• « Le RSA, c’est bien, mais qu’est-ce que ça se boit vite ! »

      « Une autre fin du monde est possible », « Emploi du temps perdu », « En chacun de nous, il y a un pancréas », « Le partisan du moindre est fort », « Il n’y a pas d’avant-garde, il n’y a que des gens en retard », et des milliers d’autres. Dans, Tiens, ils ont repeint ! (éditions La Découverte), l’écrivain Yves Pagès, également directeur de la maison d’édition Verticales, a collecté plus de 4 000 graffitis ou « aphorismes urbains », de 1968 à nos jours. Les inscriptions murales restent un moyen d’expression populaire qui a traversé les âges : finalement, comme le rappelle Pagès dans sa postface, les « mains négatives » sur les parois des cavernes n’étaient-elles pas les premiers pochoirs ?

      (...) On y retrouve aussi la volonté aussi de poursuivre un travail familial : la mère d’Yves Pagès avait collecté les graffitis de la Sorbonne en Mai 68. L’écrivain voulait, lui, démontrer que cet art de la punchline murale ne s’était pas arrêté au « joli mois de mai », et commence donc ce catalogue en juin de la même année. « Assez d’actes, des mots » : on s’est entretenus avec Yves Pagès au dernier étage d’un immeuble du quartier d’Odéon à Paris, là où se nichent les éditions Verticales.

      Quelle était l’ambition de ce livre ?
      J’ai avant tout essayé de recueillir une imagination collective, une créativité verbale. Pour la méthodologie : j’ai noté les lieux, les dates afin de pouvoir les classer chronologiquement. On voulait que ça puisse donner envie à des sociologues ou des lexicologues de s’intéresser à ce lieu d’expression marginal. Le bouquin essaie de faire tenir ensemble des choses de sensibilités très différentes : politiques, rigolardes, limites, potaches, etc. Des graffitis raffinés, très cultivés ou au contraire pas du tout, des tags prémédités ou au contraire produits sous l’emprise de l’alcool… Un graffiti résonne pourtant normalement dans un lieu, dans un contexte. Il y a donc une espèce de trahison que je fais là en les compilant ainsi en colonnes. Quand on lit le bouquin, on lit ces graffitis les uns par rapport aux autres. Cela produit un effet de cadavre exquis, qui me plaît beaucoup. C’est beau de lire cela en continu je trouve : le mot d’amour neuneu vient après un propos énervé, qui vient après une grosse blague. C’est un poème collectif où il y a du bon, du moins bon, à boire et à manger. Une fois qu’on a terminé ce livre, avec le graphiste Philippe Bretelle, on était persuadé d’avoir surtout fait un très beau livre de poésie.

      Les graffitis peuvent-ils nous renseigner sur l’air du temps ?
      Sur ces cinquante années de graffitis, ce qui est intéressant, c’est qu’on retrouve des répliques verbales à chaque événement. Après Tchernobyl, on trouve par exemple « Cet été, on bronze mieux à Tchernobyl ». Sur les rapports hommes-femmes, l’un des plus beaux que j’ai notés, c’est « Nique ton père, ça changera » : l’humour des graffitis va aussi se porter sur les débats de société, sur ces clichés, même s’ils sont au second degré, où il reste une trace de misogynie ou de sexisme. Ces graffitis sont effectivement marqués par l’air du temps. Etant faits par des gens commettant un acte illégal, soit une frange bien particulière de la population, ces graffitis ne représentent pas la pensée de la majorité silencieuse, ou du mainstream. Mais ils témoignent, je pense, des métamorphoses de la révolte. Comme les brèves de comptoir ont toujours dit quelque chose sur la société, les brèves de trottoirs expriment les mutations du regard critique.


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