« Le plus vieux squat de Paris » : au cœur de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, bastion intégriste illégal | Actu Paris
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C’est un édifice religieux parmi tant d’autres à Paris et, pourtant, il est occupé illégalement depuis bientôt plus de cinquante ans. L’église Saint-Nicolas-du-Chardonnet est le temple des intégristes catholiques, sous l’égide de la Fraternité Saint-Pie-X, non reconnue par les autorités ecclésiastiques. Un groupuscule qui fait parler de lui ces derniers jours, puisque, depuis le 22 mai 2023, un ancien prêtre de cette fraternité est jugé à La Roche-sur-Yon (Vendée) pour 27 viols et agressions sexuelles sur mineurs.
D’une invasion paroissiale rocambolesque à un statu quo jamais résolu, retour sur cette insolite histoire, qui a permis la création d’un quartier général conservateur chéri par l’extrême droite au milieu du 5e arrondissement de la capitale.
Des réfractaires aux changements de l’Église
Aux sources de ce drôle de putsch : l’évolution de l’Église catholique durant les années 1960. Le concile Vatican II va profondément changer la liturgie chrétienne. En guise d’exemples, la messe ne se fait plus en latin, mais en langue vernaculaire, et le prêtre est désormais face aux fidèles et non de dos.
Toutes ces modifications ne vont pas se faire sans heurts. Un certain nombre de fidèles et d’ecclésiastiques vont refuser ces évolutions. En 1970, en Suisse, est fondée par Mgr Marcel Lefebvre la Fraternité saint-Pie-X. Excommuniée par le Vatican, elle va jouer un rôle clé dans la prise de Saint-Nicolas-du-Chardonnet.
Nous sommes en 1977. Depuis quelque temps déjà, les curés frondeurs organisent des messes dites traditionnelles dans Paris. « Nous nous réunissions dans la salle Wagram, où les cérémonies étaient mises en place juste après les soirées nocturnes », se remémore le trésorier du Rassemblement national, Wallerand de Saint-Just, présent lors de l’invasion de Saint-Nicolas-du-Chardonnet.
Une invasion prévue
Il est alors décidé de voir plus grand et de frapper fort pour les traditionalistes. Une église sera réquisitionnée, par la force si nécessaire. « Saint-Nicolas-du-Chardonnet a été choisie, car il n’y avait pas grand monde qui assistait aux messes », glisse Wallerand de Saint-Just.
Le 27 février, sous la direction de l’abbé François Ducaud-Bourget, 800 fidèles se réunissent place de la Mutualité, non loin de l’église : « On nous a fait comprendre que nous allions nous rendre à Saint-Nicolas-du-Chardonnet. Nous sommes entrés alors que le curé célébrait la messe. Il a tout de suite compris que quelque chose n’allait pas », se souvient Wallerand de Saint-Just.
Après cette intrusion massive de l’édifice, l’officiant est mis à la porte, et les traditionalistes s’installent dans l’église. Dès le lendemain, des échauffourées éclatent entre les nouveaux et anciens occupants du lieu : « Les prêtres nommés par l’archevêque s’étaient réfugiés dans l’immeuble situé juste à côté de l’église, ce qui ne facilitait pas les rapports », détaille l’ancien élu FN.
Rapidement, de nouveaux fidèles intégristes viennent en renfort, poussant leur nombre jusqu’à 3 000. Une « garde » se met en place et des fidèles passent la nuit dans l’église pour éviter toute reprise. Au sein de cette foule, un cocktail composé des ingrédients les plus conservateurs du paysage national : partisans de l’Algérie Française, monarchistes, ou encore le tout jeune Front national.
Une demande d’expulsion jamais appliquée
Du côté de l’archevêché, l’invasion n’est pas en odeur de sainteté. Une demande d’intervention est faite au ministère de l’Intérieur et à la préfecture de Police. Les institutions temporisent. On évoque la séparation de l’Église et de l’État pour justifier que les képis ne s’interposent pas dans une querelle de soutanes. De plus, en cette année 1977 où Paris va se choisir un nouveau maire, l’heure n’est pas à l’esclandre.
Une première action en justice va pourtant être menée. En juillet 1977, la cour d’appel de Paris ordonne l’expulsion des intégristes. La préfecture de Police n’agit pas, car, selon l’institution, « intervenir par la force risque de troubler gravement l’ordre public ».
Obsèques polémiques et groupuscules d’ultradroite
Après ce désaveu de l’État, le temps va passer, et la fraternité Saint-Pie-X va s’implanter dans l’église, devenant un temple ultraconservateur. Dans ce lieu, situé non loin du Panthéon, on y célèbre les obsèques de Maurice Bardèche, l’un des fondateurs du négationnisme, ou encore de Paul Touvier, chef de la milice lyonnaise sous l’Occupation. Entre ses murs, il n’y a pas que des enfants de chœur : le groupe Civitas y est très présent.
Pour expliquer cette surprenante longévité, on parle de soutiens de poids. En 1997, la presse se fait l’écho d’une lettre de Bernadette Chirac envoyée au curé de la paroisse, s’excusant de ne pas avoir pu se rendre au dîner de commémoration des 20 ans de l’occupation de l’édifice religieux. En 1993, la Fraternité Saint-Pie-X va tenter de s’emparer de l’église Saint-Germain-l’Auxerrois, située en face du Louvre. Cette fois, la police dispersera les intrus.
Tentative d’expulsion par la mairie
Au début des années 2000, une tentative va être faite pour faire sortir les intégristes de la paroisse. Sylvain Garel, élu Europe Écologie les Verts (EELV) à l’époque, réussit à faire voter un vœu d’expulsion au Conseil de Paris. « C’est le plus vieux squat de Paris, et certaines des positions de la paroisse sont à la fois islamophobes et antisémites. Nous avions pu mettre [le maire] Bertrand Delanoë en minorité. Certains socialistes étaient partis aux toilettes pour ne pas avoir à voter », nous raconte l’ancien élu.
Le vœu est un vœu pieux. La préfecture de Police n’interviendra pas. Contactée, l’institution nous a répondu que « plus de dix ans s’étant écoulés depuis l’avis d’expulsion de 1977, ce dernier n’est donc plus exécutoire. S’ils envisagent de demander l’expulsion des occupants, la Mairie de Paris ou l’affectataire des lieux doivent alors engager une nouvelle procédure judiciaire ».
Un coup de force avorté
Malgré cette fin de non-recevoir, Sylvain Garel va tenter un coup de force quelques années après. Sous son indication, des sans-papiers investissent l’église pour protester. « Qui, des sans-papiers ou des squatters intégristes, la police va-t-elle évacuer ? », est-il inscrit sur un communiqué. Dans un certain calme, la tentative va échouer, les intrus en attente de régularisation étant sortis de l’église, sous le regard des fidèles.
Aujourd’hui, la situation n’a toujours pas bougé. Dans la paroisse, la vie poursuit son cours comme dans celle de n’importe quelle église. Une plaque rend hommage à François Ducaud-Bourget. Sur la porte, on conseille fortement aux jeunes femmes de porter le voile pendant les messes. Du côté du diocèse de Paris, on fait avec et on s’étale peu sur la question. La paroisse Saint-Séverin est devenue Saint-Séverin-Saint-Nicolas, pour accueillir les fidèles chassés de leur église depuis bientôt cinquante ans.
Contactée, la Ville de Paris n’a pas répondu à nos sollicitations.