nourriture de grands pays exportateurs qui eux-mêmes commencent à ressentir le changement climatique. Et ils sont de plus victimes du conflit pour l’usage des terres, identifié par les « 4 F » : Food, Feed, Forest, Fuel (alimentation humaine, cultures pour l’alimentation du bétail, protection des forêts et de la biodiversité, et culture destinées à être transformées en carburant). Depuis deux ans, le prix mondial des aliments a explosé, sous le coup de quatre facteurs : le changement climatique, la hausse du prix des carburants, l’apparition de nouvelles couches moyennes dans les pays « émergents » qui se convertissent à la viande (pour obtenir la ration de protéines dont l’être humain a besoin, il faut quinze à vingt fois plus de surface agricole, si l’on consomme des protéines animales plutôt que des protéines végétales) et… le développement des agrocarburants pour « nourrir les voitures ».

    Ce développement des agrocarburants n’a pas seulement pour effet de réduire à la famine les plus démunis. Il se fait au détriment des droits sur leurs terres des communautés paysannes (pensons aux 4 millions d’hectares volés par les paramilitaires colombiens et replantés en palmiers à huile). Il se fait au détriment de la biodiversité, des dernières forêts primitives, comme en Indonésie où disparaissent les écosystèmes des orangs-outangs, des zones floristiques de l’Union européenne…