Josiah Zayner, le biochimiste qui revendique l’accès à la technologie Crispr pour tous

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  • Josiah Zayner, le biochimiste qui revendique l’accès à la technologie Crispr pour tous

    http://www.lemonde.fr/biologie/article/2017/11/26/josiah-zayner-biohackeur-gonfle_5220549_1650740.html

    Ancien de la NASA, il est devenu le biohackeur dont on parle après avoir annoncé avoir modifié son propre génome.

    D’un côté, il y a la cuisine, la télévision, avec une chaîne sportive allumée en continu, et une table sur ­laquelle reposent « les meilleurs hamburgers de Californie du Nord ». De l’autre, deux ordinateurs, un microscope installé sur une vague paillasse et une centrifugeuse pour extraire l’ADN. Contre le mur, des cartons abritent les « kits », avant leur ­expédition à travers le pays. « Not to inject », avertit l’étiquette. Un simple conseil. « Hier, quelqu’un m’en a commandé trente : soit il est prof, soit il va se le coller dans les veines », s’amuse Josiah Zayner.

    Attention, danger ! Le maître de ce « laboratoire » sauvage, au rez-de-chaussée d’un pavillon d’Oakland, sent le soufre. Depuis qu’en octobre, lors d’une conférence de biologie synthétique, à San Francisco, juste de l’autre côté du Bay Bridge, il s’est injecté dans l’avant-bras de quoi modifier les gènes de ses cellules musculaires, il est devenu le biohackeur dont on parle. Même dans cette communauté de ­quelques milliers de convaincus à travers le monde, avant-garde autoproclamée d’une ­révolution en cours, il divise. Héros audacieux, pour les uns ; apprenti sorcier, pour les autres. Lui s’amuse. « Certains ont dit que j’allais me tuer, je suis encore vivant. Quant au côté héros, j’ai renoncé à faire des biopsies pour voir si ça avait marché, j’ai déjà peur des piqûres. »

    « Cool, mais très compétent »

    Entre son look décalé et ses propos volontiers provocateurs, le biochimiste de 36 ans pourrait facilement passer pour un guignol. L’apparence est trompeuse. Le FBI, qui prend le biohacking très au sérieux, échange régulièrement avec lui. « Il est cool, mais très compétent, jure, de son côté, George Church, professeur à Harvard et figure de proue de la biologie synthétique. Il sait de quoi il parle et s’implique dans ce qu’il fait. Quand il a créé son kit Crispr, j’ai trouvé formidable cette façon de mettre cet outil d’édition du génome à la portée de tous. Je lui ai écrit pour lui dire que si je pouvais l’aider, qu’il n’hésite pas. » Josiah Zayner se souvient du mail, il y a tout juste un an : « C’était incroyable. Alors, après avoir abondamment fêté ça, je lui ai proposé de devenir conseiller scientifique de ­notre start-up, The Odin, et dit que s’il pouvait nous confier quelques-uns des échantillons d’ADN qu’il avait mis au point, ça nous permettrait d’étendre nos kits. Il a dit oui aux deux. ­Depuis, il nous aide régulièrement, notamment sur l’ingénierie génétique humaine. »


    Un des kits de Josiah Zayner (pipette, tubes, ADN, bactérie et levures...).

    Pas question, pourtant, d’écouter aveuglément les conseils du gourou. « Je ne veux suivre personne, mais tracer ma propre voie », clame le biohackeur. Un modèle, quand même ? « Ma mère. » Et Zayner de raconter une jeunesse rude, pauvre. Quatre enfants, de plusieurs ­pères. « Les deux premiers maris de ma mère étaient violents, avec elle comme avec nous. Elle a pourtant tout fait pour qu’on s’en sorte. Elle nous a tous envoyés à l’université. La dernière à y aller, ce fut elle. »

    Josiah excelle en sciences. Il décroche son doctorat à l’université de Chicago, dans le laboratoire de Luciano Marraffini, un des pionniers du système Crispr d’édition du génome. « Personne n’imaginait alors l’importance du sujet. Je trouvais ça passionnant mais je ne supportais pas le monde académique. Les publications n’y sont pas jugées sur leur qualité, mais sur l’importance de votre réseau. » Josiah candidate pour un poste à la NASA. « Tous les gamins américains ont rêvé de devenir astronaute, alors quand j’ai été choisi… »

    Sa mission consiste à mettre au point des bactéries capables de dégrader le plastique. « Dans l’espace, chaque personne produit 200 kilos de déchets par an. Pour aller sur Mars à cinq, ça fait une tonne. C’est énorme, vu les restrictions de carburant. J’ai utilisé Crispr pour modifier les bactéries existantes… » La recherche l’enthousiasme, les règles maison beaucoup moins. « Je ne faisais rien de top-secret, mais pour aller au moindre colloque, échanger avec un collègue extérieur, je devais remplir un formulaire et attendre la réponse. Je n’ai pas ­demandé à renouveler mon contrat. »

    Autoexpérimentations

    C’est qu’entre-temps Josiah Zayner a créé The Odin, dans un studio de Mountain View (Californie). En cette année 2015, la technologie Crispr a envahi les laboratoires universitaires. « Il n’y avait pas de raison que les amateurs, ceux qui aiment vraiment la science et la pratiquent par passion, en soient exclus. Mais je n’avais pas d’argent. J’ai lancé un crowdfunding en pensant lever 10 000 dollars. J’en ai récolté 75 000. » La start-up déménage dans un garage de Castro Valley avant de s’installer, en mars, avec ses quatre salariés, dans le pavillon d’Oakland.

    Côté pile, Zayner peaufine son kit, ou plutôt ses kits, qui vont de 28 dollars (23 euros) pour la version basique à 159 dollars pour l’équipement complet (pipette, tubes, ADN, bactérie et levures…). Il expédie ses cartons à travers les Etats-Unis, une vingtaine chaque jour. « Des écoles nous en commandent, des clubs d’amateurs, des passionnés. On propose différentes ­expériences. » La plus courante consiste à modifier l’ADN d’une bactérie pour en changer la couleur. La plus perfectionnée permet de ­modifier une levure afin de mettre au point une bière… fluorescente.

    Avec cette mousse colorée, le scientifique est sorti de l’anonymat. Mais ce sont ses auto­expérimentations qui l’ont véritablement fait connaître. En février 2016, il commence par une transplantation de matière fécale. La ­recherche sur le microbiote est en plein essor, et Zayner souffre depuis longtemps de désordres intestinaux. Après une cure d’antibiotiques poussée pour éliminer ses mauvais germes, il ingère les bactéries intestinales d’un ami en pleine santé. « Je n’ai plus jamais eu de problèmes gastriques », jure-t-il. Un documentaire a immortalisé l’aventure.

    C’est que Zayner aime faire parler de lui. Pourtant, c’est assez discrètement qu’il réalise sa deuxième expérience en s’injectant un système Crispr censé doper les gènes produisant la tyrosinase, une enzyme nécessaire à la production de mélanine. « Ça aurait dû me faire bronzer. Je n’ai rien vu. Soit je n’en avais pas mis assez, soit ça n’a pas été transmis aux cellules. »

    Il change de cible et s’attaque aux muscles. Les images de chiens génétiquement dopés ont fait le tour du monde. Des chercheurs ont modifié leurs gènes produisant la myostatine, sorte de signal stop dans la production musculaire. Le résultat est impressionnant : le toutou se transforme en molosse bodybuildé. Zayner montre son avant-bras gauche : « J’ai injecté 40 microgrammes ici. Pour le moment, on ne voit rien. Mais ça fait un mois : chez les chiens, il en a fallu deux pour constater quelque chose. »

    Il adorerait voir son muscle gonfler. Etre le premier humain « crisperisé » avec succès. Mais il se prépare sereinement à un échec : « Je veux surtout montrer aux gens que ce n’est pas dangereux et que c’est accessible. » Ah, l’accessibilité ! Permettre à chacun de faire ce que bon lui semble avec lui-même. Josiah Zayner veut appliquer à la biologie son credo « libertarien ». « Pour la première fois de ­l’Histoire, les humains ne sont plus esclaves de leur patrimoine génétique. Doit-on limiter cette ­liberté aux laboratoires universitaires et aux grandes compagnies privées ? Je suis ­convaincu que non. »

    « A condition de prendre toutes les précautions », insiste George Church, sibyllin. Sam Sternberg, biochimiste à l’université de Berkeley, est plus clair : « Ce qu’il fait avec son kit, c’est formidable. Un moyen de susciter l’intérêt du public pour la science. Mais je suis beaucoup plus réservé sur sa dernière expérience. La science doit être rigoureuse. Faire croire que l’on peut développer ses muscles sans faire de sport, c’est faux. Mais y croit-il seulement ? » A la question, Josiah Zayner montre son bras : « Je le regarde tous les jours ». Et il éclate de rire.