• @arno je me demande si je n’ai pas hérité un peu de tes pouvoirs maléfiques. Il y a peu on m’a commandé un texte pour accompagner un catalogue dans lequel figure une oeuvre de Hamish Fulton. On m’a inutilement encouragé à prendre une distance très libre par rapport à l’oeuvre en question, dont finalement le thème, et c’est également celui de l’exposition, est l’égarement.

    Du coup mon texte est une énumération de situations d’égarements curieuses. Parmis lesquelles, celui-ci :

    Écureuil

    (Royaume Uni, Sud de l’Angleterre, Nord de la France, le 28 septembre 1995) Je me souviens de mon premier voyage en Angleterre. M’installant à Portsmouth, je m’étais acheté un atlas des routes anglaises avec dans l’idée que pour les années à venir j’aurais l’occasion de sillonner ce pays dont je connaissais finalement si peu de choses. Pour l’un de mes premiers retours en France, j’avais décidé de prendre le carferry ― le Pride of Kent ― à Dover pour rejoindre Calais, d’où je projetais de conduire jusqu’à Watten où je devais retrouver Pascal. C’était d’ailleurs, je l’ai compris plus tard, mon dernier voyage à Watten, et, en fait, Pascal n’était pas là, c’est Rémi qui m’a reçu, avec lequel j’ai découvert, le lendemain matin, dans un numéro d’Art Press, abandonné aux toilettes, la tenue de la grande exposition de Robert Frank au Rijst Museum à Amsterdam, finissant nos cafés, Rémi et moi étions partis aux Pays-Bas, laissant les miettes de notre petit-déjeuner sur la table ― se rappeler, une mauvaise fois pour toutes, que j’ai eu, un temps, cette remarquable liberté de mouvement ―, l’après-midi je dépensais mes derniers florins pour admirer, les vingt dernières minutes avant la fermeture du musée, la Ronde de Nuit de Rembrandt, tant de choses dans l’existence peuvent parfois tenir à tellement peu ― un ancien numéro d’Art Press laissé aux toilettes. Quelques jours plus tôt j’étais allé visiter la cathédrale de Chichester, petite ville un peu à l’Est de Portsmouth sur la côte. J’avais pour cela emprunté ce ruban d’autoroute qui sépare les deux villes côtières et qui, de fait, longe la Manche. Aussi quelques jours plus tard pour relier Dover, en partant de Portsmouth, j’avais imaginé, sans le vérifier, que cette autoroute entre Portsmouth et Chichester devait continuer au-delà de Chichester, en direction de Brighton et, enfin, de Dover. Hélas ce n’est pas du tout le cas et, peu de temps après avoir dépassé Chichester, j’ai compris que les routes côtières n’avaient plus rien de direct, ni de très rectiligne. Après Brighton, que j’avais fini par relier tant mal que bien, je manquais complètement de repères et je me suis tout à fait perdu. Je me suis arrêté en bord de route pour tenter de m’orienter et, fouillant dans la boîte à gant, j’ai constaté que j’avais oublié de prendre avec moi le fameux atlas que je me faisais pourtant une joie d’étrenner. J’étais en colère contre moi-même d’autant que dans cette même boîte à gant, je trouvais une carte routière de France, bien inutile : j’étais perdu dans le sud de l’Angleterre, pas en France, maugrée-je. Et pourtant, l’ouvrant, machinalement, je me suis aperçu, avec un plaisir incrédule, que cette carte de France comportait, en haut à gauche, au Nord-Ouest donc, un bout de l’Angleterre, le Sud-Est de l’Angleterre, qui était parfaitement représenté et détaillé et que, comble de chance, cette petite parcelle d’Angleterre était précisément celle dans laquelle je m’étais égaré. J’ai donc pu, sans aucun mal, m’orienter et retrouver mon chemin en Angleterre, à l’aide d’une carte de la France.

    Et donc : http://www.lemonde.fr/societe/video/2017/12/11/calais-un-ferry-britannique-s-echoue-les-passagers-evacues-en-securite_52279 (il faut regarder le vidéo pour apprendre le nom du bateau)

    http://www.lavoixdunord.fr/277898/article/2017-12-10/le-ferry-echoue-regagne-le-port