• L’emploi des seniors  s’améliore au prix d’une plus forte précarité
    http://www.lemonde.fr/politique/article/2017/11/30/l-emploi-des-seniors-s-ameliore-au-prix-d-une-plus-forte-precarite_5222609_8

    Henia n’avait pas vraiment l’impression de faire partie de la catégorie seniors. Après tout, à 46 ans, pensait-elle, elle avait encore presque deux bonnes décennies de travail avant la retraite. Mais c’était sans compter les employeurs d’un secteur particulièrement sensible à ces problématiques. Car, à la suite d’une reconversion professionnelle, Henia est devenue aide-soignante, un métier très physique. Après sa formation, la quadragénaire a enchaîné durant presque un an les périodes de chômage et d’intérim avant de trouver un contrat à durée déterminée.
    « A chaque entretien, on me posait des questions insidieuses sur de possibles douleurs par-ci, par-là, raconte-t-elle. Ils voulaient vérifier que je n’étais pas abîmée et, moi, j’avais l’impression d’être une vieille casserole. » L’aide-soignante raconte aussi le cas de collègues plus âgés, contraints de mentir sur leur état physique dans l’espoir de rempiler à la fin d’un CDD. Leur peur : ne jamais réussir à retrouver un emploi. Car la croyance est tenace. Une fois passé un certain âge, les employeurs ne veulent plus de vous.
    Ce ressenti est nuancé par les statistiques [qui ne portent pas, elles, exclusivement sur des emplois physiquement exigeants, merci Le Monde].Selon l’Insee, l’emploi des seniors âgés de 50 à 64 ans a connu une croissance de près de 30 % ces dix dernières années, pour atteindre 58,7 % en 2014. Un « enjeu essentiel » pour le Conseil d’orientation des retraites qui organisait, jeudi 30 novembre à Paris, un colloque sur le sujet.

    « Situations très compliquées »

    La clé de ce changement de paradigme tient en grande partie aux différentes réformes des retraites successivement mises en place depuis les années 1990. Celle de 2010, menée par le gouvernement de Nicolas Sarkozy, a par exemple reculé l’âge de départ à 62 ans, entraînant de fait un allongement de la durée du travail en entreprise. Véronique Descacq, secrétaire générale adjointe de la CFDT, rappelle qu’une évolution des mentalités est aussi intervenue, notamment dans le monde syndical. « Dans les années 1980-1990, on insistait sur le droit à partir en préretraite, note-t-elle. Aujourd’hui, on insiste sur celui à rester dans l’emploi. »

    Une autre explication réside dans la fin de la dispense de recherche d’emploi pour les chômeurs de plus de 57 ans, en 2012. L’extinction progressive des systèmes de préretraite, utilisés de façon massive dans certains secteurs à la faveur de l’augmentation progressive du taux de chômage, y a aussi contribué.

    Une étude de l’Insee parue en janvier 2017
    https://www.insee.fr/fr/statistiques/2546882
    montrait, en revanche, que la réforme de 2010 avait également eu pour effet d’augmenter le risque de se retrouver au chômage à 60 ans, ce dernier passant de 4 à 11 %. « On n’est plus sur le modèle du senior qui avait des droits au chômage très longs avec un tunnel d’indemnisation plus ou moins confortable, rappelle Annie Jolivet, économiste au Centre d’études de l’emploi et du travail du Conservatoire national des arts et métiers et coauteur du Travail avant la retraite (Editions Liaisons, 2014). Aujourd’hui, certaines personnes sont dans des situations très compliquées. »

    Cette évolution cache en effet des cas de figure contrastés. « Les choses se sont légèrement améliorées pour les seniors mais il reste beaucoup de précarité, indique Bruno Ducoudré, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques. D’abord par l’augmentation des contrats à temps partiel et ensuite par la faiblesse des taux de retour à l’emploi. Le nombre des inscrits à Pôle emploi qui ont plus de 50 ans a crû continuellement depuis 2010. »

    Pression

    Une étude de la Dares publiée en août 2017
    http://dares.travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/2017-050.pdf
    montre ainsi que les 55-64 ans à temps partiel ont une durée habituelle hebdomadaire de travail plus courte que les 30-54 ans – 22,1 heures en moyenne. En cause : des raisons personnelles et des problèmes de santé. Loin de se cantonner à un type de travailleurs, cette précarité peut toucher tous les milieux sociaux. « Il faut sortir de l’image du cadre qui s’en sort et de l’ouvrier pas, confirme Mme Jolivet. Ce sont surtout des questions liées aux dynamismes des territoires, aux secteurs d’activité et aux critères de recrutement qui jouent. »

    D’autant que certaines mesures introduites par les ordonnances réformant le code du travail, comme les ruptures conventionnelles collectives, risquent d’accroître la pression sur les seniors. « Pour les employeurs, ça reste des gens qui coûtent cher et les entreprises continuent à avoir une gestion effective par l’âge », souligne Mme Descacq.

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