les juges français se conforment aux règles européennes

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  • [Ressources humaines] L’actualité actuEL RH : Interdiction du voile au travail : les juges français se conforment aux règles européennes
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    23/11/2017
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    Hier, la Cour de cassation a adopté le raisonnement de la Cour de Justice de l’Union européenne concernant le port du voile islamique. Le licenciement d’une salariée pour refus d’ôter son voile lors des rendez-vous en clientèle est discriminatoire si le règlement intérieur de l’entreprise ne prévoit pas de clause de neutralité proportionnée aux objectifs poursuivis.
    Licenciée pour faute en 2009, cette ingénieure d’étude avait refusé de retirer son voile islamique lorsqu’elle se rendait en clientèle. Huit ans après son licenciement pour faute, la Cour de cassation vient finalement de lui donner raison, en déclarant que son licenciement était sans cause réelle et sérieuse. Dans un arrêt rendu le 22 novembre 2017, la chambre sociale de la haute Cour applique scrupuleusement le raisonnement adopté le 14 mars 2017 par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). La CJUE avait alors répondu à la question préjudicielle posée par les juges français, en affirmant que la prise en compte du souhait de la clientèle de ne plus vouloir travailler avec une salariée voilée ne peut pas être considéré comme une « exigence essentielle et déterminante » justifiant une discrimination.

    Une clause intégrée au règlement intérieur
    La Cour de cassation souligne le fait que l’interdiction faite à la salariée de porter son foulard lorsqu’elle était en contact avec des clients ne résultait que d’un ordre oral, qui ne visait qu’un signe religieux déterminé. Ce faisant, l’entreprise a commis une discrimination, directement fondée sur les convictions religieuses de la salariée. Si une entreprise souhaite mettre en place une telle interdiction, la Cour exige qu’une clause de neutralité générale, « interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail » figure dans le règlement intérieur de l’entreprise (ou dans une note de service adjointe au règlement intérieur).

    La référence des juges au nouvel article L. 1321-2-1 du code du travail est explicite. Introduit par la loi Travail de 2016, ce texte permet aux entreprises privées d’inscrire dans leur règlement intérieur des clauses qui restreignent la manifestation des convictions des salariés « si ces restrictions sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché ». Même si cette règle ne pouvait être appliquée car les faits étaient antérieurs à l’entrée en vigueur de la loi, la Cour de cassation incite les entreprises à recourir à cette nouvelle possibilité. Et à se trouver ainsi en conformité avec le droit de l’Union européenne.

    Une exigence professionnelle essentielle et déterminante
    Cependant, toute clause de neutralité inscrite au règlement intérieur ne protège pas l’entreprise. Car une obligation en apparence neutre peut entraîner dans les faits, un désavantage particulier pour les personnes adhérant à des convictions. Dans ce cas, la restriction vestimentaire s’analyse en une discrimination indirecte. Cette dernière doit, pour être licite, répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante constituée en raison de la nature de l’activité professionnelle ou des conditions de son exercice, comme l’impose la directive fixant le cadre européen en faveur de l’égalité de traitement (article 4, §1). L’objectif de la différence de traitement doit être légitime, et l’exigence proportionnée.

    Une caractéristique liée à la religion ne peut répondre à ces conditions que dans des cas très limités. Ainsi, dans le second arrêt rendu par la CJUE en mars 2017 (qui concernait une affaire belge) les juges européens ont considéré que la volonté de l’entreprise d’afficher une politique de neutralité politique, philosophique ou religieuse dans ses relations avec ses clients était un élément objectif pouvant fonder une obligation de neutralité vestimentaire. En revanche, la volonté de l’employeur de tenir compte des souhaits particuliers d’un client est une considération subjective. Dès lors qu’elle vise indifféremment toute manifestation de convictions, une politique de neutralité dans l’entreprise traite de la même façon tous les travailleurs. Attention toutefois, une telle politique est justifiée si elle s’applique uniquement à l’occasion des contacts avec la clientèle.

    La Cour de cassation s’inscrit dans une ligne logique après son arrêt Baby Loup, rendu le 25 juin 2014 en Assemblée plénière. Dans cet arrêt, elle avait admis comme légitime et proportionnée l’interdiction, pour les salariés d’une association en contact avec de jeunes enfants, de porter des signes religieux. La clause de neutralité générale était valide notamment car elle concernant une association employant seulement 18 salariés.

    Reclasser plutôt que licencier
    Autre point de la jurisprudence de la CJUE repris par la Cour de cassation : le comportement à adopter face au refus par le salarié de se conformer à la règle de l’entreprise. Ainsi, si la salariée refuse de retirer son voile lors de ses relations clientèle, l’entreprise doit d’abord rechercher si elle peut proposer à cette salariée un poste sans contact visuel avec les clients plutôt que d’opter pour un licenciement. Les juges tempèrent toutefois cette règle, en précisant que le choix doit être fait en tenant compte des contraintes inhérentes à l’entreprise, et de façon à ce que cette dernière ne subisse pas de charge supplémentaire.

    Laurie Mahé Desportes
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