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  • Environnement : comment Trump tente de museler les scientifiques américains

    http://www.lemonde.fr/international/article/2017/12/23/les-scientifiques-americains-cible-d-une-chasse-aux-sorcieres_5233983_3210.h

    L’Agence de protection de l’environnement (EPA) subit de plein fouet l’offensive de la Maison Blanche pour saper la préservation de la nature et du climat au profit de l’industrie.

    Le candidat Donald Trump s’y était engagé dès février 2016 : « Le département de la protection environnementale : nous allons nous en débarrasser dans presque toutes ses formes », même si on conservera « quelques friandises ». Promesse tenue : sous la houlette de Scott Pruitt, climatosceptique notoire de l’Oklahoma, l’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA) se saborde consciencieusement et démantèle les régulations environnementales adoptées sous Barack Obama.

    Pour cela, il faut agir sur les hommes. Scott Pruitt mène donc une véritable guérilla contre des fonctionnaires et des scientifiques qui lui sont hostiles. Dans une atmosphère paranoïaque, il a fait déminer pour 3 000 dollars (2 500 euros) son bureau pour vérifier qu’il n’y avait pas de micro caché et s’est fait financer pour 25 000 dollars une cabine de télécommunications sécurisée pour pouvoir s’entretenir confidentiellement avec la Maison Blanche. Victime de menaces et sous protection policière rapprochée, Scott Pruitt agit sur quatre axes : découragement des salariés, voire intimidation, même s’il n’y est officiellement pour rien ; recomposition des comités scientifiques en y nommant des défenseurs des industries polluantes ; réduction au silence des scientifiques ; sabrage du budget et des effectifs.

    Les salariés intimidés par une officine ultraconservatrice

    La syndicaliste Nicole Cantello, par exemple, raconte sa mésaventure. Ce 15 février, cette avocate salariée de l’EPA depuis vingt-six ans est devant son ordinateur. Soudain, elle voit apparaître une demande de recherche de ses courriels : tous ceux qui mentionnent le nom de Pruitt. Cette requête ne tombe pas par hasard. Dix jours plus tôt, le 6 février, elle a organisé une manifestation à Chicago contre la nomination par Donald Trump de M. Pruitt. Bien sûr, rien n’émane de l’EPA ou de M. Pruitt. La demande d’information a été formulée par le juriste Allan Blutstein, qui dirige America Rising, une officine ultraconservatrice qui aide les républicains à constituer des dossiers. « J’étais stressée. J’ai pensé qu’ils voulaient me discréditer », s’est alors inquiétée Mme Cantello.

    Tous ceux qui se sont opposés publiquement à M. Pruitt sont dans le collimateur d’America Rising. Michael Cox (Etat de Washington) figurait sur la liste noire pour avoir envoyé lors de son départ à la retraite une lettre ouverte cinglante à M. Pruitt, tout comme Gary Morton, qui avait manifesté contre les coupes budgétaires à Philadelphie. « C’est une chasse aux sorcières contre les employés de l’EPA qui ne font que tenter de protéger la santé humaine et l’environnement. Ils essaient de nous intimider et de nous réduire au silence », a accusé Gary Morton dans le New York Times.

    Dans sa vingtaine de requêtes, Allan Blutstein revendique avoir « été à la pêche » en visant ceux qui disaient du mal de M. Pruitt, des syndicalistes mais pas toujours, pour vérifier s’ils violaient les règles de l’EPA. Le problème, c’est qu’il a le droit en sa faveur, comme l’explique Nicole Cantello. « Nous avons la loi sur la liberté d’information, et chacun peut demander mes mails. C’est légitime si c’est pour savoir si je fais bien mon travail », nous confie-t-elle, en sa qualité de syndicaliste, en communiquant par adresse mail et téléphone privés.

    C’est ce même droit qu’utilisent les médias pour avoir accès à l’agenda détaillé de M. Pruitt. L’affaire a cependant tourné au scandale quand on a découvert que l’EPA avait signé un contrat – depuis annulé — de « surveillance médiatique » de 120 000 dollars avec une société associée à America Rising.

    Des comités scientifiques probusiness

    Scott Pruitt excelle dans l’art d’utiliser les armes de ses adversaires. On accuse les entreprises dont il écoute les avis d’être en conflit d’intérêts. Il use de ce même argument pour chasser des comités scientifiques chargés de conseiller l’EPA, ceux qui bénéficiaient de subventions de la part de cette dernière. « Nous devons nous concentrer sur la science, pas sur la science politique », a déclaré M. Pruitt en octobre. La manœuvre permet d’exclure les scientifiques financés sur fonds publics. Donna Kenski en a été la victime. Cette démocrate travaille pour une agence de Chicago qui analyse la qualité de l’air des grands lacs et reçoit indirectement de l’EPA, par l’intermédiaire de l’Etat de l’Illinois, 900 000 dollars. Son mandat de trois ans au sein de cet organisme a été révoqué prématurément. Elle avait été nommée à l’époque contre l’avis du sénateur de l’Oklahoma, le climatosceptique James Inhofe.

    Ces départs permettent de faire de la place aux défenseurs des entreprises. Ainsi, Michael Honeycutt a été nommé président du bureau de conseil scientifique de l’EPA. Ce toxicologue texan est connu pour avoir jugé excessives les normes sur l’ozone fixées par l’agence environnementale et a cosigné une étude accusant celle-ci d’avoir exagéré les bénéfices sur la santé d’un air plus pur. Il retrouvera dans ce comité le Californien Robert Phalen, célèbre pour avoir estimé que « l’air moderne est un peu trop pur pour une santé optimale », mais aussi l’ancien directeur de recherche de l’entreprise pétrolière de l’Oklahoma Phillips 66, ou encore l’ancien responsable environnement de la compagnie d’électricité d’Atlanta Southern Co, l’un des plus gros émetteurs de CO2 des Etats-Unis.

    Les comités scientifiques s’ouvrent à des gens « qui croient que le travail de l’EPA est de stimuler l’économie américaine, car elle est plus importante que la santé de gens et l’environnement », déplore un scientifique réduit au silence.

    Pour nommer les cadres dirigeants de l’EPA, une confirmation du Sénat est souvent nécessaire : William Wehrum a ainsi été investi de justesse pour (dé)réguler la protection de l’air, alors qu’il a longtemps défendu les entreprises pétrolières. Mais Michael Dourson, qui a par le passé été payé pour critiquer des études scientifiques défavorables à ses clients de la chimie et du pétrole, a dû renoncer à prendre en charge la direction des risques chimiques et de pollution.

    Les scientifiques réduits au silence

    C’était en septembre. Un colloque devait se tenir à Rhode Island sur les conséquences du réchauffement climatique qui affecte la baie de Narragansett, le plus grand estuaire de la Nouvelle-Angleterre, situé entre Boston et New York. Trois scientifiques de l’EPA devaient y prendre la parole mais, à la dernière minute, la direction le leur a interdit, au prétexte qu’il ne s’agissait pas d’un événement EPA. Une trentaine de manifestants ont protesté, avec des pancartes : « La science, pas le silence ».

    Les consultations de l’agence perdent désormais en crédibilité et servent de plate-forme politique. Pour annuler la loi sur l’air de Barack Obama, qui aurait pu servir de feuille de route pour respecter l’accord de Paris, l’EPA a tenu une séance publique en Virginie-Occidentale, dans un bassin minier. M. Pruitt vient de rajouter trois réunions, dont une à Gillette, capitale charbonnière du Wyoming.

    Le budget sabré, les salariés désertent

    Au printemps, M. Trump a indiqué qu’il voulait diminuer de 30 % le budget de l’EPA, qui atteignait 8 milliards de dollars en 2017, et réduire ses effectifs de 3 200 personnes sur un total de 15 000. La Chambre a proposé une réduction de 8 % et le Sénat de 2 %, soit environ 150 millions de dollars. Mais les budgets consacrés à l’eau, à l’environnement, au climat sont ciblés et baissent de 10 % environ. Faute d’accord, le budget 2017 est provisoirement reconduit à un niveau ayant baissé de plus de 20 % depuis le début de la décennie.

    La voie budgétaire ne sera peut-être même pas nécessaire, car le travail de sape de Scott Pruitt porte ses fruits, comme l’a révélé, le 22 décembre, le New York Times. Depuis que Donald Trump est au pouvoir, 700 personnes ont quitté l’agence – retraite, démission, transaction –, dont plus de 200 scientifiques : une centaine de spécialistes de la protection de l’environnement et 9 directeurs de départements. Sur les 129 embauches de l’année, seules 22 sont des scientifiques ou des étudiants scientifiques.

    De surcroît, M. Pruitt n’a que 150 inspecteurs chargés de faire respecter la réglementation, alors que la loi exige un minimum de 200. Et l’EPA ne veut plus prendre en charge les frais du ministère de la justice, qui est son bras armé pour attaquer les contrevenants. L’atmosphère est crépusculaire. Comme 20 personnes non remplacées de son bureau de San Francisco, Lynda Deschambault est partie de l’agence au bout de vingt-six années. Elle a confié son désarroi au New York Times : « Le bureau était une morgue. »