• Écriture inclusive : « On caricature le débat » Le Point - Baudouin Eschapasse - 27/10/2017

    Les promoteurs de l’écriture inclusive se défendent de créer une "novlangue". Raphaël Haddad et Éliane Viennot reviennent sur leur projet... Entretien.

    L’universitaire Éliane Viennot, spécialiste de l’histoire de la langue, et le chercheur Raphaël Haddad, par ailleurs fondateur du cabinet de conseil en communication MOTS-CLES http://www.motscles.net/nous-rejoindre https://seenthis.net/messages/654776 , plaident, depuis plusieurs années, pour que le français se débarrasse de traditions langagières qui perpétuent des préjugés sexistes. À l’heure où leur projet est largement débattu, Le Point.fr a souhaité les rencontrer pour qu’ils détaillent leur projet.


    Le Point : Vous promouvez, depuis plusieurs mois, une nouvelle écriture que vous qualifiez d’inclusive. Comprenez-vous la bronca suscitée par votre projet ? Et avez-vous été surpris(e) par la polémique qui l’a accompagnée ?
    Éliane Viennot  : Pour être totalement franche, cela ne m’a pas vraiment étonnée. Pour avoir étudié l’histoire de la langue, je sais combien certaines personnes deviennent hystériques dès lors qu’on leur propose d’utiliser des termes féminins pour certaines activités prestigieuses. Je me suis penchée récemment sur la manière dont l’Académie française a traité ce dossier depuis la création de la commission instituée en 1984 par Yvette Roudy (à l’époque ministre des Droits de la femme, NDLR), qui préconisait de féminiser les noms de métiers, fonctions, grades et titres. Notamment pour désigner les femmes qui accèdent à de hautes fonctions administratives ou ministérielles. La levée de boucliers avait été terrible. Et à nouveau en 1998, quand des ministres ont demandé qu’on les nomme au féminin. Dans les deux cas, certains médias ont réagi avec une incroyable violence. Je pense surtout au Figaro. Mais faut-il s’en étonner quand on sait qu’à l’époque, les académiciens avaient table ouverte dans ce journal ?

    Docteur en Sciences de l’Information et de la Communication (enseignant en communication à Paris I), Raphaël Haddad est, par ailleurs, fondateur de l’agence. Il est l’auteur du "Manuel d’écriture inclusive ».
    Raphaël Haddad  : Il est intéressant de souligner que la féminisation des métiers ne pose problème que quand il s’agit de professions intellectuelles ou de fonctions de responsabilité. Les académiciens n’ont jamais remis en cause le fait qu’on parle de boulangère ou d’infirmière. En revanche : préfète ou chancelière, cela semblait heurter leurs oreilles. De mon point de vue, cette réaction montre surtout que ces hommes se sentent en danger. L’idée même de féminiser ces termes les amène à considérer l’idée qu’ils devront un jour partager le pouvoir.
    E. V.  : J’ajouterai que les mots féminins que nous promouvons existent de longue date. On parlait au début du XVIIe siècle de philosophesse, d’écrivaine et d’autrice dans la meilleure société, et professeuse était employé au XIXe.
    Nous entendons juste renouer avec des règles grammaticales qui ont existé par le passé et existent toujours dans les autres langues romanes.

    Quand cela a-t-il changé ?
    E. V.  : Les premiers coups de boutoir datent des années 1600-1630, sous l’influence probable de personnes qui entouraient Malherbe, et qui voulaient « purifier » la langue des nombreux néologismes gascons et italianisants créés à l’époque. Mais ils en ont profité pour « masculiniser » la langue. Les résistances ont néanmoins été nombreuses jusqu’à ce que l’instruction devienne obligatoire. C’est l’école primaire obligatoire du XIXe sièce qui va achever ce mouvement.

    Votre projet n’ambitionne pas seulement de féminiser les noms de métier. Il va bien au-delà. Vous voulez débarrasser la langue française des règles grammaticales que vous présentez comme sexistes…
    E. V.  : Oui. Pour autant nous ne voulons pas créer une « novlangue » comme on l’écrit parfois. Ceux qui soutiennent cette idée caricaturent le débat. Nous entendons juste renouer avec des règles grammaticales qui ont existé par le passé et existent toujours dans les autres langues romanes. Nos détracteurs prétendent défendre la langue française. Mais la connaissent-ils vraiment ? J’en doute. Je veux par exemple réhabiliter l’accord de proximité, hérité du latin. Dans Athalie, Racine écrit : « Armez-vous d’un courage et d’une foi nouvelle. » Si l’on en croit nos bons académiciens qui veulent que le masculin l’emporte sur le féminin, nous aurions dû écrire « nouveaux ». De la même manière, Madame de Sévigné répondant à Gilles Ménage, qui se dit fatigué, lui répond : « Je la suis aussi. » Ce brave grammairien (né en 1613 et mort en 1692, NDLR) tente de la reprendre mais elle se refuse à dire « je le suis aussi ». Elle affirme que, si elle le faisait, « [elle] croirai[t] avoir de la barbe au menton » !
    Une langue « phallocentrée » (...) traduit une vision du monde dominée par les hommes

    R. H.  : Michel Foucault l’a bien dit. « Le discours n’est pas simplement ce qui traduit les luttes ou les systèmes de domination, mais ce pour quoi, ce par quoi on lutte, le pouvoir dont on cherche à s’emparer. » Une langue « phallocentrée », pour reprendre une terminologie de la chercheuse Marlène Coulomb-Gully, traduit une vision du monde dominée par les hommes.

    On vous opposera que les nations dont les langues n’ont ni masculin ni féminin, comme le persan ou le turc, ne sont pas toutes des modèles d’égalité entre hommes et femmes.
    R. H.  : C’est un sophisme extraordinaire. Le langage inclusif est une condition nécessaire mais pas suffisante pour qu’une société soit moins sexiste. Sur un plan strictement logique, la seule objection valable à l’écriture inclusive serait celle-ci : l’existence d’une société strictement égalitaire où la langue ne le serait pas. Mais ce contre-exemple n’existe pas !
    E. V.  : J’ai entendu aussi parler de la langue bantoue qui cumulerait un nombre incroyable de genres. Ces références m’amusent d’autant plus que ceux qui les utilisent ne connaissent rien à cette langue africaine. C’est un peu comme les médecins de Molière qui prétendaient en imposer avec leur latin.

    Comment est né votre projet de langage inclusif  ?
    R. H.  : Cela fait longtemps que des intellectuel(le)s, travaillé(e)s par la question féministe y réfléchissent. J’ai découvert leurs travaux au moment de mes recherches doctorales sur les discours politiques. Les choses se sont ensuite décantées. J’ai publié un manuel de réflexion sur cette question, avec Carline Baric, (téléchargeable gratuitement ici) qui s’appuie notamment sur les travaux du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE).
    E. V.  : L’objet du langage inclusif est social et non grammatical. Nous souhaitons promouvoir une société plus égalitaire. Cela passe par la langue et par la déconstruction des stéréotypes « genrés » qu’elle véhicule. Cette démarche habite tous mes travaux…
    C’est l’Académie qui est interventionniste quand elle entend proscrire certains usages. Elle est censée enregistrer la manière dont une langue évolue...

    Cela passe par une forme d’interventionnisme difficile à supporter dès lors que cela concerne la manière de s’exprimer…
    R. H. : Cette objection de l’interventionnisme est amusante. Que fait-on d’autre chaque fois que l’on énonce un néologisme par exemple ? On intervient sur la langue ! Les jeunes, et les moins jeunes, qui parlent de « like », de « twittos » ou de « stiletto », trois termes entrés dans les dictionnaires récemment, n’ont pas attendu l’autorisation de l’Académie française. Critiquer l’écriture inclusive pour son interventionnisme, c’est lui refuser ce qu’on accepte et encourage volontiers de tout autre usage langagier.
    E. V.  : C’est l’Académie qui est interventionniste quand elle entend proscrire certains usages. Elle est censée enregistrer la manière dont une langue évolue... C’est pour cela que les dictionnaires s’enrichissent chaque année de mots nouveaux. Une langue n’est pas figée une fois pour toutes.

    Au final, ce qui choque les gens, n’est-ce pas simplement la graphie du point milieu ? Écrire les mots suivants, « chroniqueur·euse », « chercheur·e », « transporteur·euse », « président·e », ce n’est pas très esthétique.
    E. V.  : Je regrette qu’on restreigne le débat à cette simple question de point milieu. Nous préconisons simplement d’user des mots féminins chaque fois que c’est possible. Cela peut passer par la flexion (le fameux « mesdames et messieurs » lorsqu’on s’adresse à une population mixte, NDLR). Cela peut passer aussi par les termes épicènes : c’est-à-dire l’usage d’un mot neutre (exemples : « astronome » ou « membre »). Cela peut enfin passer par le point milieu ou d’autres signes graphiques. Nous ne sommes pas bloqués là-dessus. Personnellement, je suis pour « intellectuel·es » mais contre « acteur·trices ». Mais c’est un débat en cours, les protocoles vont s’affiner.
    R. H.  : L’écriture inclusive ne se limite pas au point milieu ! Ce point milieu résulte de la volonté d’abréger certaines formulations, exactement comme on écrit M. pour « Monsieur ». Quiconque a tenté de redonner de la place au féminin dans son écriture se rend compte de son utilité, surtout face à un e muet par exemple. Écrire « ami·e·s » peut paraître par exemple plus commode qu’« amis et amies ». Mais on peut appliquer pleinement l’écriture inclusive, sans ne jamais mobiliser le point milieu !
    Aucune entreprise ne peut mobiliser l’écriture inclusive (...) sans s’interroger sur les écarts de salaires entre femmes et hommes

    Vous dites que l’écriture inclusive fait progresser l’égalité. Quelles preuves en avez-vous ?
    R. H. : Sur le plan social, l’écriture inclusive produit deux effets principaux. D’abord, c’est un formidable levier de féminisation des effectifs. C’est la raison pour laquelle les écoles, les entreprises qui manquent de candidatures féminines observent cette démarche avec un intérêt prononcé. Ensuite, c’est un ancrage pratique sur les enjeux d’égalité. Aucune entreprise ne peut mobiliser l’écriture inclusive dans sa pratique institutionnelle sans s’interroger sur les écarts de salaires entre femmes et hommes, qui, rappelons-le, stagnent à 23 % en France, ou s’attaquer au « plafond de verre » qui bloque les carrières des femmes. J’en suis pour ma part convaincu : l’inconfort sémantique dans lequel on laisse les femmes produit et entretient de l’inconfort social.

    Vous expliquez que votre démarche est soutenue par 75 % de la population. En êtes-vous si sûr ?
    R. H.  : Quand on regarde les résultats de l’étude d’opinion, que constatons-nous ? Que 84 % des 1 000 personnes interrogées par l’institut Harris Interactive les 11 et 12 octobre derniers sont acquises à la féminisation des noms de métiers, de titres, de grades et de fonctions. Et que 81 % des personnes interrogées sont pour l’usage du féminin et du masculin plutôt que du masculin « générique » lorsqu’on s’adresse à la fois à des femmes et des hommes. Et 3 personnes sur 4 sont favorables aux deux dimensions simultanément, qui sont en fait les deux principes directeurs de l’écriture inclusive.
    E. V.  : Le général de Gaulle l’avait bien compris, lui qui veillait à commencer tous ses discours par la double flexion : « Françaises, Français ». Au grand dam de l’Académie !
    R. H.  : Tous les hommes politiques s’y sont mis depuis. Je m’intéresse de longue date aux discours de meetings. En 2002, Robert Hue était le seul homme à utiliser la double flexion (avec Arlette Laguiller et son célèbre « Travailleurs, Travailleuses », NDLR). En 2017, ils l’ont tous fait. C’est pleinement rentré dans les mœurs. Ce qui me fait dire que la bataille menée par nos détracteurs et nos détractrices est une bataille d’arrière-garde. Elles et ils ont déjà perdu, mais ne le savent pas encore. D’importants responsables institutionnels, comme Pierre Gattaz par exemple, utilisent aujourd’hui l’écriture inclusive ! Et les tweets vont l’imposer, puisque la place est restreinte !

     #écriture_inclusive #langage #langue #femmes #agence-de-publicité #publicitaire #lobbyistes #lobby #parole #communication #Raphaël-Haddad #Mots-Clés

    • Bah oui, on a bien compris que cette recension était dans un but anti écriture inclusive et anti féministe. C’est marrant c’est toujours quand il y a un tant soit peu de mini évolution qui va à peu près dans le bon sens (et franchement ce n’est vraiment pas énorme) que tout d’un coup ya des cris d’orfraie pour dire « ah non mais c’est ÇA qui est PLUS IMPORTANT ! » (remplacez ÇA par n’importe quoi d’autre, le racisme, la pauvreté, l’impérialisme, le « vrai féminisme », etc, etc).

      Bordel mais ça fait bien 50 ans que les luttes contre les dominations croisées existent (afro-fem, etc) et qu’on argumente qu’il n’y pas à « choisir » entre des luttes contre des dominations. Alors oui, le temps n’est pas infini, et une même personne unique ne peut pas lutter forcément sur tous les fronts à la fois ou pas autant pour chaque, mais par contre laissez à minima les personnes lutter contre les dominations qui les concernent.

      Quant à l’insinuation de merde avec « L’ORIGINE », non mais sérieux, tu crois que c’est quoi l’origine ? Tu crois que c’est une agence de com qui a inventé ces problématiques et qui a inventé l’écriture inclusive. Non c’est complètement taré. Ça fait des décennies que dans les milieux militants ya des propositions, le mec indiqué n’était même pas né, arrêtez vos conneries. Et par ailleurs, au delà de ce fait logique, dans tous les cas, actuellement la pub, c’est de l’incitation au viol permanent et l’utilisation de femmes objets partout etc. Personnellement je suis pour la suppression totale de toute publicité mais donc qu’une rare agence de com fasse son boulot en respectant les femmes, vu le nombre de personne qui voit de la pub tous les jours, et notamment les gosses, bah ça ne peut pas faire de mal dans tous les cas.

      Bref allez manger vos morts dans votre coin.

    • Personnellement, j’aimerais qu’il y ait autant d’agitation, d’indignations, de débats passionnés pour la pauvreté.

      N’empeiche que c’est toi ici qui t’agite contre la visibilité du féminin en français et qui n’est pas dans l’action ni l’indignation, ni le débat passionné pour la pauvreté. Si t’en a tellement à faire des pauvres, sans-emplois, familles (sic), etc... qu’est ce que tu fiche ici à participer à ce débat qui te détourne de tes prétendues vrai préoccupations ?

      #paternalisme #mansplanning #fraternité

    • @RastaPopoulos, je comprends pas.

      Pourquoi n’a pas tu écris ton commentaire en écriture inclusive ? Par ailleurs, qu’est qui peut te faire croire que je suis un homme ?

      Personnellement, je ne comprends pas pourquoi les partinsan(e)s de l’écriture inclusive n’aient pas diffusé cet article, il a pas mal de points valorisant.
      Elles(ils) auraient pu les mettre en valeur et parler en premier(e).
      Qui sait, une pudeur ?

      Il y a plusieurs versions d’écriture inclusive, depuis longtemps.
      Quelles sont celles (les versions) qui sont utilisées par celles et ceux qui ne sont pas militant(e)s, non pourvu(e)s d’un diplôme de conformisme universitaire ?
      Faudrait se poser des questions. Voir le dernier numéro de La Décroissance.

      Les publicitaires, pas mal de politiques, et tant d’autres, incitent au viol permanent, entièrement d’accord ! Ajoutons envers les enfants.
      Il est curieux que les défenseurs(e)s des femmes citent trés rarement les ignominies de sbires comme, (liste non exhaustive) liliane de bétancourt, elisabeth badinter, la reine d’angleterre et autres reines, margaret tadcher, martine aubry, anne hidalgo, myriam el khomri, muriel pénicaud, . . . .
      Les sous fifres sont aussi féminines, dés qu’il y a pouvoir et argent.
      La fonction de DRH en entreprise est trés féminisée.
      Le suicides en entreprises, il y en a pas pas mal, avec des DRH femmes, comme avec des DRH hommes. Egalité dans l’efficacité dans l’ignominie.

      Plus important !
      Il y a un an, presque jour pour jour, j’enregistrai sur mon magnétophone le témoignage de Fadila, d’auchan city tourcoing, qui avait perdu son bébé suite à la violence de ses conditions de son travail chez les mulliez.

      Elle a mangé son mort, elle !
      Conditions de travail des femmes mais aussi des hommes. Ce n’est hélas pas un cas unique.
      Ma gueule est sur les photos de la voix du nord, si ça intéresse quelqu’un.
      http://www.campuslille.com/index.php/l-agenda/evenement/1669-saints-innocents-en-france-le-massacre-continu-au-xxi-siecle-exemp

      A un de ces jours RastaPopoulos, je suis trés souvent content de te te lire, et de partager tes articles.
      Attention aux apparences, faut pas juger et écrire trop vite.
      La vie, la vraie, c’est pas un blog.

      Tous les jours, je passe devant la maison qui a servi à tourner « La vie est un long fleuve Tranquille », juste en face du golf utilisé pour la scène finale du film « le corps de mon ennemi »

      A propos « de débats passionnés pour la pauvreté. »
      https://www.youtube.com/watch?v=34QxDoQo6KI

    • * Video - Pour la masculinisation du langaG - Vendredi 15 décembre 2017, par RZ (Théâtre Croquemitaine) _
      http://www.theatrecroquemitaine.com/video-Pour-la-masculinisation-du-langaG.html

      Pourquoi systématiquement, lorsqu’il s’agit d’inclure les femmes dans le langage, les expertEs, académinicienNEs, intellectuelLEs de tous poils, s’attellent immédiatement à torturer les mots pour les féminiser ?

      Plaidoyer pour une masculinisation des mots.

      https://vimeo.com/247488845

      Nous, femmes, revendiquons la forme universelle.
      Qu’ils, hommes, s’arrangent avec des mots bricolés laids.