Bertolucci, Bonnaud et les demi-folles

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    Invité sur le plateau de « Mediapart », le directeur de la Cinémathèque était interrogé sur la rétrospective #Polanski et l’ajournement de celle sur #Brisseau.

    Le cinéma est-il hors de la société ? Vaste question. C’est le thème du débat de la semaine de Mediapart. Pas vraiment un débat, d’ailleurs : le directeur de la Cinémathèque française, Frédéric Bonnaud, y est invité seul. Bonnaud est un ancien journaliste. Il a dirigé les Inrocks. Quatre ans durant, il a animé cette même émission de Mediapart, dont il est aujourd’hui l’invité-accusé : pourquoi a-t-il maintenu la rétrospective hommage à Roman Polanski, en présence du réalisateur, malgré l’affaire Weinstein ? Sur le plateau, deux hommes, Bonnaud et François Bonnet, directeur de la rédaction de Mediapart, et une femme, Lenaïg Bredoux, journaliste à Mediapart.

    Dans nombre de rédactions, l’affaire Weinstein, comme l’affaire Polanski avant elle, a creusé un fossé entre les journalistes culture et leurs confrères et consœurs chargés des violences faites aux femmes. Comment sauver l’œuvre, si son créateur est un agresseur ou un violeur ? Comment traiter le délinquant sexuel dont on admire l’œuvre ?

    Pourquoi avoir maintenu l’invitation de Polanski ? demande-t-on à Bonnaud. Parce que Polanski. Parce que grand cinéaste. Parce que, depuis que Polanski vit en France, il n’a jamais récidivé. D’ailleurs, si Bonnaud convient sans difficulté que Weinstein est un porc, il avertit néanmoins : « Cette libération de la parole, est-ce qu’elle ne s’accompagne pas d’un flash totalitaire et d’un retour à l’ordre moral, sous la direction de ligues de vertu ? »

    Ce que l’on entend à ce moment, c’est une certitude en perdition. Homme de gauche, combattant pour la liberté d’expression et contre les « ligues de vertu », travaillant avec le monument Costa-Gavras (président de la Cinémathèque), autant dire sous l’ombre gigantesque d’Yves Montand, Frédéric Bonnaud a toujours été « du bon côté ». Et soudain, dans le sidérant miroir que lui tend l’époque, il se découvre du côté des oppresseurs.

    Bref, circulez ligues de vertu, on n’a rien à discuter. Et alors, très doucement, se fait entendre la voix de Lenaïg Bredoux. « S’il n’y a aucun débat, pourquoi avez-vous suspendu la rétrospective Brisseau à la Cinémathèque ? » Car une seconde rétrospective était prévue en janvier, autour du cinéaste Jean-Claude Brisseau, condamné en 2005 et 2006 pour harcèlement et agression sexuelles sur ses actrices. Et l’on vient d’apprendre qu’elle était ajournée.

    Et d’un seul coup, c’est un autre Bonnaud. Le résistant capitule. « Tu sais pourquoi nous avons renoncé ? Mettre dix gardes du corps dans le hall, ça coûte 10 000 euros. Nous ne sommes pas de taille. Je dis à Osez le féminisme ! "vous avez gagné". Moi, je suis pas venu travailler à la Cinémathèque française pour entendre Marlène Schiappa me dire que j’avais la culture du viol. On ne me l’a pas encore dit, mais on va me le dire. Et c’est normal qu’on me le dise. »

    Et Bonnaud part en roue libre, sur le mode « plus rien à perdre ». On vient de restaurer 1900, ce très grand film. « Je pourrais inviter Bernardo Bertolucci, son auteur. Mais je ne vais pas l’inviter pour qu’il se fasse traiter de violeur par des demi-folles. » #Bertolucci, violeur ? Il y a du sous-texte. Bonnaud parle ici d’un autre film, le Dernier Tango à Paris, resté célèbre pour la scène de sodomisation (simulée) de Maria Schneider par Marlon Brando à l’aide d’une plaquette de beurre. De longues années plus tard, Bertolucci a avoué que cette scène, non prévue, avait été imaginée par Brando et lui le matin même du tournage, sans que Schneider en fût avertie. « Je voulais sa réaction d’humiliation en tant que femme, et pas en tant qu’actrice », a dit Bertolucci - aveu justement livré à la Cinémathèque de Paris. Bertolucci avait alors expliqué se sentir « coupable » mais ne pas regretter. A noter que ce débat, en 2013, n’avait pas provoqué de réactions particulières en France, jusqu’à ce que son enregistrement soit exhumé trois ans plus tard par la version américaine de Elle.

    Il faudrait prendre Bonnaud entre quatre-z-yeux et lui expliquer que ce qui arriva jadis à Maria Schneider s’appelle bien un viol. On ne parle pas de cinéma. On parle de deux hommes, #Brando et Bertolucci, qui montent un traquenard à une femme, Maria #Schneider, sous un prétexte artistique. Que cela n’empêche peut-être pas d’aimer le film, mais que le temps est venu d’appeler les choses par leur nom. Au risque de se faire traiter de demi-fou, ou de demi-folle.
    Daniel Schneidermann

    #viol #cinéma