Haro sur le drone militaire

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  • Haro sur le drone militaire

    http://www.lemonde.fr/decryptages/article/2017/11/10/haro-sur-le-drone-militaire_5213027_1668393.html

    Le livre du journaliste Jeremy Scahill et de l’équipe de The Intercept, un site d’investigation américain, dénonce « la politique de l’assassinat » menée par les Etats-Unis avec les drones.

    On sait s’amuser, dans le petit monde du drone militaire. Lorsqu’une cible a été frappée après avoir été repérée avec son téléphone, les opérateurs installés derrière leur écran disent avoir « marqué un but ». Si le tir visait directement la personne désignée, on salue un « jackpot », et avoir réussi une exécution à distance peut aussi s’entendre comme avoir « tondu la pelouse ». Inscrire une personne sur la liste des ennemis à éliminer, c’est lui attribuer « une carte de base­ball ». Cet humour de caserne fait partie du folklore de la très controversée guerre des drones. Paru chez Lux, le livre du journaliste Jeremy Scahill et de l’équipe de The Intercept, un site d’investigation américain, dénonce « la politique de l’assassinat » menée par les Etats-Unis. Un réquisitoire dressé à partir d’informations transmises par un lanceur d’alerte « issu du milieu du renseignement ». Une immersion au cœur d’un système décrit comme une impitoyable broyeuse.

    Très déçus par les deux mandats de Barack Obama, les auteurs de La Machine à tuer reprochent amèrement à l’ancien président d’avoir ouvert la boîte de Pandore des drones. Les militaires, prévient la source qui a informé The Intercept, « sont devenus tellement dépendants de cette machine, de cette manière de faire que plus on les laissera s’en servir, plus il sera difficile de les en priver ». Une mise en garde qui prend une dimension particulière alors que la France a décidé d’armer ses drones pour ­intervenir sur certains théâtres d’opération.

    Un évident laxisme

    D’une redoutable efficacité, facile à utiliser et assez bon marché, le drone épargne les combattants américains mais sa fiabilité est sujette à caution. L’opération « Haymaker », menée entre janvier 2012 et février 2013 dans le nord-est de l’Afghanistan, a tué plus de 200 personnes alors que seulement 35 étaient visées. Les documents cités mettent en cause la chaîne de commandement. La règle du « soupçon raisonnable » qui préside aux exécutions à distance est interprétée avec un évident laxisme, en particulier au Yémen et en Somalie, où les Etats-Unis ne sont pas formellement en guerre. Les opérations sont pour la plupart engagées à partir d’informations reposant sur l’identification de la cible par le biais de son té­léphone portable. Sans toujours savoir si c’est bien le terroriste présumé que le missile atteindra.

    Pour Jeremy Scahill, le sentiment de toute-puissance qu’engendre le drone apparaît contre-productif en termes de collecte de renseignements. Après un tir, personne n’est là pour récupérer l’ordinateur ou le téléphone de la cible qui vient d’être éliminée. Sans compter que ces frappes attisent la colère des populations. Règle d’or du drone militaire, le mot d’ordre « traquer, débusquer, achever, exploiter et analyser » sacrifie ses deux derniers termes, estime-t-il. Le réquisitoire, quoique un peu répétitif, ne manque pas d’arguments. Res­te une question un peu dérangeante qu’esquivent les auteurs. Le recours aux drones, malgré toutes ses dérives, mérite-t-il autant d’opprobre si on le compare aux pertes humaines induites par les formes classiques de conflit armé ?