• « Société de la délation », « accusations excessives » : 5 arguments qui remettent en cause la parole des femmes
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    Lors de son discours du 25 novembre sur les violences faites aux femmes, c’est le président de la République lui-même qui a mis les pieds dans le plat à trois reprises. Emmanuel Macron a notamment évoqué le passage « d’une société de l’oubli à une société de la délation généralisée ».

    Un petit point historique s’impose. Frédérique Neau-Dufour, historienne et directrice du Centre européen du résistant déporté du Struthof (Bas-Rhin), tient tout d’abord à préciser ce qui différencie la délation de la dénonciation :

    « Dans la délation, il y a la volonté de nuire à autrui, avec des conséquences qui, pendant la guerre, il faut tout de même le souligner, pouvaient être la mort. Il y a aussi l’idée de profiter à soi-même, dans un rapport assez égoïste de vengeance. C’est donc un terme connoté de manière négative.

    A l’inverse, la dénonciation peut se parer de vertus plus civiques : on veut aider une cause à progresser. Il y a une certaine responsabilité de la personne qui prend la parole pour améliorer une situation. Or aujourd’hui, quand on intervertit ces deux termes, ça fait porter sur les femmes une accusation de faire ça par méchanceté, par vengeance. »

    « Les lettres de délation sous l’occupation provenaient d’hommes »

    Par ailleurs, ajoute-t-elle, la délation a toujours été perçue comme féminine, à tort : « Les lettres de délation sous l’occupation provenaient d’hommes. » Pour appuyer ses propos, Frédérique Neau-Dufour cite les travaux de l’historien Laurent Joly, qui a notamment pu analyser les registres des courriers envoyés au Commissariat général aux questions juives (CGQJ), tenus à jour de janvier 1942 à août 1944. Dans un article paru dans la revue Vingtième siècle en 2007, il écrit ainsi :

    « En ce qui concerne le sexe des délateurs, on remarque une nette domination des hommes, contrairement aux idées reçues. Si l’on tient compte des sept lettres anonymes pour lesquelles l’identité sexuelle de l’auteur est évidente – “un légionnaire”, “une Française”, “un antijuif”, etc. –, on constate que, sur les 82 lettres “signées” de notre échantillon, 65 sont écrites par des hommes et 17 par des femmes. Au demeurant, la “délation passionnelle” n’est pas l’apanage de ces dernières, comme le veut un autre cliché. Un M. Dupont, en instance de divorce, dénonce l’amant de sa femme, un juif hongrois. »

    Ces idées reçues ne sont donc pas nouvelles, conclut Frédérique Neau-Dufour : « Cela s’inscrit dans la longue tradition d’une image de femme-concierge qui observe et rapporte tout par méchanceté. » A ce titre, le hashtag #balancetonporc n’est pas exempt de tout reproche, estime-t-elle : « Les balances sont les délateurs qui n’ont pas de moralité ».

    #délation #inversion_patriarcale

  • Le gouvernement baisse d’un quart le budget dédié à la sortie de la prostitution
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    C’est une baisse de budget incompréhensible pour les politiques qui avaient défendu la loi contre la prostitution et les associations qui accompagnent les personnes concernées. Dans le projet de loi de finances 2018, les crédits alloués à la « prévention et lutte contre la prostitution et la traite des êtres humains » subit une baisse de 26 %, passant de 6,8 à 5 millions d’euros.

    Ericka Bareigts, députée de la 1ère circonscription de La Réunion et porte-parole du groupe Nouvelle Gauche à l’Assemblée nationale, affirme avoir été « choquée » par cette décision. Pour pallier cette perte, elle a déposé le lundi 13 novembre, avec d’autres députés, un amendement visant à « abonder d’1,8 millions d’euros les crédits de l’action n°15 », soit celle dédiée à la prostitution. Il a été rejeté. « C’est une attaque frontale qui marque un retrait du gouvernement sur cette politique publique pourtant essentielle », explique-t-elle à BuzzFeed News.
    600 parcours de sortie de la prostitution pourvus

    Du côté du cabinet de la secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, cette baisse est pourtant « très simple à expliquer », répond un membre du cabinet à BuzzFeed News. En cause : les parcours de sortie de la prostitution, l’un des volets phare de la loi, qui ouvre de nouveaux droits à une personne qui s’engage à arrêter la prostitution, comme un titre de séjour de six mois renouvelable le temps du parcours ainsi qu’un accompagnement social et professionnel.

    « Ce qui avait été provisionné dans le budget correspondait à la mise en place de 1 000 parcours, or il n’y en a eu que 25 à ce jour. Nous sommes par conséquent partis sur l’accompagnement de 600 personnes en 2018, ce qui nous semble déjà très optimiste », explique le cabinet.

    « Nous payons vraiment le retard de mise en route de ce dispositif, dû aux décrets d’applications, mais aussi au calendrier électoral de l’année dernière. Le dernier décret a été transmis au Conseil d’État en septembre », ajoute-t-il.

    Alors que la loi a été votée le 13 avril 2016, les cinq premiers parcours de sortie n’ont ainsi été autorisés que la semaine du 22 octobre 2017, selon le secrétariat d’État. Au total, d’ici la fin de l’année, environ 30 personnes devraient avoir intégré un parcours de sortie, alors qu’on estime à 30 000 le nombre de personnes prostituées sur le territoire français.
    De plus en plus de demandes, selon les associations

    Justifier une baisse de crédits en se basant sur ce qui a été fait en 2017 a-t-il donc réellement un sens dans ce contexte ? Du côté des associations, cette justification est sèchement accueillie. « Ils se sont basés sur ce que les associations agréées pour accompagner les parcours de sortie ont déclaré, sauf que nous recevons de plus en plus de monde. Aujourd’hui, nous ne sommes plus en capacité d’accompagner toutes les personnes qui le demandent », explique Stéphanie Caradec, directrice du Mouvement du nid, à BuzzFeed News. Elle ajoute :

    « La bonne réponse n’est pas de diminuer ce budget global. La différence de crédits aurait dû être répercutée sur les associations s’il y a une vraie volonté de monter en charge sur le sujet. Ce n’est pas comme si c’était un secteur surfinancé. Ce n’est vraiment pas le moment de baisser les moyens. »

    Dans les faits, 2,1 millions d’euros iront à des associations au niveau local, un demi-million reviendra aux trois associations « tête de réseau », « principaux partenaires en matière de prévention et de lutte contre la prostitution » — dont le Mouvement du nid. Et 2,4 millions seront dédiés au niveau national à l’allocation financière d’insertion sociale et professionnelle (AFIS). Cette aide de 330 euros par mois — qui est de 534 euros maximum pour une personne avec deux enfants — est versée mensuellement aux personnes pendant le parcours de sortie, et ce pendant la durée du programme qui est de deux ans maximum.

    « Ce qui reste extrêmement court », commente Hélène de Rugy, déléguée générale de l’Amicale du nid, qui observe elle-aussi de plus en plus de demandes de parcours de sortie. Le 15 novembre, elle a reçu une notification officielle : « Nos quatre premières demandes de parcours ont été acceptées, mais ce n’est que le prolongement d’un travail sur le long court », confie-t-elle. « Tous les dossiers que nous avons déposés ont été validés, mais ce n’est pas le cas de toutes les structures », ajoute de son côté Stéphanie Caradec. Une fois validé, un parcours peut par ailleurs être annulé, explique Hélène de Rugy :

    « Si les services de police qui font partie de la commission repèrent une personne dans un parcours de sortie en situation de prostitution, le parcours s’arrête immédiatement. »

    « Ces parcours de sortie sont un peu une arnaque »

    Pour Thierry Schaffauser, l’un des porte-paroles du Strass, le Syndicat du travail sexuel, interrogé par BuzzFeed News, il n’est pourtant pas étonnant qu’une personne continue à se prostituer dans un tel contexte :

    « Ce n’est pas avec 330 euros par mois que les gens vont s’en sortir, surtout en région parisienne. Ces parcours de sortie sont un peu une arnaque. »

    Il ajoute : « Pour les quelques personnes qui vont soi-disant arrêter en 2017, combien vont commencer à cause des politiques austéritaires du gouvernement ? Depuis que la loi a été votée, il n’y a pas moins de travailleurs sexuels dans la rue, parce qu’elle précarise les gens », défend-t-il, tout en regrettant que le Strass, comme d’autres, n’ait pas été agréé pour le programme d’accompagnement :

    « Ce n’est pas parce qu’on ne partage pas l’idéologie abolitionniste qu’on n’aide pas sur le terrain. Nous sommes nous aussi en contact avec des personnes qui voudraient éventuellement arrêter. »

    Alors que le gouvernement précédent prévoyait un budget pouvant aller jusqu’à 20 millions d’euros annuels à ce sujet, les 5 millions annoncés pour 2018 peuvent en effet paraître bien en-deçà des ambitions affichées. « En parallèle, il y a quand même eu une baisse du budget de la mission égalité hommes-femmes », soulève Ericka Bareigts. En 2017, il avait en effet été amputé de près de 25 %, alors que le gouvernement met aujourd’hui en avant une hausse des crédits alloués au secrétariat d’État de Marlène Schiappa. Ils passent ainsi de 29,7 à 29,8 millions pour 2018, soit une majoration d’à peine plus de 0,3 %.

    « On ajoute à cela une baisse drastique des contrats aidés, et les associations risquent de se retrouver vraiment fragilisées », ajoute Ericka Bareigts.