« Les femmes sans abri ont peur des viols, elles se cachent »

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    Après avoir passé dix-sept ans dans la rue, Anne, 48 ans, est aujourd’hui bénévole au sein d’une association qui vient en aide aux SDF. Elle raconte à « Libération » ses années d’errance, décrit la vulnérabilité des femmes sans domicile fixe. Et comment elle s’en est sortie.

    Après avoir été victime d’inceste, Anne s’est retrouvée, à 18 ans, sans toit. Aujourd’hui âgée de 48 ans, elle est logée dans un appartement HLM et enseigne le français à des adultes étrangers. Mais cette mère de deux enfants se consacre avant tout à Entourage, une association d’aide aux SDF. Son but : sensibiliser le public à l’importance de la communication avec les sans-abri. De sa situation actuelle, elle dit : « C’est vrai que je fais encore la manche de temps en temps. Mais avant, quand un homme me proposait de me donner de l’argent contre une "faveur", je disais oui parce que j’étais bien obligée. Aujourd’hui, j’ai le choix. » Retour sur ce sauvetage, et l’errance qui l’a précédé.

    A quoi ressemble le quotidien d’une femme sans abri ?
    Pour être la plus discrète possible, je me cachais tous les soirs, sous un pont, sur les quais. Je résumerais mes années de rue en trois périodes. D’abord, les viols. J’ai été en état de choc pendant mes trois premières années. Je ne parlais plus. Black-out total. Ma seule action de la journée, c’était de manger. J’avais honte de mon corps qui s’était fait violer. Ensuite, j’ai rencontré d’autres femmes SDF, et ça allait un peu mieux. Puis, je suis tombée amoureuse d’un homme sans abri. Malheureusement, être avec lui ne m’a pas protégée pour autant des agressions. On se faisait tous les deux violer.

    Enfin, la troisième période c’est quand j’ai eu mon premier enfant. Réussir à le garder a été mon combat de tous les jours. La Ddass [Direction des affaires sanitaires et sociales] voulait me le prendre. Quand vous êtes une femme SDF, vous n’avez pas le droit d’être mère. Alors, elles ne font pas de papiers à leurs enfants, ce qui donne lieu à des accouchements sauvages. Elles ne peuvent pas non plus les inscrire à l’école, c’est un cercle vicieux.

    Selon le Samu social de Paris, 22 % des SDF de la capitale sont des femmes. Ce chiffre vous étonne ?
    Oui, parce que je pense qu’elles représentent plutôt 40 %. Les gens ne se doutent pas que les femmes sans abri peuvent être si nombreuses, car ils ne les voient pas. Elles ont peur des viols, des racketteurs, alors elles se cachent dans des parcs, des bibliothèques, des piscines gratuites. A Paris, elles n’ont que deux lieux d’accueil d’urgence non mixtes. Les femmes SDF n’ont aucune chance de s’en sortir. Elles ont peur d’aller dans des centres mixtes. Je me suis déjà fait violer à l’intérieur même de ces refuges. Alors, quand on est sans abri, on préfère la rue. Les femmes s’isolent et deviennent des proies plus faciles. Leur dédier plus de centres d’accueil, qui soient dirigés uniquement par des femmes bénévoles, est une urgence.

    Vous n’êtes plus dans la rue depuis treize ans. Qu’est-ce qui vous a sauvée ?
    Les gens de mon quartier. Une femme médecin en particulier. Elle passait tous les jours devant moi et venait me voir régulièrement. Elle m’auscultait et m’aidait à soulager mes douleurs. On a développé une vraie relation. C’est ce lien qui m’a sauvé. Elle a été mon repère. J’avais simplement besoin qu’on me parle. Cette femme a d’ailleurs longtemps été mon médecin traitant lorsque j’ai réussi à trouver un logement. Les SDF, en France, ne meurent pas de faim, mais d’isolement, et de manque d’hygiène médicale. Seuls 5 % des sans-abri sont visibles. C’est de cette manière qu’on peut les repérer, puis les aider : en développant une vraie relation avec les SDF de votre quartier, en allant les voir tout le temps.

    Comment peut-on réussir à se reconstruire après ce que vous avez subi pendant ces dix-sept ans de rue ?
    Avant tout, grâce à mes enfants. Ils sont mon moteur. Grâce à eux, j’ai réussi à survivre. Ils savent tout sur ma vie d’avant, sur les viols, et sont fiers de moi.Ils font même régulièrement des maraudes pour venir en aide aux sans-abri. Ensuite, il faut se créer des amitiés, même si c’est difficile : quand on vit aussi longtemps dans la rue, une autoprotection se développe dans la solitude. On ne fait plus confiance à personne. Mais être entouré par des amis bienveillants est malgré tout indispensable. Un autre moyen auquel on pense moins, c’est Facebook. Pour certaines de mes amies SDF, ça a été une façon de garder contact avec leurs proches, même si, souvent, elles ne leur disent pas qu’elles sont sans-abri. Pour moi, Facebook a été un bon convecteur pour trouver de l’aide, c’est ce qu’on appelle la « cyber-mendicité ». Enfin, bien sûr, il y a le suivi psychologique, même si le processus est très lent. Depuis que j’ai quitté la rue, je suis suivie par une psychologue. Mais comme vous pouvez le voir, je continue à pleurer encore aujourd’hui.

    Vous êtes bénévole pour Entourage, une association d’aide aux SDF. Quelles sont vos missions ?
    Sensibiliser. C’est quoi être SDF ? Comment aider un SDF ? Au lieu de lui jeter une pièce, il vaut mieux par exemple lui demander de quoi il a besoin, et le lui donner. Avec Entourage, je veux éduquer, expliquer à quel point communiquer avec un sans-abri peut lui sauver la vie. Malheureusement, ceux qu’on voit sont souvent les pires : alcooliques, drogués, agressifs… Mais il ne faut pas généraliser. Les sans-abri ont avant tout besoin de parler, l’indifférence des passants les enfonce. Ils sont fidèles avec ceux qui sont bienveillants avec eux. Je considère que créer un lien social, c’est la clé pour aider un SDF à se relever.

    On peut quand même noter que l’Aide sociale à l’enfance a pour solution 1ère d’enlever un enfant à sa mère plutôt que de les mettre tous les deux à l’abri. Mais ça ne m’étonne pas outre mesure vu ce que j’ai pu voir de l’action de leurs services.

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