L’assemblée est nue ? Lettre à Monsieur de Rugy

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    • Excellent !

      Monsieur le président,

      Ce mercredi 20 décembre, en conseil de discipline, vous allez devoir trancher : faut-il me sanctionner pour le « déshonorant » et « indigne » port du maillot d’Eaucourt-sur-Somme dans l’hémicycle ?

      Avant que cette grave question ne soit tranchée, et mon martyr achevé, je viens vous en poser une seconde : de quoi, au fond, le maillot d’Eaucourt-sur-Somme est-il le nom ?
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      Notre histoire s’est offert des crises parlementaires. Il ne nous reste que des crises vestimentaires. En quelques mois, j’en ai connu trois : le non-port de cravate, la chemise hors du pantalon, et donc le maillot d’Eaucourt-sur-Somme. A chaque fois, l’hystérie m’a surpris, l’emportement de collègues députés, des médias, ou de l’institution.

      Et puis, enfin, aujourd’hui, j’ai compris.

      De la « loi travail numéro 2 » à celle sur « la moralisation de la vie publique », de la « Sécurité intérieure » au « budget de la sécurité sociale », en un semestre déjà, il ne faut pas être bien malin pour s’en rendre compte : l’Assemblée, supposée « législative », ne fait pas la loi.

      Ces textes nous tombent de l’Elysée, après un passage par les ministères, et le Parlement sert de chambre d’enregistrement, gavé de lois comme des oies, siégeant du lundi au vendredi, jusqu’à une heure du matin. Nous suggérons certes des milliers d’amendements, pour se donner l’air important. Nous affichons notre fierté, victorieux quasiment, lorsqu’avec l’assentiment du gouvernement une virgule d’un alinéa est déplacée.
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      la séparation des pouvoirs n’est qu’une fiction.

      Mais c’est une évidence qui se chuchote.

      Une évidence qui se murmure.

      Une évidence qui ne se clame pas haut et fort.

      Tel le jeune enfant qui, dans le conte d’Andersen, Les Habits neufs de l’Empereur, vient crier « Le roi est nu ! Le roi est nu ! », je me suis assigné ce rôle : crier « L’Assemblée est nue ! L’Assemblée est nue ! » Non par plaisir, mais par regret. Par espoir, aussi, pour qu’elle obtienne un véritable pouvoir, qui lui revient de droit : faire la loi.
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      Avec mon cri, « l’Assemblée est nue ! L’Assemblée est nue ! », je me trompais, sans doute. C’est presque l’inverse qu’il faudrait dire : l’Assemblée n’est qu’habit. De pouvoir, elle n’en a pas, elle n’en a que l’apparat.

      Comme beaucoup de nouveaux élus, j’ai fait visiter le Palais Bourbon à ma famille. Dans le salon Delacroix, mon fils Joseph, âgé de neuf ans, s’est planté le nez vers le plafond : « Tu as vu le beau lustre, Papa ? » Et j’ai songé, tu as raison, mon fils, c’est juste du lustre. Mais derrière ce lustre, derrière les dorures, derrière les apparences, le vide.

      Derrière, l’insignifiance de notre pouvoir.

      Derrière, l’inutilité de notre fonction.

      D’où la panique, en fait, lorsqu’on touche à l’habit, qui fait le parlementaire.
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      Et lui de me répondre : « Je t’aime bien tu sais, mais là, si on vient en maillot, quand est-ce qu’ils vont nous retirer la garde républicaine ? Quand est-ce qu’ils vont nous ôter les huissiers avec leurs chaînes ? Qu’est-ce qu’il va nous rester ? »

      Qu’est-ce qu’il va nous rester, en effet, si on nous enlève les apparences ?
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      Pour que les parlementaires ne soient plus ses marionnettes, moi comme Guignol, vous comme Gendarme...

      Notre « dignité », notre « honneur » de députés, devraient résider là : engager une lutte avec l’exécutif, pour la séparation des pouvoirs, pour leur rééquilibrage.

      Vous pourriez compter sur mon plein et entier soutien.

      Respectueusement comme il se doit,