• "Nouvelle-Calédonie : le nickel comme détonateur" - Mediapart - Julien Sartre - 11 décembre 2020

    Barrages, contre-barrages, incendie de pneus, cagoules, fusils de chasse : les images sont spectaculaires et rappellent de très mauvais souvenirs à la population du Caillou. Les affrontements qui ont culminé à la fin des années 1980 ne sont pas de retour mais la Nouvelle-Calédonie a basculé ces derniers jours dans un état de fait qui n’est déjà plus la paix civile.
    Les vols internationaux ont été intégralement suspendus, une sorte d’état d’urgence a été décrété par le gouvernement local, et les autorités comme la population ont retenu leur souffle lors des violences autour de l’usine du Sud. Jeudi 10 décembre, des tentatives d’intrusion et des affrontements avec les gendarmes qui gardent le site ont eu lieu. L’énorme complexe industriel a été évacué et l’infrastructure a dû être mise à l’arrêt.
    Ce site industriel sensible – il abrite l’un des plus grands dispositifs de stockage d’acide au monde – est, dans tous les esprits, l’objet de toutes les luttes et la cristallisation d’un conflit beaucoup plus large dans ce pays d’Océanie qui abrite la troisième réserve mondiale de nickel. La multinationale brésilienne Vale a mis en vente l’usine du Sud il y a de nombreux mois. Elle annonçait par un communiqué, publié le 9 décembre, l’avoir cédée au consortium Prony Ressources, contrôlé en partie par le courtier suisse Trafigura.
    Ce communiqué de presse a mis tout ce que le Caillou compte de responsables politiques et économiques en émoi et a constitué l’énième coup de théâtre dans un feuilleton interminable en forme de bras de fer autour de la ressource minière.
    Regroupés dans un consortium concurrent à Prony Ressources, les indépendantistes kanak ont tenté eux aussi de racheter cette usine. La société minière contrôlée par les indépendantistes (Sofinor) s’était associée à un groupe coréen (Korea Zinc) afin de proposer une offre de rachat qui n’a pas prospéré auprès du vendeur brésilien.
    Après une mobilisation politique et coutumière dans le sud de la Nouvelle-Calédonie, tout au long du mois de novembre, la France avait in fine accepté de rouvrir des négociations. L’État français n’est pas officiellement à la manœuvre dans ce dossier qui concerne des acteurs privés, mais il a tellement investi dans l’outil industriel calédonien à force de défiscalisation et d’aides directes qu’il est quasiment un propriétaire de fait. Cette situation est d’ailleurs dénoncée à intervalles réguliers par la Cour des comptes, qui a jugé très durement ces investissements français en Nouvelle-Calédonie dans plusieurs rapports.
    Paris se trouve dans la position d’un acteur absolument incontournable et a été violemment mis en cause comme tel par le Front de libération nationale kanak socialiste (FLNKS, indépendantiste), mais aussi par l’Instance coutumière autochtone de négociation (Ican). Cette dernière est une association kanak aussi politique qu’impliquée dans la vie économique et traditionnelle. Elle est récemment revenue sur le devant de la scène avant que la lutte ne soit directement reprise en main par le FLNKS. Le porte-parole de l’Ican est Raphaël Mapou, frère de Louis Mapou : tous deux sont des responsables politiques indépendantistes de premier plan.
    Quel a été le détonateur des troubles à l’ordre public et du sentiment d’urgence qui s’est emparé de la Nouvelle-Calédonie ? Lundi 7 décembre, le partenaire coréen du consortium kanak pour la reprise de l’usine du Sud s’est brutalement dédit, quelques heures après l’annonce de la réouverture des négociations par la France. C’est l’annonce de ce retrait qui a provoqué de très importantes et violentes manifestations à Nouméa, la capitale.
    « Il y a beaucoup de fantasmes sur l’action et le rôle de l’État dans cette histoire : la France ne choisit pas qui rachète l’usine du Sud, plaide une source gouvernementale parisienne très au fait du dossier. Ce qui est vrai, c’est que la France est en deuxième rideau dans le montage capitalistique et rien ne peut se faire sans le soutien de l’État. Nous avons déjà beaucoup investi, trop même. Il est temps de penser à une stratégie globale pour la ressource minière. Nous proposons aux indépendantistes un “préalable minier global”. La formule est inspirée de ce qui avait eu cours avant les accords de Nouméa. »
    Cette proposition est d’importance, et elle est nouvelle dans le débat : selon les informations de Mediapart, il s’agirait pour la France d’entamer un cycle de négociations avec les indépendantistes kanak et les responsables des trois provinces de Nouvelle-Calédonie afin de regrouper les trois usines. L’usine du Sud est celle qui compte le plus d’actifs stratégiques du fait de la spécificité de son produit par rapport aux deux autres. Les finalités du « nickel-métal » sont autant commerciales, vu la fabrication exponentielle de batteries électriques à venir, que militaires et aéronautiques.
    Ce vendredi 11 décembre, cette proposition de négociations globales et politiques – le ministre des outre-mer Sébastien Lecornu a donné une interview à la chaîne locale de télévision Calédonia – semble avoir trouvé un écho : les barrages sont devenus filtrants et la pression dans l’espace public redescend un peu. Les indépendantistes affirment qu’il s’agit seulement du temps d’une « réorganisation parce que le mouvement va s’inscrire dans la durée ».
    « Ce qui nous préoccupe aujourd’hui, c’est la situation de l’usine du Sud, réagit à chaud Louis Mapou, président du groupe Uni (indépendantiste), contacté par téléphone par Mediapart. C’est vrai que la situation de la SLN n’est pas bonne et celle de Koniambo Nickel au Nord n’est pas encore arrivée à son potentiel maximum. L’État français pourrait avoir comme volonté de réunir les trois usines en une. On ne sait pas trop mais c’est une perspective lointaine, parce qu’il y a beaucoup de considérants à examiner. »
    Autour de la table, il sera de toute façon question de souveraineté. « Le but de la Sofinor [la société minière des indépendantistes – ndlr], comme de ceux qui la soutiennent aujourd’hui, n’est pas de faire main basse sur les richesses de la province Sud, mais de travailler pour l’intérêt général, d’œuvrer à la création d’une “usine pays”, écrit Daniel Goa, président de l’Union calédonienne (UC, indépendantiste). Il faut que l’usine du Sud devienne une véritable usine pays. »
    Le financement de la future Kanaky-Nouvelle-Calédonie indépendante, le rapport ancestral à la terre du peuple autochtone, la faiblesse des garanties environnementales apportées par Trafigura et Prony Ressources, la personnalité du président de Vale Calédonie, Antonin Beurrier : les arguments des indépendantistes pour s’opposer à la cession de l’usine du Sud à Prony Ressources sont nombreux et variés.
    Que sortira-t-il du round de négociations qui pourrait commencer dans les prochaines heures ? La cristallisation politique et la mobilisation de militants chauffés à blanc, en particulier chez les non-indépendantistes qui ont tenu des contre-barrages très durs, augurent de discussions tendues et surtout très larges. « Le préalable minier » appelé de ses vœux par la France est-il le prélude à une négociation autour d’un statut d’indépendance-association tel que souhaité par les indépendantistes kanak depuis 30 ans ? Personne ne peut s’avancer à ce point mais une chose est certaine : les troubles qu’a connus le Caillou cette semaine laisseront des traces dans une économie insulaire déjà durement éprouvée par la crise sanitaire. Les événements autour de l’usine du Sud empêchent sa réouverture prochaine en raison des conséquences techniques et industrielles de sa fermeture et de son évacuation.
    « S’il y a du chômage partiel à l’usine du Sud, il va s’ajouter au déficit du régime de chômage géré localement, s’inquiète Mathias Chauchat, professeur de droit public à l’université de Nouvelle-Calédonie, observateur de longue date de la vie politique du Caillou, engagé dans la cause indépendantiste. Le régime du chômage partiel du Covid, qui devait s’arrêter à la fin de l’année, a été repoussé jusqu’en mars. Ce modèle est inspiré de ce qui se passe en France : le gouvernement calédonien dépense de l’argent qu’il n’a pas en repoussant les échéances. Sur les déficits sociaux, il y a l’idée de prendre les déficits de la Cafat, la Caisse de protection sociale de Nouvelle-Calédonie, et de les mettre dans un établissement nouveau. On transforme les dettes d’aujourd’hui en dettes à 30 ans. Pour les déficits budgétaires, le gouvernement, qui ne veut pas faire de réformes structurelles, sera contraint d’augmenter les taxes à la consommation et de demander un prêt à la France. On est dans la négation des réalités. »
    Dès le mois d’avril 2021, le Congrès – le Parlement local dont est issu le gouvernement de Nouvelle-Calédonie – sera en position de demander la tenue d’un troisième et dernier référendum sur l’indépendance. Après ce troisième scrutin et quel qu’en soit le résultat, ce sera la fin des Accords de Nouméa. En 1998, ces accords avaient été arrachés au nom notamment de l’entente sur le sujet minier et le partage de la ressource entre les opérateurs historiques et les indépendantistes kanak. Précisément ce qui pourrait faire défaut 22 ans plus tard.
    #Kanaky #indépendance #Nickel #Nouvelle_Calédonie

  • La présence d’Emmanuel Macron à Ouvéa serait un affront
    Association Survie, Mouvement des jeunes kanak en France (MJKF), Union syndicale des travailleurs kanak et exploités (USTKE), Association Information et Soutien aux Droits du Peuple Kanak (AISDPK), Fasti, CNT, Union syndicale Solidaires, Alternative libertaire, Collectif ni Guerre ni Etat de Guerre, Réseau Sortir du colonialisme, Comité vérité et justice pour Adama Traoré, Fondation Frantz Fanon, Revue Mouvements, Vincent Charbonnier, philosophe, syndicaliste (SNESUP-FSU), Sergio Coronado, ancien député écologiste, Laurence De Cock, historienne, Mireille Fanon Mendes France, Ex UN expert, Consultante juridique, Eric Fassin, sociologue, Paris 8, Nacira Guénif, sociologue, Professeure Université Paris 8, Jean Malifaud, universitaire, Pierre Khalfa, économiste, Silyane Larcher, chargée de recherche au CNRS en science politique, Olivier Lecour Grandmaison, politologue, Université d’Evry-Val d’Essonne, Seloua Luste Boulbina, philosophe, université Paris Diderot, Christian de Montlibert, sociologue professeur émérite à Strasbourg, Hélène Nicolas, maîtresse de conférences en anthropologie du genre, Paris 8-Vincennes-Saint-denis, Willy Pelletier, coordinateur général de la Fondation Copernic, Olivier Roueff, sociologue, chargé de recherche au CNRS, Catherine Samary, économiste, Omar Slaouti, militant antiraciste, Françoise Verges, politologue, Marie-Christine Vergiat, euro-députée Gauche européenne
    Médiapart, le 2 mai 2018
    https://blogs.mediapart.fr/association-survie/blog/020518/la-presence-demmanuel-macron-ouvea-serait-un-affront

    A l’approche de cette visite officielle, les organisations et personnalités signataires appellent donc le président français et sa délégation :

    - à respecter la demande des Kanak d’Ouvéa de ne pas se rendre sur la tombe des 19 militants tués à Ouvéa à cette date symbolique ;
    - à reconnaître officiellement les crimes commis à Ouvea et à ouvrir les archives les concernant ;
    - à respecter le droit à l’autodétermination du peuple kanak et le processus de décolonisation engagé, et donc à s’abstenir de toute prise de position sur l’avenir de Kanaky - Nouvelle-Calédonie et de toute forme de pressions ou manipulations qui viseraient à influencer le résultat du référendum pour maintenir la tutelle française.

    #Nouvelle_Calédonie #Kanaky #France #Emmanuel_Macron #Référendum #Autodétermination #Indépendance #Colonialisme #Décolonisation #Ouvéa #Justice #Injustice

  • Nouvelle Calédonie / Kanaky, retour sur l’histoire :

    L’œuvre négative du colonialisme français en Kanaky : Une tentative de génocide par substitution
    Saïd Bouamama, le 16 avril 2018
    https://bouamamas.wordpress.com/2018/04/16/loeuvre-negative-du-colonialisme-francais-en-kanaky-une-tentati

    Précédents articles :
    https://seenthis.net/messages/649926

    Une revendication :

    5 mai 2018 : Trente ans après le massacre d’Ouvéa
    Aisdpk Kanaky, Médiapart, le 18 avril 2018
    https://blogs.mediapart.fr/aisdpk-kanaky/blog/180418/5-mai-2018-trente-ans-apres-le-massacre-douvea

    Solidaire des Kanak, l’AISDPK s’associe à cette protestation et ne comprend pas comment l’Élysée a pu choisir précisément cette date mémorielle. Elle demande que les autorités françaises mesurent la gravité de cet acte et que cette visite du président français à Ouvéa soit annulée ou reportée.

    Les seules conditions qui permettraient à ce déplacement du président de la République à Ouvéa de ne pas être perçu comme une provocation par le peuple kanak et leurs soutiens seraient :

    – Qu’il y annonce une reconnaissance des exécutions commises par les militaires français, après l’assaut sur le site de la grotte puis, lors des transferts de prisonniers, blessés ou non ; ainsi que des exactions commises par les militaires contre les populations lors de la recherche des otages (tortures à Gossanah), puis lors du traitement des prisonniers.

    – Et, qu’en conséquence, il s’engage sur l’ouverture des archives sous protocole concernant la période, permettant ainsi la possibilité d’une recherche de la vérité et d’une véritable justice.

    #Nouvelle_Calédonie #Kanaky #France #Référendum #Autodétermination #Indépendance #Droit_de_vote #Listes_électorales #Colonialisme #Décolonisation #Ouvéa #Justice #Injustice

  • Pour celles et ceux qui s’intéressent à la Nouvelle Calédonie / Kanaky, et au prochain référendum :

    Une autodétermination si proche et si loin…
    Association Information et Soutien aux Droits du Peuple Kanak, Médiapart, le 7 novembre 2016
    https://blogs.mediapart.fr/aisdpk-kanaky/blog/071116/une-autodetermination-si-proche-et-si-loin

    Le référendum sur l’avenir du pays en 2018 : qui peut voter ?
    Association Information et Soutien aux Droits du Peuple Kanak, Médiapart, le 28 décembre 2016
    https://blogs.mediapart.fr/aisdpk-kanaky/blog/281216/le-referendum-sur-l-avenir-du-pays-en-2018-qui-peut-voter

    À M. Le Président de la République française : Justice pour le peuple kanak
    Association Information et Soutien aux Droits du Peuple Kanak, Médiapart, le 3 octobre 2017
    https://blogs.mediapart.fr/aisdpk-kanaky/blog/031017/m-le-president-de-la-republique-francaise-justice-pour-le-peuple-kan

    Dossier spécial Kanaky : les enjeux du référendum de 2018 sur l’autodetermiation de la colonie française
    Decolonisons, Canal Sud, le 28 novembre 2017 (audio)
    http://www.canalsud.net/?Dossier-special-Kanaky-les-enjeux-2760

    Résumé : le sujet Kanaky / Nouvelle Calédonie commence après 30 minutes. Il nous rappelle que le 5 mai 2018, on commémorera 30 ans du massacre de la grotte d’Ouvéa. Après 10 ans de situation intérimaire, en 1998, les parties en présence décident d’un commun accord de repousser le référendum qui aura lieu entre 2014 et 2018. Novembre 2018 est donc la date buttoir. Il y a, en Nouvelle Calédonie, 270.000 habitants dont 105.000 Kanaks, donc selon la définition des listes électorales et la participation, le scrutin peut être serré. Il y a des rumeurs qui font état de 25% de Kanaks non inscrits, et de 10% de colons inscrits frauduleusement. Emmanuel Macron veut probablement négocier un nouvel accord pour repousser encore le référendum, mais pas les indépendantistes qui en ont marre de se faire enfumer...

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