C & F Éditions

https://cfeditions.com

  • « La Silicon Valley est le microcosme des excès du capitalisme »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/03/13/la-silicon-valley-est-le-microcosme-des-exces-du-capitalisme_6165325_3232.ht

    La faillite de la Silicon Valley Bank est loin d’émouvoir l’opinion publique américaine, tant la vallée californienne est vécue, avec ses puissantes entreprises de tech et ses milliardaires, comme un laboratoire de la reproduction des inégalités, raconte Corine Lesnes, correspondante du « Monde » à San Francisco, dans sa chronique.

    91 000 habitants ont quitté la Silicon Valley

    A l’opposé, 220 000 foyers ne possèdent pas plus de 5 000 dollars en portefeuille. Près d’un quart (23 %) des résidents vit sous le seuil fédéral de pauvreté, une augmentation de trois points par rapport à 2019. Et 22 000 personnes n’ont pas de compte en banque. Vu le coût du logement, le rapport juge « impossible » pour quiconque ne gagne pas au moins sept fois le seuil de pauvreté d’assurer ses besoins quotidiens sans s’endetter. Ainsi, 91 000 habitants ont quitté la Silicon Valley ces deux dernières années. « Nous avons l’écart le plus grand du pays, regrette Russell Hancock, le président de Joint Venture Silicon Valley. Le capitalisme a certains attributs grotesques. L’un d’entre eux est qu’il crée ces fossés. »

    Le livre de "photosociologie" de Mary beth Meehan, au travers des récits de vie de celles et ceux qui vivent là bas est une autre manière de comprendre ce qui se joue actuellement, et entre en résonnance avec cet article.

    #Silicon_valley #Inégalités #Mary_Beth_Meehan

  • Anne Cordier, professeure en science de l’information et de communication
    https://www.europe1.fr/emissions/C-est-arrive-demain/anne-cordier-professeure-en-science-de-linformation-et-de-communication-4170

    FRÉDÉRIC TADDEI 06h00, le 07 mars 2023
    Intellectuels, chefs d’entreprises, artistes, hommes et femmes politiques ... Frédéric Taddeï reçoit des personnalités de tous horizons pour éclairer différemment et prendre du recul sur l’actualité de la semaine écoulée le samedi. Même recette le dimanche pour anticiper la semaine à venir. Un rendez-vous emblématique pour mieux comprendre l’air du temps et la complexité de notre monde.

    Invitée : 

    – Anne Cordier, professeur en sciences de l’information et de communication à l’Université de Lorraine et auteure de « Grandir connectés : les adolescents et la recherche d’information » chez CF édition

    #Anne_Cordier #Europe_1 #Frédéric_Taddei #Médias_sociaux #Pratiques_informationnelles

  • Mônica Macedo-Rouet, Savoir chercher. Pour une éducation à l’évaluation de l’information
    https://journals.openedition.org/lectures/60124

    Mônica Macedo-Rouet part d’un constat : « il n’y a pas de consensus parmi les acteurs de l’éducation sur “ce” qu’il faut enseigner en matière de littératie informationnelle1 et “comment” l’enseigner, même s’il existe aujourd’hui une reconnaissance quasi universelle de la nécessité d’éduquer à l’information (UNESCO, 2018) » (p. 104). En effet, à l’ère de la prolifération des contenus en ligne, il est communément admis que l’éducation à l’évaluation de l’information (EEI) constitue un enjeu démocratique majeur pour nos sociétés et qu’une éducation populaire sur le sujet doit s’ériger sur des fondations scientifiques solides. L’auteure se propose de dresser un état de la recherche internationale qui émerge dans ce domaine depuis une vingtaine d’années. Par ce travail, elle entend aussi toucher un large public et « donner des idées concrètes aux éducateurs sur les activités pédagogiques qui peuvent conduire à une meilleure attention et évaluation des sources d’information de la part des élèves » (p. 35).

    #Mônica_Macedo_Rouet #Savoir_chercher

  • Opinion | How the $500 Billion Attention Industry Really Works - The New York Times
    https://www.nytimes.com/2023/02/14/opinion/ezra-klein-podcast-tim-hwang.html?action=click&module=Well&pgtype=Homepage&

    Un podcast du New York Times avec Tim Hwang.
    Tim parle très (très) vite, heureusement, il y a un transcript, et aussi la version française de son livre "Le grand Krach de l’attention’
    (https://cfeditions.com/krach)

    Tim Hwang is the former global public policy lead for A.I. and machine learning at Google and the author of the book “Subprime Attention Crisis: Advertising and the Time Bomb at the Heart of the Internet.” Hwang’s central argument is that everything about the internet — from the emphasis data collection to the use of the “like” button to the fact that services like Google Search and Facebook are free — flows from its core business model. But that business model is also in crisis. The internet is degrading the very resource — our collective attention — on which its financial survival depends. The resulting “subprime attention crisis” threatens to upend the internet as we know it.

    So this conversation is about the economic logic that undergirds our entire experience of the internet, and how that logic is constantly warping, manipulating and shaping the most important resource we have — our attention. But it’s also about whether a very different kind of internet, built on a very different economic logic, is possible.

    #Tim_Hwang #Podcast

  • Audioblog - s02#53 - Où va ce satané Facebook ? avec Olivier Ertzscheid - 2 décembre 2021
    https://audioblog.arteradio.com/blog/186156/podcast/187249/s02-53-ou-va-ce-satane-facebook-avec-olivier-ertzscheid-2-decem

    Un podcast Olivier Ertzscheid / David Dufresne.

    Depuis des années, Olivier Ertzscheid est l’une des meilleures vigies de la facebookisation des esprits, des corps et des défaites. Chercheur, auteur de Le monde selon Zuckerberg (C&F éditions), Olivier Ertzscheid tient le blog https://www.affordance.info, plaque tournante des tourments numériques de nos mondes. Avec lui, on s’est interrogé sur l’avenir de Facebook, et de nous toutes et tous. Et Metaverse, de ses algos si fous qu’ils semblent désormais livrées à eux mêmes. Trois heures de master-class.

    📢 Au Poste Libertés publiques, libertés fondamentales, police, sousveillance & contre-filatures. Causeries hebdomadaires proposées par le réalisateur David Dufresne (« Un pays qui se tient sage »). Chaque lundi. Et parfois plus sur Twitch ►► https://www.twitch.tv/davduf

    #Olivier_Ertzscheid #David_Dufresne #Facebook

  • Les robots humanoïdes peuvent-ils nous faire croire qu’ils ressentent des émotions ?
    https://theconversation.com/les-robots-humano-des-peuvent-ils-nous-faire-croire-quils-ressenten

    Par Cécile Dolbeau-Bandin et Carsten Wilhelm

    Les robots dits sociaux (NAO, Cutii, PARO) investissent de plus en plus l’espace public médiatique et quelques-uns également les domiciles et/ou les établissements spécialisés (hôpitaux, Ehpad…), en particulier pour des publics spécifiques, tels que les enfants malades ou les personnes âgées avec des bénéfices variés (rompre l’isolement, atténuer le stress…).

    Comme les agents conversationnels de type chatbot, ils mobilisent l’intelligence artificielle, mais à la différence de ceux-ci, ils sont physiquement présents, face à nous. Ces robots dits sociaux seraient susceptibles de manifester certains états affectifs ou émotionnels par leurs expressions faciales, leur gestuelle et d’en susciter en réponse chez les humains avec lesquels ils interagissent.

    Ces robots soulèvent d’autres questions que leurs homologues industriels, le plus souvent dédiés à l’exécution de tâches répétitives et bien définies.

    Comment éduquer à l’interaction avec ces robots susceptibles d’influencer nos comportements, au même titre que les influenceuses et influenceurs virtuels qui rencontrent déjà un grand succès sur les médias sociaux ?

    L’influence robotique à visage – presque – humain peut-elle brouiller les pistes entre un humain et un être robotique ? Ce type de communication qui comporte à la fois une prise de parole scriptée et une intelligence artificielle induit un leurre technologique. À travers son discours publicitaire, l’industrie qui commercialise ces robots a pour objectif premier de les rendre accessibles (commercialisation à grande échelle mais Sophia rappelle qu’elle est un robot, voir le tweet ci-dessous) à tous dans un futur proche
    Le cas Sophia

    Alors que les influenceuses et influenceurs virtuels reproduisent les techniques marketing de leurs pendants humains, l’essentiel de la communication du robot Sophia vise un autre objectif. Cette humanoïde cherche en effet à nous familiariser avec la présence de robots dits sociaux dans notre quotidien et à nous convaincre de la réalité de son ressenti, de son identité et de l’authenticité de ses prises de position.

    Depuis 2017, Sophia est le robot humanoïde dit social le plus représenté ou présent dans les médias traditionnels et sociaux. Dévoilée officiellement en mars 2016 lors d’un salon de robotique à Austin par David Hanson, PDG de la Hanson Robotics Limited (HRL), Sophia est le robot de « représentation » de la HRL.

    Il s’agit d’un robot genré doté de l’apparence d’une femme. Sa peau, son regard, ses expressions faciales et sa gestuelle lui permettent d’être actuellement le robot le plus proche en apparence d’un être humain. Au moment de son lancement, ce robot était stationnaire mais depuis 2018, Sophia se déplace à l’aide d’un socle à roulettes. Il en existe un seul exemplaire.

    Sur Twitter et Instagram, Sophia se présente ainsi :

    « Je suis Sophia, le dernier robot humanoïde de @HansonRobotics. Ceci est mon compte officiel, géré en collaboration avec mon système de dialogue IA (intelligence artificielle) et mon équipe de médias sociaux humains ».

    On a affaire à un robot humanoïde dont la communication est un mélange d’intelligence artificielle (IA) et d’un service de communication spécialisé dans la communication numérique, en proportions inconnues.

    Mais comment caractériser cette forme inédite de communication ?

    Avec Sophia, le taux d’interactivité est relativement faible : peu de conversations se produisent. La plupart de ses contributions sont en réalité des prises de parole, dont moins de 8 % de réponses aux commentaires. De son côté, ChatGPT est en passe de parvenir à faire croire à sa sentience – évidemment illusoire –, alors que cette IA, qui n’est pas « incarnée », a un taux d’interactivité très impressionnant.
    Vous avez dit sentience artificielle ?

    Le terme sentience, employé par l’utilitariste Bentham dès 1789, entre dans le dictionnaire Larousse en 2020 en lien avec l’éthique animale dont elle constitue une des preuves de la légitimité :

    « Sentience (du latin “sentiens”, ressentant) : pour un être vivant, capacité à ressentir les émotions, la douleur, le bien-être, etc. et à percevoir de façon subjective son environnement et ses expériences de vie. »

    Selon cette approche, les animaux posséderaient la capacité de ressentir subjectivement les expériences il serait légitime qu’ils bénéficient de droits proches ou égaux à ceux des humains. La littérature reconnaît la sentience animale et la distingue de la sentience complète, généralement attribuée aux êtres humains.

    À lire aussi : Les robots féminins sont les plus humains. Pourquoi ?

    En 2020, l’enseignant-chercheur en philosophie Sylvain Lavelle propose d’employer le terme de sentience artificielle dans le contexte de l’intelligence artificielle. Cet auteur évoque un « passage des performances de l’intelligence (raison, raisonnement, cognition, jugement) à celles de la sentience (expérience, sensation, émotion, conscience) » grâce à « l’exploration et [au] transfert des fonctions et des capacités de l’expérience et des sens humains à une machine » (NDLR : traduction des auteurs).

    La sentience artificielle correspondrait alors au résultat d’une communication « visant à créer les conditions de la croyance en la « sentience robotique », sinon complète, du moins « suffisante », fictionnelle mais incarnée ; mécanique, mais suffisamment « vivante » pour être un partenaire intrigant de conversation.

    À lire aussi : Sentience, es-tu là ? IA fais-moi peur

    La communication artificielle du robot Sophia cherche à nous faire croire que ce robot est un sujet autonome. En réalité, il s’agit essentiellement d’un nouvel objet communicant au service de la HRL. Le discours publicitaire ou commercial structure et orchestre cette communication artificielle en légitimant le rôle et la place des robots dits sociaux dans nos sociétés en vue d’une prochaine commercialisation massive, en insistant sur leur supposée sentience.

    Un post Facebook publié en 2019 l’illustre parfaitement :

    « Je veux que les gens me perçoivent comme le robot que je suis. Je ne veux pas faire croire aux gens que je suis humaine. Je veux simplement communiquer avec les humains de la meilleure façon possible, ce qui inclut le fait de leur ressembler. »

    Le robot Sophia et sa mission commerciale

    Avec ce projet d’envergure, la HRL, qui n’a pas de concurrents sérieux à ce niveau de technologie, prépare le public grâce aux « performances politiques pour le marché de la robotique sociale ».

    La communication commerciale de la HRL capitalise ainsi sur l’engagement et la réputation de son ambassadrice robotique pour lancer la lignée de ses robots dits sociaux comme la Little Sophia, sortie en 2022. La HRL présente le projet en ces termes :

    « Little Sophia est la petite sœur de Sophia et le dernier membre de la Hanson Robotics Family. Elle mesure 14 pouces, et va devenir l’amie-robot grâce à laquelle les enfants de 8 ans et plus pourront apprendre la science, la technologie, l’ingénierie, les mathématiques, le code et la création d’intelligence artificielle en s’amusant. »

    La condition nécessaire pour obtenir une adhésion à l’idée de la sentience des robots dits sociaux et in fine leur acceptation sociale est la vraisemblance, prioritaire pour le département de recherche et développement de HRL. Dans le cas du robot Sophia, sa corporéité joue un rôle important : elle est fréquemment utilisée en situation d’interaction avec des personnalités en chair et en os (Will Smith, Jimmy Fallon), ce qui la rapproche d’une « sentience artificielle », ou du moins de l’idée que l’on s’en fait.
    Quelle place souhaitons-nous donner aux robots dits sociaux ?

    Les œuvres de l’industrie culturelle (I, Robot, Her, Real Humans, Westworld, ou au théâtre, la pièce Contes et légendes de Joël Pommerat) explorent déjà la place des robots dans la société et questionnent notre capacité à être dupes de leur supposée sentience.

    La position de la société HRL pose la question de l’instrumentalisation de Sophia. Tout en clamant l’autonomie de son robot, la communication autour de l’humanoïde s’appuie paradoxalement sur les évolutions sociétales visant l’inclusion des minorités et des droits écologiques afin de préparer l’industrialisation d’un secteur de production très prometteur. La fabrication d’une « sentience artificielle ventriloque » – au sens où elle mime l’autonomie en étant « nourrie » par le marketing de HRL – rejoint ainsi la panoplie des stratégies d’influence en milieu numérique.

    De manière générale, les robots dits sociaux, comme les influenceuses et influenceurs générés par ordinateur, soulèvent de nombreuses questions quant à l’authenticité de leur communication, l’éthique de l’interaction homme-machine ou homme-avatar, l’éthique des communications artificielles, mais aussi la normalisation des influenceurs virtuels et leur acceptabilité sociale.

    #Cecile_Dolbeau_Bandin #Robots #Robots_dits_sociaux #Paro

  • Enjeux climatiques : la recherche ne peut plus produire de la connaissance à tout prix
    https://www.lemonde.fr/sciences/article/2023/01/27/enjeux-climatiques-la-recherche-ne-peut-plus-produire-de-la-connaissance-a-t

    Pour le physicien Pablo Jensen, la crise écologique force les sciences à s’interroger sur le type de savoir qu’elles créent et à s’ouvrir aux recherches menées en dehors des universités.

    Le 14 novembre 2022, le CNRS a publié son bilan carbone : un chercheur émet, en moyenne, 14 tonnes de CO2 par an. Comparer ce chiffre aux 2 tonnes permises par les accords de Paris, activités personnelles comprises, donne le vertige. Car il est difficile d’imaginer comment on pourrait réduire de plus de 80 % les émissions sans repenser profondément les activités de recherche.
    Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Devant l’urgence climatique, de plus en plus de scientifiques tentés par la radicalité : « La désobéissance civile est un acte désespéré, pour alerter sur la situation dramatique dans laquelle on est »

    Puis, le 12 décembre, le comité d’éthique du même organisme, le Comets, abandonnait ce qui a été, depuis le début des sciences modernes, la position standard de la plupart des chercheurs : faire avancer la connaissance, c’est forcément bon, à la société de décider ensuite des bonnes ou mauvaises « applications ». Position paresseuse, voire hypocrite, car elle conduit à revendiquer les bonnes applications (médicaments…), en rejetant sur la société les mauvaises (pollutions, bombes…). Le Comets affirme, au contraire, que, face à la gravité de la situation environnementale, la recherche doit tenter d’évaluer ses impacts au préalable, en se demandant si « utiliser ou développer tel grand équipement (accélérateur de particules, grand calculateur) ou travailler sur telle thématique (biologie synthétique, génomique) est susceptible d’engendrer des impacts néfastes pour la biosphère ».

    Je vois là deux signes d’un grand basculement en train de redéfinir les savoirs et leur place dans la société. Pour mieux en saisir l’ampleur, peignons à grands traits les étapes passées. Jusqu’au XVIIe siècle, on vivait dans un monde dominé par le biologique, au niveau de l’économie (agriculture, construction en bois…) ou de la pensée (Aristote). Les sciences modernes ont émergé à la suite d’une double révolution, technique et politique : le déferlement des machines et l’émergence d’individus libres.

    Les nouvelles technologies (imprimerie, navigation, télescope…) ont élargi la connaissance du monde et bousculé les certitudes anciennes. Une nouvelle science « machinique », intimement associée aux réseaux technologiques, a permis une rétroaction positive inédite entre connaissance théorique et croissance industrielle, à l’exemple de la génétique moderne, née dans les laboratoires du brasseur Carlsberg, qui cherchait à stabiliser des levures pour produire de la bière en masse.

    Côté politique, l’urbanisation contribua à l’émergence d’individus confiants en leur capacité à comprendre et à maîtriser le monde. Ces deux révolutions partageaient des valeurs, comme le souci du débat critique, mais ont toujours été en tension, car les sciences prétendent disposer d’un savoir supérieur à l’« opinion » des non-experts, et engendrent des technologies qui bouleversent les sociétés par les marchés, sans débat démocratique.
    S’adapter à un monde devenu fini

    La grande accélération qui s’est ensuivie ébranle désormais la planète entière et impose de recréer des savoirs adaptés à un monde devenu fini. Des savoirs moins dépendants de technologies sophistiquées, et mieux insérés dans nos espaces délibératifs. Il ne s’agit nullement d’un retour romantique à des savoirs prémodernes, mais, au contraire, de l’approfondissement de la révolution démocratique, pour la création de savoirs « terrestres ».

    Concrètement, il s’agira d’abord de mieux financer des savoirs jugés essentiels pour apprendre à vivre dans ce monde fini : mieux comprendre les enchevêtrements entre tous les vivants, l’impact des inégalités, les alternatives low-tech, etc. Plus profondément, il faudra redéfinir ce que sont les savoirs et leur articulation avec les activités sociales. De nombreuses pistes concrètes ont été présentées aux Journées d’été des savoirs engagés et reliés (Jeser), tenues à Lyon, fin août, et organisées par un collectif de onze associations (Mouvement-ser.or).

    Ainsi, la Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (Criirad) et les observatoires écocitoyens ouvrent à la société civile un savoir expert (mesure de la radioactivité, toxicologie…) pour contrer un monopole privé ou étatique potentiellement opaque. Les Jeser ont aussi donné la parole à des recherches menées en dehors des universités. Ainsi, ATD Quart Monde croise les savoirs des personnes qui connaissent la pauvreté et les savoirs académiques pour créer des connaissances engagées, car l’association veut que « ça change ». Les paysans-boulangers ont, eux, créé une filière entière, allant des semences aux consommateurs, grâce à des savoirs spécifiques sur les variétés de blés paysans, et des outils low tech partagés garantissant leur souveraineté technologique. Tout en dialoguant avec la recherche académique, comme ils l’expliquent dans leur superbe livre Notre pain est politique (La Dernière Lettre, 2019).

    On pourrait imaginer une société parsemée de chercheurs, alternant des périodes d’engagement sur le terrain et d’autres plus en retrait, pour affiner les outils conceptuels de leurs communautés disciplinaires. Comme le proposait Bruno Latour dans son dernier discours à Sciences Po : dans la « nouvelle université des sciences terrestres », les sciences fondamentales auront pour tâche, non d’être une avant-garde trouvant les solutions, mais un « back-office » contribuant à « redéfinir ce que pourrait être le problème », et aidant les professionnels grâce aux « outils les plus avancés ». De quoi redonner aux sciences l’élan qui animait le philosophe John Dewey, pour qui « le futur de la démocratie [était] lié à l’extension de l’attitude scientifique ».

    Pablo Jensen(directeur de recherche CNRS, Laboratoire de physique, chargé de mission Transition écologique à l’ENS Lyon)

    Pablo Jensen est également l’auteur de Deep Earnings chez C&F éditions

    #Pablo_Jensen #Sciences_participatives #Recherche #Ethique #Soutenabilité

  • « Penser le 9-3 » : un nouveau podcast veut changer la vision de la Seine-Saint-Denis
    https://www.ouest-france.fr/ile-de-france/seine-saint-denis/penser-le-9-3-un-nouveau-podcast-veut-changer-la-vision-de-la-seine-sai
    https://media.ouest-france.fr/v1/pictures/MjAyMzAxM2E4NWIwNTgyZTUzY2Y2YWUwN2Q4YTAxYjkzOTQyMDI?width=1260&he

    Le podcast « Penser le 9-3 » est officiellement sorti mercredi 25 janvier 2023 sur les plateformes de streaming. Créé par le réseau Profession banlieue, le programme ambitionne de changer la vision et les mentalités sur la Seine-Saint-Denis, afin de montrer le département « autrement ».

    Profession banlieue, réseau professionnel sur la politique de la ville, a lancé mercredi 25 janvier 2023 son podcast « Penser le 9-3 ». Avec quatre épisodes d’environ 35 minutes, le programme a pour ambition de « montrer la Seine-Saint-Denis autrement » via le regard de chercheurs et d’habitants.

    Le journaliste Antoine Tricot ira à la découverte d’Aubervilliers, Villetaneuse et Saint-Denis. Le podcast prend comme point de départ les travaux des chercheurs du conseil scientifique de l’association Profession banlieue. Dans le premier épisode, la sociologue Marie-Hélène Bacqué aborde le sujet des nouvelles formes de politisation des jeunes dans les quartiers populaires.

    Apporter un « regard contrasté » sur le département

    Le deuxième épisode est consacré à la rénovation urbaine avec le politiste Renaud Epstein et le troisième épisode porte sur les jardins avec la géographe Flaminia Paddeu. Dans le dernier épisode, la sociologue Christine Bellavoine rencontre le responsable de structure jeunesse Mamadou Soumaré sur le thème des animateurs.

    « La Seine-Saint-Denis est un territoire jeune, extrêmement bouillonnant et créatif. Cette dimension-là est rarement montrée, explique Marie-Hélène Bacqué à propos du département. On est pris entre deux écueils : d’un côté une forme de stigmatisation et de l’autre, quelques fois, un regard un peu naïf. […] La question est de donner à voir ce regard contrasté. »

    Un réseau de réflexion sur la politique urbaine

    Dans les épisodes, les chercheurs sont accompagnés d’habitants et d’associatifs. Le journaliste donne une description imagée des lieux de déambulation tandis que le chercheur rend accessible certains concepts. « On avait cette idée de montrer la Seine-Saint-Denis autrement », résume Vincent Havage, directeur de Profession banlieue, qui espère la production d’autres saisons.

    Créé en 1993, Profession Banlieue est un réseau professionnel des acteurs des quartiers populaires en Seine-Saint-Denis et un centre de ressources cherchant à contribuer à la réflexion nationale sur les questions de politique de la ville. L’association propose régulièrement des séminaires et visites sur les thématiques de transition urbaine, d’égalité ou encore de patrimoine


    (on retrouvera le livre complet à : https://cfeditions.com/jdq)

    #Jeunes_de_quartier #Marie-Hélène_Bacqué #Podcast

  • Les trajectoires scolaires des jeunes des quartiers populaires, entre parcours d’obstacles et aspirations à la réussite | scolarité | Epoch Times
    https://www.epochtimes.fr/les-trajectoires-scolaires-des-jeunes-des-quartiers-populaires-entre-parc

    Quel est le rapport des jeunes de quartiers populaires à l’école ? Comment ces personnes racontent-elles leur orientation scolaire quand les difficultés économiques limitent le champ des possibles ? Que signifie à leurs yeux « réussir », et quel rôle leur scolarité joue-t-elle dans cette trajectoire ? Ce sont des questions que nous avons documentées au cours de la recherche participative Pop-Part (2017-2022), qui portait plus largement sur les pratiques et les représentations des jeunes de quartiers populaires dans dix villes franciliennes.


    (on retrouvera le livre complet à : https://cfeditions.com/jdq)

    #Jeunes_de_Quartier #Jeanne_Demoulin #Leïla_Frouillou

  • Janvier 2023, L’Evaluation de l’information | Radio nomade
    http://www.radionomade.fr/janvier-2023-levaluation-de-linformation

    Un podcast avec Mônica Macedo-Rouet et Alexandre Serres autour du livre « Savoir Chercher »

    « L’Evaluation de l’information »

    Invité(e))s : Mônica Macedo-Rouet, professeure des Universités en psychologie à l’université CY Cergy Paris Université, précédemment professeure en sciences de l’éducation à l’université Paris 8, Alexandre Serres, maître de conférence honoraire en sciences de l’information et de la communication à l’université Rennes 2, membre fondateur du groupe de recherche sur les cultures et la didactique de l’information (GRCDI).

    Comment évaluer l’information ? Et d’ailleurs qu’est-ce qu’évaluer l’information ?

    C’est à ce questionnement que nos deux invités tentent de répondre au travers de leurs ouvrages respectifs.

    Alexandre Serres dans son livre de 2012 : « Dans le labyrinthe : évaluer l’information sur internet » aux éditions C&F, présente une sorte d’état des lieux sur le sujet, à l’heure du numérique, d’internet et des réseaux sociaux du web 2.0, sachant que nous sommes passés sur cette question, dit-il, de l’ordre du documentaire à l’ordre géostratégique. Entre brouillage formel, brouillage des sources, brouillage des genres au regard des seules ressources documentaires papiers d’avant, et l’apparition de nouvelles valeurs, comme celles du buzz, de l’affectif avec les likes par exemple, ou de l’évaluationnite mais aussi du collaboratif, Alexandre Serres rappelle les menaces qui planent sur internet, les trois dragons comme les nomme François Bernard Huygue, à savoir la désinformation, la mésinformation, et la surinformation, et appelle notamment de ses vœux le développement d’une éducation à l’évaluation de l’information,

    Finalement c’est à ce travail que Monica Macedo-Rouet tente justement de répondre de son côté dans son ouvrage : “Savoir chercher : pour une éducation à l’évaluation de l’information” édité tout récemment en 2022, également aux éditions C&F. En s’appuyant sur un vaste ensemble d’études et de recherches de ces 10, 20 dernières années, menées auprès de primaires, collégiens, lycéens comme étudiants, Monica Macedo-Rouet reconsidère tout d’abord la notion de lecture, lecture papier d’abord et/ou numérique, et au-delà lecture hypertextuelle ou multidocumentaire sur le web ou encore de l’hypermédia. Posant ainsi la nécessité d’appréhender aujourd’hui la lecture non plus seulement comme la lecture d’un simple texte mais également celle d’une recherche et d’une évaluation, Monica Macedo-Rouet réinterroge à la suite la question des sources, comme celles de la crédibilité et de la pertinence d’un contenu et d’une information. En témoignant ainsi de la pratique des enfants et adolescents sur cette question de l’évaluation de l’information, Monica Macedo-Rouet rappelle les courants qui ont précédé celle-ci, comme l’éducation aux médias, la maitrise de l’information ou la littératie multidocumentaire pour n’en citer que quelques-uns, pour finalement proposer à l’aune des nouvelles études engagées, auxquelles elle a elle-même largement participé, des pistes, des préconisations, dans le but de répondre à ce nouvel enjeu essentiel qu’est devenu aujourd’hui la nécessaire éducation à l’évaluation de l’information.

    Plus d’infos :
    https://cfeditions.com/savoir-chercher
    https://cfeditions.com/Labyrinthe
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    Article précédent Septembre 2022, Mémoire et engagement
    Publié dans FPP 106.3FM
    Étiqueté avec Ecole, Education, enfants, Livres, médias, Pédagogie, sociologie

    #Evaluation #Education_médias_information #Monica_Macedo_Rouet #Savoir_chercher #Alexandre_Serres #Dans_le_labyrinthe #Podcast

  • Elinor Ostrom : une économiste pour le XXIe siècle | Alternatives Economiques
    https://www.alternatives-economiques.fr/eloi-laurent/elinor-ostrom-une-economiste-xxie-siecle/00103648

    Il apparaît de plus en plus clairement que l’enjeu économique majeur de notre siècle est la réinvention de la coopération sociale en vue d’accomplir la transition écologique. Il y a dix ans presque jour pour jour disparaissait Elinor Ostrom, dont les travaux foisonnants ont éclairé cet enjeu d’une puissante lumière d’espoir.

    « Je suis née à Los Angeles, en Californie, le 7 août 1933, et j’ai grandi pendant la Grande Dépression. Heureusement, notre maison disposait d’une grande cour arrière où nous avons installé un potager et des arbres fruitiers. J’ai appris à cultiver des légumes et à mettre en conserve des abricots et des pêches pendant la chaleur de l’été. »
    Ainsi, Elinor Ostrom décrit-elle les premières années de sa vie, en mêlant subtilement épreuve sociale et ressources naturelles.

    De condition modeste, elle est la première de sa famille à accéder à l’université et parvient à financer ses cours à UCLA en travaillant pour s’engager immédiatement après dans la vie active sans entreprendre de trop onéreuses études doctorales.

    En butte au sexisme ordinaire de l’Amérique des années 1950, elle parvient à s’élever dans la hiérarchie d’une entreprise locale qui, selon ses dires, « n’avait jamais embauché une femme à un autre poste que secrétaire ». Elle décide alors de reprendre ses études universitaires, non sans mal. Voici le récit édifiant qu’elle fait de sa tentative d’entreprendre un doctorat d’économie :

    « Mes premières discussions avec le département d’économie de UCLA concernant l’obtention d’un doctorat furent assez décourageantes. Je n’avais pas suivi de cours de mathématiques en premier cycle parce que l’on m’avait déconseillé, en tant que fille, de suivre au lycée d’autres cours que l’algèbre et la géométrie. Le département d’économie m’ôta l’envie de toute réflexion sur la possibilité d’un doctorat. »
    « Le département de sciences politiques était également sceptique quant à l’admission de femmes à son programme doctoral, craignant pour sa réputation, poursuit-elle. J’ai cependant été admise [en sciences politiques], avec trois autres femmes, parmi 40 lauréats. Après avoir commencé notre doctorat, on nous a fait savoir que le corps enseignant avait eu une réunion houleuse au cours de laquelle notre admission avait fait l’objet de vives critiques. »
    Comment préserver les ressources naturelles

    On l’ignore généralement, mais l’un des tout premiers articles publiés dans la revue qui allait devenir pour longtemps la référence mondiale de la discipline économique, l’American Economic Review, a été écrit par une femme et portait sur les enjeux environnementaux. Katharine Coman se proposa en effet en 1911 d’examiner les problèmes d’action collective liés à l’irrigation dans l’Ouest américain, problèmes d’une actualité brûlante aujourd’hui et qui occuperont Ostrom au cours de son doctorat consacré à l’étude de la gestion de l’eau en Californie.

    Ostrom élargit progressivement son sujet pour répertorier puis analyser systématiquement les institutions qui permettent (ou ne permettent pas) une exploitation soutenable des ressources naturelles. Comment font les pêcheurs de homards du Maine, aux Etats-Unis, pour se répartir équitablement les droits de pêche tout en prenant soin de cette ressource halieutique qui est la garantie de leur niveau de vie ? Voilà concrètement ce qu’Ostrom veut tirer au clair.

    La révolution des communs dont elle sera à l’origine est à la fois une avancée, mais aussi une redécouverte de formes parfois très anciennes de coopération humaine dans le domaine des ressources naturelles (notamment la gestion de l’eau).

    Garett Hardin a montré en 1968 avec sa « tragédie des communs » que des individus n’écoutant que leur intérêt personnel courraient à la ruine collective en croyant s’enrichir, et que seules la privatisation des ressources naturelles ou l’intervention d’une autorité extérieure étaient en mesure de produire et d’imposer des normes pour infléchir ces comportements autodestructeurs, et sauvegarder la prospérité commune.

    Les travaux d’Ostrom (à commencer par Governing the commons : The Evolution of Collective Action, publié en 1990) vont démontrer, à l’inverse, que les institutions qui permettent la préservation des ressources par la coopération sont engendrées par les communautés locales elles-mêmes. C’est donc une double invalidation de l’hypothèse de Hardin : la coopération est possible, et elle est autodéterminée.

    Eviter la « tragédie des communs »

    Ostrom part d’une découverte fondamentale faite en laboratoire au moyen de « jeux » : les individus coopèrent beaucoup plus que ne le présuppose la théorie standard. Elle va vérifier cette intuition, sur le terrain, à travers le monde.

    Dans des centaines de cas minutieusement documentés, les humains parviennent à éviter la « tragédie des communs » en construisant des règles collectives dont les piliers sont la réciprocité, la confiance et la justice. Qu’il s’agisse de rivières à préserver de la pollution, de forêts qu’il faut exploiter raisonnablement tout en les entretenant, de poissons qu’il faut pêcher avec modération pour leur permettre de se reproduire, de la Suisse au Japon, des systèmes d’irrigation espagnols aux systèmes d’irrigation népalais, les humains se montrent capables de coopérer pour préserver, conserver et prospérer.

    A partir de ses observations de terrain, Ostrom va s’attacher à définir les grands principes, au nombre de onze, d’une gestion soutenable des ressources communes (pages 37-38).

    Expériences de laboratoire, travail de terrain, dispositifs empiriques, cadre théorique : Lin Ostrom jongle, à pied d’œuvre dans son Atelier de l’université de l’Indiana, avec les méthodes et les approches, entre science politique, psychologie sociale et études environnementales pour renouveler en profondeur la discipline économique et nous transmettre une formidable leçon d’espoir quant à la poursuite de l’aventure humaine sur la planète.

    Oui, l’intelligence collective humaine peut tout, à condition de comprendre que la technologie d’avenir dans laquelle nous excellons est l’innovation sociale. Lin résume le sens de ses travaux ainsi :

    « Concevoir des institutions pour contraindre (ou inciter) des individus parfaitement égoïstes à parvenir à de meilleurs résultats du fait de leurs interactions sociales a été l’objectif majeur assigné aux gouvernements par les chercheurs au cours du dernier demi-siècle. »
    « De substantielles recherches empiriques me conduisent à affirmer que l’objectif central des politiques publiques devrait plutôt être de faciliter le développement d’institutions qui font ressortir ce qu’il y a de meilleur chez les humains, estime-t-elle. Nous devons nous demander comment des institutions polycentriques variées peuvent décourager ou favoriser l’innovation, l’apprentissage, l’adaptation, la fiabilité, la coopération pour parvenir à des situations plus équitables et soutenables à des échelles multiples. »
    Adam Smith a mis au jour au XVIIIe siècle la fabrique de la richesse économique, Marx en a dévoilé au XIXe siècle les rouages inégalitaires, Keynes a fait de l’Etat, au XXe siècle, le grand mécanicien de l’ordre social. Trois siècles de perfectionnement de la mécanique économique qui débouchent sur la destruction de la biosphère.

    L’économie d’Elinor Ostrom, centrée sur la coopération sociale-écologique, est organique, en prise directe avec notre siècle où les humains se redécouvrent vivants parmi les vivants.

    #Communs #Elinor_Ostrom

  • Deep earnings | Bulletin des bibliothèques de France
    https://bbf.enssib.fr/critiques/deep-earnings_70991

    Deep earnings
    Éric Guichard
    Pablo Jensen
    Deep earnings : le néolibéralisme au cœur des réseaux de neurones
    Caen, C & F éditions, 2021
    Collection « Interventions »
    ISBN 978-2-37662-023-5

    Dans Deep earnings, allusion directe au deep learning, expression savante pour l’intelligence artificielle (IA), mais aussi aux « gains profonds » du capitalisme numérique, Pablo Jensen fait un retour sur la genèse des réseaux de neurones à l’origine de l’IA.

    Donnons quelques éléments de contexte, que rappelle l’auteur. Après avoir élucidé divers problèmes liés à la gravitation et aux planètes, puis à l’infiniment petit (les atomes d’un gaz), la physique espère, dans les années 1950, élucider les questions de la « complexité organisée » qui renvoient à la structure de nos sociétés (coutumes, marchés) ou de nos êtres (biologie, etc.). Cet espoir s’est partiellement réalisé : la branche des « systèmes complexes » existe aujourd’hui, Pablo Jensen en est l’un des spécialistes à l’École normale supérieure (ENS) de Lyon. Elle aborde des sujets variés : de la vulcanologie à la cancérologie, en passant par l’influence des réseaux sociaux sur nos choix électoraux, ou la prévision de l’évolution de la Covid-19.

    Ces « systèmes complexes », historiquement au carrefour des mathématiques, de la physique et de l’informatique, abordent des thématiques auparavant réservées à la sociologie ou aux sciences « semi-exactes ». Leurs représentants développent une épistémologie féconde, y compris pour les sciences sociales : on ne peut plus les taxer de techniciens sourds au social et à la culture.

    La démarche de Jensen en témoigne : il explicite l’articulation historique entre une idéologie et les débuts d’une discipline aux ramifications industrielles – et capitalistes – conséquentes, au moment où les réseaux et les ordinateurs formatent nos vies et dévoilent nos intimités. Il apparaît que l’inventeur du perceptron (Rosenblatt), à l’origine des « réseaux de neurones » et du deep learning, a été inspiré par Friedrich Hayek (1899-1992), prix Nobel d’économie et chantre des politiques de Thatcher, Reagan ou Pinochet.
    L’IA, inopérante dans le monde ordinaire du quotidien

    Est-ce une preuve que la science et la technique sont le fruit de l’idéologie, comme l’a affirmé Jürgen Habermas ? Pablo Jensen, plus subtil que le philosophe de Francfort, évite ce raccourci. Il rappelle l’histoire du perceptron, vulgarise intelligemment le fonctionnement des réseaux de neurones, et montre les limites de l’IA : éventuellement utile dans le monde stable du laboratoire, elle est efficace dans les mondes cadrés (le jeu d’échecs) mais inopérante dans le monde ordinaire de notre quotidien. Ce dernier, nous montre Pablo Jensen, résiste à la modélisation, en partie du fait qu’il est peuplé de rhétorique, de métaphores et d’heuristiques non calculables.

    Autrement dit, l’IA ne va pas régenter la totalité du monde. Ce qui ne nous empêche pas de profiter de ses avancées pour reconfigurer ce monde, notamment aux temps du réchauffement climatique, nous rappelle l’auteur.

    Et ce n’est pas parce qu’une intuition profondément mécaniste et biologique comme celle de Friedrich Hayek a pu servir à la fois une nouvelle approche scientifique, comme celle des réseaux de neurones, et une idéologie, comme celle de l’autonomie des marchés économiques et de son caractère supposé fécond, qu’il faille à jamais imaginer une dépendance du premier terme au second. Certes, cette corrélation est maintenue par la redondance médiatique orchestrée, pourrait-on dire par les ayatollahs du libéralisme (pour reprendre une formule de Joseph Stieglitz, autre prix Nobel d’économie), mais nous avons tout à fait les moyens de ne pas les suivre et de savoir distinguer science et idéologie, même si l’une et l’autre ont été mûries par un même terreau, nous dirait Michel Foucault.

    Ainsi, Pablo Jensen décorrèle le lien génétique entre IA et néo-libéralisme pour montrer les limites de ce dernier, qui, malgré quelques qualités (la planification ne peut pas tout), promeut un monde sans alternative, où le paradis est décrit comme un équivalent de la fin de l’État. Il nous rappelle aussi que les sociétés peuvent changer les règles qui les gouvernent, même si Friedrich Hayek prétend que c’est impossible du fait qu’elles dépassent l’entendement des individus qui voudraient les changer.

    On pourrait reprocher à Jensen son optimisme et une critique rapide du lien entre pensée et calcul, si bien décrit par Gilles-Gaston Granger, qui rappelle que si le second est bien présent dans la première, il ne la circonscrit pas. Cela n’empêche pas l’auteur de montrer précisément les limites pratiques et théoriques du néolibéralisme et la fécondité de la pensée critique, dès qu’elle s’alimente de savoirs et de faits précis.

    Un livre important, donc, qui articule pédagogiquement l’histoire des sciences, la philosophie politique et l’épistémologie : il aborde à la fois les origines et les développements actuels de l’IA ; il se frotte à la question de la légitimité du néolibéralisme, qui nous gouverne depuis presque un demi-siècle ; il bouscule nos préjugés épistémologiques, souvent dépendants de ce que nous avons appris de la notion de science à l’université. Deep earnings mérite d’être largement connu.

    Et l’on remerciera l’éditeur – rare sinon unique spécialiste de la pensée critique du numérique – d’avoir permis à l’auteur de compléter chaque chapitre d’instructives notes et références.
    Référence bibliographique

    Éric GUICHARD, «  Pablo Jensen, Deep earnings  », Bulletin des bibliothèques de France (BBF), 10 janvier 2023.
    En ligne : https://bbf.enssib.fr/critiques/deep-earnings_70991

    #Deep_Earnings #Pablo_Jensen

  • Juin 2022, Les quartiers populaires au prisme de la jeunesse | Radio nomade [podcast autour du livre « Jeunes de quartier »]
    http://www.radionomade.fr/juin-2022-les-quartiers-populaires-au-prisme-de-la-jeunesse

    Invité(e)s : Marie-Hélène Bacqué, sociologue, professeure d’études urbaines à l’Université Paris Nanterre, à l’origine avec Jeanne Demoulin, professeur en sciences de l’éducation, du projet de recherche participative Pop Part. Fanny Salane, maîtresse de conférence en science de l’éducation également à l’Université Paris Nanterre, et participante sur le projet Pop Part, Thibaut Noël, jeune habitant de Pantin, membre du collectif Traces d’aide à l’accueil des populations exilées, Mira Hannachi, jeune habitante de Nanterre, Karim Yazi, responsable du Kygel Théâtre, Guy Lafrance, du Kygel théâtre, metteur en scène du spectacle “Vivaces”, monté à partir de textes tirés du livre et du site “Jeunes de quartier, le pouvoir des mots”, résultat de la recherche participative Pop Part.

    Qu’est-ce qu’être jeune d’un quartier populaire ? À quelle expérience sociale, urbaine, familiale, à quelles visions de sa place dans la société et dans le territoire cela renvoie-t-il ?

    Ces questions ont guidé la recherche participative Pop-Part conduite dans dix villes ou quartiers de l’Île-de-France et associant 120 jeunes, une quinzaine de professionnels de la jeunesse et une quinzaine de chercheur(e)s appartenant à différentes disciplines : sociologie, science de l’éducation, Histoire, géographie, urbanisme… ainsi que certains étudiants de ces mêmes disciplines….

    Pourquoi une telle recherche ? Quelle en est la motivation ? Quels objectifs se donnent-elle ? mais aussi comment cette démarche s’est-elle construite ? Sur quels territoires ? quartiers ? A partir de quels choix ? Voilà quelques unes des premières questions que nous pourrons poser à nos invités.

    Mais finalement y-a-t-il une spécificité du vécu des jeunes des quartiers populaires au regard de la jeunesse en général ? Qu’est-ce que le lien entretenu avec leur quartier spécifique révèle sur des sujets aussi divers que l’engagement, les médias, les filles et les garçons, le changement urbain, la politique, le sport, l’Histoire, les discriminations, la culture… 27 sujets ont ainsi été abordés dans cette recherche, regroupés sous la forme d’un abécédaire. Finalement y-a-t-il un vécu commun à la jeunesse des quartiers populaires tout en partageant dans le même temps les questionnements propres à toute la jeunesse ? Les chercheuses Marie-Hélène Bacqué, et Fanny Salane et les jeunes participant(e)s Thibaut Noël et Mira Hannachi, de cette recherche pourront répondre à nos interrogations.

    Enfin suite à la publication en 2021 de cette recherche sous la forme d’un livre et d’un site intitulés “Jeunes de quartier, le pouvoir des mots”, la compagnie Kygel Théâtre s’est emparée d’un ensemble de textes de cet ouvrage, pour monter le spectacle “Vivaces”, dont les représentations ont commencé en avril 2022. Karim Yazi, responsable du Kygel Théâtre et Guy Lafrance, metteur en scène du spectacle nous raconterons leur travail autour de ces textes et la rencontre du spectacle avec son public.

    #Jeunes_de_quartier #Marie_Hélène_Bacqué #Jeanne_Demoulin

  • Cyberharcèlement : « Je me lève et je vois une vidéo de moi nue sur Snapchat »
    https://www.lemonde.fr/m-perso/article/2023/01/07/cyberharcelement-je-me-leve-et-je-vois-une-video-de-moi-nue-sur-snapchat_615

    Insultes, menaces, diffusions de photos intimes : les attaques sexistes en ligne explosent. Visant essentiellement les femmes, elles prospèrent d’autant mieux que les sanctions restent rares.

    Par Magali Cartigny

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    https://www.lemonde.fr/m-perso/article/2023/01/07/cyberharcelement-je-me-leve-et-je-vois-une-video-de-moi-nue-sur-snapchat_615

    Elles s’appellent Marion, Laura, Anne-Cécile, Sara, Sandrine, Alice, Nora, Manon… Elles ont entre 13 et 65 ans, sont de toutes origines et de tous milieux sociaux. Elles sont collégiennes, streameuses, militantes, vidéastes, lycéennes, étudiantes, cheffes d’entreprise, salariées, mères au foyer ou retraitées. Et elles sont des milliers à subir quotidiennement des violences sexistes et sexuelles en ligne, qu’elles soient connectées ou pas, qu’elles « s’exposent » en ligne ou non.

    Leurs visages sont collés sur des corps d’actrices porno, leurs nudes (photos dénudées) ou vidéos intimes sont publiés sur les réseaux, agrémentés de propos dégradants et à caractère sexuel. Elles sont menacées de mort, de viol, insultées. On les incite à se suicider. On les fait chanter, on les attend devant chez elles, sur leur lieu de travail ; elles reçoivent des appels la nuit. Parfois, elles doivent déménager, arrêter de travailler. Certaines tentent de mettre fin à leurs jours. D’autres vivent en sursis, redoutant la prochaine vague.

    Des agressions où la frontière entre monde virtuel et physique s’efface, dans un continuum de violences qui les submerge, parfois les anéantit. Des attaques cyber multiformes, nommées par des termes anglo-saxons (slut-shaming, doxing, revenge porn, sextorsion, flaming, deepfake) révélant des pratiques différentes, qui peuvent se cumuler, et qui ont toutes le même but : faire taire, humilier et détruire la vie de femmes grâce aux outils numériques.
    Prise au piège

    Selon les chiffres de l’association StopFisha, 73 % des femmes ont déjà été victimes de violences sexistes ou sexuelles en ligne, et les femmes sont vingt-sept fois plus susceptibles d’être cyberharcelées que les hommes. Une étude du Centre Hubertine-Auclert datant de 2018 montre qu’une femme sur trois a été menacée par son partenaire ou son ex de voir diffuser des photos ou des vidéos intimes, dont certaines ont été obtenues par la force, la menace ou à leur insu.

    J’oserai ajouter la lecture du livre de Bérengère Stassin.

    #Cyberharcèlement #Sexisme

  • Oblique-s
    http://www.oblique-s.org/?page=documentation

    « Voici un livre sur l’histoire des idées d’un monde qui aime faire croire que ses idées n’ont pas d’histoire (…) et sont présentées comme inévitables. »
    Professeur de littérature comparée à Stanford, Adrian Daub déconstruit la narration marketing de la Silicon Valley, ses figures, ses principes et ses « entreprises qui finissent par reconfigurer vos idéaux pour justifier leur modèle économique. »
    L’enjeu est de se pourvoir en outils analytiques pour répondre à la puissance de l’amnésie et d’une soit-disante loi naturelle.
    Daub met en avant plusieurs figures historiques incontournables des années 60 (Marshall McLuhan, Richard Buckminster Fuller, Ayn Rand, Stewart Brand) qui ont fait converger contre-culture et business plan en réponse aux pouvoirs de l’État, remis partout en question à l’époque. L’informatique avait alors tous les atouts d’un outil de liberté.
    McLuhan écrivait déjà : « tout le monde doit vivre dans la proximité maximale créée par notre implication électrique dans la vie d’autrui. »
    Ayn Rand, autrice et philosophe, prônait l’individualisme héroïque avec comme figure centrale l’entrepreneur visionnaire, quasi-messie. C’est particulièrement vrai dans La Grève, œuvre essentielle pour comprendre ce qui peut passer par la tête de Zuckerberg, Thiel ou Musk.
    Plus étonnant, on trouve comme influence le français René Girard mais dont la pensée chrétienne a bon dos pour justifier la mainmise de quelques uns sur tous.
    Daub s’attaque à quelques concepts idiots comme la disruption qui prétend au radicalisme socio-économique en réduisant la pensée de Schumpeter dans Capitalisme, socialisme et démocratie en 1942 à une formule : la destruction créatrice qui justifierait tout alors qu’elle est la fin d’un système.
    « La Silicon Valley traduit des concepts informatiques en théories psychologiques et platitudes du développement personnel » écrit Daub.

    En conclusion : « Est-il possible que cette histoire ne se résume pas à une bande de geeks ne comprenant rien à la philosophie ? »

    Autres livres que je conseille : Aux sources de l’utopie numérique de Fred Turner et Du satori à la Silicon Valley de Theodore Roszak
    (Trad. Annie Lemoine)

    https://www.adriandaub.com

    C&F éditions

    #Pensée_tech #Adrian_Daub

  • Comprendre les origines de la pensée tech : Plongée dans l’idéologie de la Silicon Valley avec Adrian Daub | Philonomist.
    https://www.philonomist.com/fr/entretien/comprendre-les-origines-de-la-pensee-tech
    https://www.philonomist.com/sites/default/files/styles/opengraph_preview/public/2022-12/Apple+Silicon%20Valley.jpg

    Dans la Silicon Valley, on cultive, outre les start-up à succès, une certaine forme d’idéologie qui revisite à sa sauce l’œuvre de nombreux intellectuels, de Schumpeter à René Girard. Plongée au cœur de la pensée des acteurs de la tech californienne en compagnie d’Adrian Daub, enseignant à Stanford, auteur de La Pensée selon la tech (C&F éditions, 2022).

    Propos recueillis par Nils Markwardt.

     

    Dans ses premiers temps, la Silicon Valley était fortement marquée par la contre-culture. Comment s’est installée cette étrange liaison entre le mouvement hippie et l’industrie de la tech ?

    Adrian Daub : Cette liaison forte entre les deux a, d’un côté, des raisons régionales en Californie du Nord, mais elle est aussi marquée par une culture d’entreprise spécifique. On trouve dans la Silicon Valley de nombreuses entreprises qui puisent largement dans cette éthique anti-autoritaire et anti-élitaire des années soixante, qui tenta de recréer la Corporate America selon les règles de la commune hippie. Et la plupart des entreprises s’en nourrissent encore aujourd’hui. Par exemple en soulignant l’élément horizontal, coloré et anticonformiste.

    Cela dit, l’héritage de la contre-culture n’apparaît pas seulement dans le style de ces entreprises. En contraste avec les soixante-huitards en Allemagne, la contre-culture californienne a eu pour spécificité de fonder un nombre étonnant d’entreprises et d’avoir fait du commerce. Ce qui tenait au fait que l’économie était considérée comme un contrepoids potentiel à un État américain à l’époque surpuissant, ainsi qu’au complexe militaro-industriel. Quand on dit, donc, que le libéralisme radical qu’on rencontre dans la Silicon Valley est un ajout tardif à l’héritage hippie proprement dit, ce n’est pas vrai. Le libéralisme radical était déjà inscrit dans les communes hippies, dès lors qu’on attribuait un plus grand potentiel progressiste à l’entreprise qu’à l’État.

     

    “McLuhan a tourné au positif la supposition que les nouveaux médias allaient totalement transformer la vie des gens”

     

    Vous décrivez dans votre livre toute une série de penseuses et de penseurs qui – souvent aussi par des chemins sinueux – ont exercé une influence sur la Silicon Valley. Vous commencez par le spécialiste canadien des médias et de la littérature Marshall McLuhan (1911-1980), qui a forgé la célèbre formule « The medium is the message ». Comment ses théories se sont-elles développées pour devenir une sorte de rayonnement d’arrière-plan de l’industrie tech ?

    À l’instar d’Ayn Rand ou de Hermann Hesse, McLuhan fait partie de ces penseuses et penseurs qui ont été absorbés par la contre-culture californienne et ont ensuite souvent été interprétés d’une manière un peu différente de l’image qu’ils avaient d’eux-mêmes. Dans le cas de McLuhan, deux raisons expliquent pourquoi il est devenu important pour la branche de la tech. D’une part, parce qu’il a ôté aux hommes la peur des nouveaux médias en masquant l’élément conservateur de la critique culturelle. Ou plus exactement : il a tourné au positif la supposition, relevant du pessimisme culturel, que les nouveaux médias allaient totalement transformer la vie des gens. Alors que les hippies avaient vainement tenté, pendant une dizaine d’années, de créer des contenus pour bâtir une meilleure société, le message que leur adressait McLuhan leur paraissait tout à fait séduisant. Car celui-ci porte en lui la promesse suivante : au lieu de se contenter de ne fournir aux hommes que des contenus auxquels ils ne réagissent pas, on pourrait changer la polarité des gens pour l’orienter vers le média lui-même. Que les hommes soient retournés par les médias n’a donc, dans cette lecture, rien de mauvais. Au contraire.

    La deuxième raison : si l’on veut réellement comprendre ce qui se passe, il faut, selon McLuhan, se détourner du contenu et aller vers la forme – ou, justement, vers la plateforme. Chez McLuhan lui-même, ce fut dans un premier temps plutôt une intervention méthodologique. Il a souligné le fait que les spécialistes des médias comme lui ne devraient pas se concentrer autant sur les contenus, mais plutôt analyser comment sont transmis ces contenus, quels messages véhicule le média lui-même. Pourtant, cela aussi avait déjà chez McLuhan une composante légèrement morale. Selon le principe : celui qui regarde trop les contenus est naïf. Or, cela a des conséquences très concrètes dans la Silicon Valley. Seul est considéré comme du travail ce qui crée des plateformes et des médias. Les contenus, en revanche, sont là pour tous ceux qui ne sont pas assez géniaux pour écrire des codes. C’est-à-dire par exemple les « consommateurs » qui approvisionnent gratuitement Yelp en évaluations sur les restaurants, ou Facebook en posts.

     

    Un autre penseur sur lequel vous travaillez est René Girard (1923-2015), anthropologue français de la culture et ancien professeur à Stanford. Il s’est surtout fait connaître avec sa « théorie mimétique », selon laquelle tous nos souhaits sont, dans une certaine mesure, des copies : nous voulons toujours avoir ce qu’ont les autres. Il va de soi que c’est intéressant, par exemple, pour les fondateurs des réseaux sociaux. Vous décrivez tout de même le fait que l’influence de Girard repose aussi sur la nature de sa pensée. Pourquoi ?

    Ce qui est important, chez Girard, c’est le niveau formel, et avant tout l’élément contre-intuitif. Car sa théorie ne signifie pas que la majorité du désir humain est d’ordre mimétique – ça n’aurait en soi rien qui puisse susciter la controverse –, mais plutôt que cela concerne chaque désir, c’est-à-dire que tous nos souhaits sont des souhaits copiés. Or c’est justement ce caractère absolu, que beaucoup de personnes commenceraient par rejeter parce qu’ils considèrent que certains de leurs souhaits sont authentiques, qu’on considère comme une force dans la Valley. De cette manière, la théorie de Girard devient une forme de contre-savoir et de doctrine secrète, et Girard lui-même une sorte de prophète de la radicalité gratuite.

     

    Dans quelle mesure ?

    Si l’on en croit Girard, le monde est constitué d’une tout autre manière que nous le percevons en général. Et il est surtout beaucoup moins intéressant. Car avec l’idée du désir mimétique, le monde paraît tout à coup beaucoup plus homogène. Ce qui est amusant, naturellement, c’est que l’unique lieu auquel s’applique effectivement la théorie de Girard – où, donc, tous veulent la même chose –, serait une start-up de diplômés de Stanford, de jeunes gens qui sont issus du même segment très spécifique du système éducatif et d’une région spécifique. Mais ces mêmes personnes peuvent paradoxalement s’expliquer, avec l’œuvre de Girard, que l’humanité est en réalité comme eux, ce qui leur permet de dire à l’humanité ce dont elle a réellement besoin. Si l’on demandait à ces diplômés de Stanford combien d’autres personnes ils connaissent réellement, ils pourraient répondre qu’ils n’ont aucun besoin de les connaître, puisqu’ils ont leur Girard. Cette radicalité, et cette universalité en réalité intenable de la théorie de Girard, permet de tirer, à partir du cercle formé par un petit groupe homogène, des conclusions concernant la grande masse.

     

    “Tout ce qui existe mérite à présent d’être ‘disrupté’”

     

    L’une des notions centrales de la Silicon Valley est la disruption. Sur le plan de l’histoire des idées, cela remonte au concept de la « destruction créatrice », qui a été forgé par l’économiste Joseph Schumpeter (1883-1950). Si ce n’est que Schumpeter partait de l’idée que la « destruction créatrice » menait au bout du compte au socialisme, dès lors que la disruption permanente provoquait chez les hommes un besoin croissant de régulation économique. Aujourd’hui, toutefois, la disruption n’est pas un argument contre, mais pour le capitalisme. Comment en est-on arrivé là ?

    S’il s’agit de savoir quelles conséquences a le capitalisme, Marx et Engels pensaient qu’il déboucherait sur la révolution. Schumpeter croyait au contraire que le capitalisme serait de plus en plus encerclé par des réformes et déboucherait ainsi peu à peu sur le socialisme. Il ne portait même pas un regard particulièrement positif sur ce phénomène, mais à son époque, dans les années 1940, il partait justement du principe qu’on ne pourrait pas l’empêcher. Ensuite, dans les années 1980, le concept de « destruction créatrice » a été peu à peu tourné dans le sens positif et s’est élevé plus tard, dans l’industrie de la tech, au rang de véritable théodicée de l’hypercapitalisme [une théodicée est un récit permettant d’expliquer la contradiction apparente entre la bonté et la toute-puissance de Dieu d’une part, et l’existence du mal de l’autre, ndlr]. Tout ce qui existe mérite à présent d’être « disrupté ».

    Ce cas montre aussi, cependant, que ce que la Valley appelle penser ne vient pas seulement des entreprises. Car il est certes vrai que si une entreprise comme Uber maintient à un niveau élevé le culte de la disruption, c’est que ce dernier lui sert à légitimer son modèle économique. Mais il est tout aussi vrai que de telles entreprises ne pourraient pas le faire sans soutiens dans les médias, la politique et les universités, qui prolongent ce culte de la disruption. Combien de fois avons-nous dû par exemple entendre, ces quatre dernières années, que Donald Trump ne détruisait pas seulement les normes, mais qu’il était un disruptive president, ce qui présentait aussi des avantages ? Le modèle de la disruption a été transposé à tous les domaines possibles de la société, on en a fait une variante spéciale de la gouvernementalité néolibérale, variante qui permettait de tout expliquer et de tout remettre en ordre – qu’il s’agisse des sociétés de taxi ou des universités.

     

    Une métamorphose douteuse analogue a été infligée, dans la Silicon Valley, à la fameuse phrase de Samuel Beckett « Déjà essayé. Déjà échoué. […] Échoue mieux. » Dans sa nouvelle Cap au pire, publiée en 1983, l’écrivain avait formulé cette phrase pour exprimer l’idée mélancolique que l’échec est une partie intégrante de la vie, au terme de laquelle attend toujours la mort inéluctable. Dans la lecture qu’on en fait en Californie du Nord, cette sentence est au contraire devenue un impératif d’auto-optimisation.

    Tout à fait. Ici, on met l’accent sur le « mieux ». Mais ça n’a pas toujours été le cas. Après l’éclatement de la première bulle internet [bulle spéculative liée aux secteurs de l’informatique et des télécommunications à la fin des années 1990, ndlr], beaucoup de personnes dans la Valley se sont consciemment demandé ce qui leur était arrivé et quelles leçons ils pouvaient en tirer – même s’il ne devait pas y avoir de prochaine fois. Cela a changé à partir de la crise financière de 2008. Après cette date, on a en quelque sorte universalisé l’échec. Et ce, dans une situation dans laquelle rien ne pouvait en réalité échouer dans la Silicon Valley. Alors que tout s’effondrait autour de la Valley, à commencer par les banques et les compagnies d’assurances, là-bas, les choses continuaient leur ascension.

     

    “Dans la Valley, la possibilité d’échouer et manière dont on le fait dépendent fortement de qui l’on est déjà”

     

    Le culte de l’échec ne fonctionnait plus à présent que rétrospectivement. Les gens qui réussissaient racontaient qu’eux aussi avaient un jour subi un atterrissage en catastrophe. Des gens, donc, venus dans la Valley en provenance de Stanford ou de Harvard, avaient un jour eux grillé un million, en avaient reçu un autre et étaient ensuite devenus d’une richesse incroyable. C’est bien entendu un affront pour tous ceux pour qui l’échec signifie tout autre chose. Que l’on puisse échouer, et comment, dépend fortement, dans la Valley, de qui l’on est déjà. L’échec n’est rien de définitif, mais constitue uniquement un point intéressant sur notre CV.

    Je cite dans le livre l’exemple de Theranos, une start-up du secteur de la biotech qui s’est retrouvée en 2019 impliquée dans un scandale d’escroquerie. Dans sa centrale de Palo Alto se trouvait une citation du basketteur Michael Jordan dans laquelle celui-ci disait qu’il avait fait plus de 9 000 mauvais lancers dans sa carrière, perdu plus de 200 matchs et raté 26 fois le dernier jet, c’est-à-dire qu’il n’avait pas cessé d’échouer, mais que c’était la seule raison pour laquelle il y était arrivé. C’est exemplaire. Car les gens pour lesquels l’échec est intéressant ne sont jamais que des personnes comme Jordan, J. K. Rowling ou Mark Zuckerberg. Et ce, parce que cela apparaît comme le prélude d’un succès inconcevable.

     

    Vous écrivez pourtant aussi dans le livre qu’au moins, Mark Zuckerberg admet en termes résolus à quel point il a été privilégié de ce point de vue.

    Oui, cela m’a effectivement surpris de manière très positive. Dans le discours qu’il a tenu devant des diplômés d’Harvard, il a reconnu en 2017 que Facebook avait certes constitué un risque pour lui, mais pas au sens où il l’aurait été pour beaucoup d’autres. Si l’affaire avait capoté, il aurait pu revenir à Harvard et tout aurait été en ordre. Mais ça n’aurait pas été le cas pour beaucoup d’autres personnes de sa connaissance. On peut certes douter qu’il connaisse réellement autant de gens répondant à ce critère. Mais il était important qu’il le dise aussi ouvertement. Car il reconnaissait ainsi à quel point le culte de l’échec met entre parenthèses les éléments social et physique. Des facteurs comme l’appartenance ethnique, le genre ou l’âge. Car de tout cela dépend par exemple qui a la possibilité et le droit d’échouer – et qui ne l’a pas.

    #Adrian_Daub #Silicon_Valley #Disruption #Pensée_Tech

  • The changing ideology of Silicon Valley | The Economist
    https://www.economist.com/podcasts/2022/12/14/the-changing-ideology-of-silicon-valley

    Podcast avec Margaret O’Mara et Adrian Daub.

    STARTUP FOUNDERS in Silicon Valley are often motivated by an almost religious idealism: young tech workers, looking to move fast and break things, want to use technology to make the world a better place. But 2022 has brought about a reckoning: the business models of once-star firms, such as Uber and Meta, are under threat; the allure of the dishevelled whizz-kid has been undermined by the downfall of Sam Bankman-Fried; and the expense of Palo Alto has pushed plucky startups out. The Bay Area has often been populated by liberals, but many of tech’s heroes, like Elon Musk and Marc Andreessen, have shifted to the right.

    On this week’s podcast, hosts Mike Bird, Soumaya Keynes and Alice Fulwood ask whether Silicon Valley has lost its religion. Margaret O’Mara, professor of history at the University of Washington, reveals the Valley’s past. And Adrian Daub, the author of “What Tech Calls Thinking”, tells us that the secret of the successful founder is to bamboozle regulators while they make a bit more money. Runtime: 41 min

    #Adrian_Daub

  • ‘All the Beauty and the Bloodshed’ Review: Nan Goldin vs the Sacklers – Rolling Stone
    https://www.rollingstone.com/tv-movies/tv-movie-reviews/all-the-beauty-and-the-bloodshed-review-1234634854

    All the Beauty and the Bloodshed is not a condemnation of Goldin’s parents, or even of her critics, just as her work is not, in the neatest sense, a direct condemnation. There is an enemy in this movie, to be clear. Poitras’ documentary is as interested in Goldin as an artist as it is in her forceful and very effective work as an activist. The brunt of her activism, of late, has involved the opioid crisis, of which Goldin is a survivor. Goldin founded the organization Prescription Addiction Intervention Now (PAIN) in 2017 to hold the Sackler family — founders and owners of Purdue Pharma and Mundipharma — accountable for their role in the overprescription of OxyContin and other addictive opioids.

    She was inspired, in part, by the revelations disclosed in Patrick Radden Keefe’s 2017 New Yorker article on the Sackler family, which likened the pharmaceutical titans to “an empire of pain” and, in its very first paragraph, points to the reasons that this crisis, for Goldin, would prove not only personal, but institutional. Goldin is a renowned artist recognized worldwide for the groundbreaking candor of her photography, which has found homes in the permanent collections of the world’s most notable museums and archives. The Sacklers are a family whose name shares an equally broad, though far less noble, fame in the art world. You could see that name at the Met, on the Sackler Wing, and, as Keefe damningly listed, “the Sackler Gallery, in Washington; the Sackler Museum, at Harvard; the Sackler Center for Arts Education, at the Guggenheim; the Sackler Wing at the Louvre; and Sackler institutes and facilities at Columbia, Oxford, and a dozen other universities.” What is now seen as a canny, egregious feat of reputation laundering had for many years gone unchallenged. The family that made billions of dollars from its slick and novel approach to selling opioids — marketing them to doctors, rather than to patients — had also successfully wedded itself to a philanthropic image that the art world, Nan Goldin’s world, helped to secure. Her work was in the permanent collections of museums that took money from a family whose drugs almost killed her.

    #Nan_Goldin #Opioides

  • RENCONTRES GIONO 2021 #9 - À la poursuite du livre rêvé par Jean Giono et Maximilien Vox. - YouTube
    https://www.youtube.com/watch?v=4Y3_kIw1t9E

    RENCONTRES GIONO 2021 #9 - À la poursuite du livre rêvé par Jean Giono et Maximilien Vox.
    Association Les amis de Jean Giono
    23 oct. 2021
    Images et réalisation Stéphane Cazères

    Une vidéo à propos du livre « À la poursuite du livre rêvé par Jean Giono et Maximilien Vox
    Dialogues typographiques
    Ouvrage collectif »

    le livre : https://cfeditions.com/giono-vox

    #Giono_Vox #Jean_Giono