Le Yémen, un spécimen des ratés de la guerre contre le terrorisme

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  • Le Yémen, un spécimen des ratés de la guerre contre le terrorisme
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    Enfin un bon livre sur le Yémen ! En France, ils sont rares, un par décennie en moyenne. Un livre de chercheur, certes destiné au grand public, mais complexe, documenté, sans oublier une dimension théorique, qui est le propre de la recherche. Le Yémen - De l’Arabie heureuse à la guerre, de Laurent Bonnefoy, n’est pas une histoire de ce pays de la reine de Sabah à nos jours, contrairement à ce que son titre peut laisser croire. Les repères temporels sont présents et les grandes périodes dessinées à grand trait, mais c’est surtout la période récente, depuis le tournant du siècle, qui est analysée. Autre originalité du projet : le Yémen, pays aussi mythique que méconnu, n’est pas traité ici en soi mais plutôt dans son rapport au monde.
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    La thèse de Laurent Bonnefoy est que, malgré son isolement apparent, malgré la négligence et la légèreté des puissances qui se sont penchées sur ce pays, la trajectoire du Yémen a joué – et joue encore – un rôle de paradigme dans les relations internationales.

    Le Yémen est, en effet, un spécimen quasi-parfait des ratés de la guerre contre le terrorisme : comment le pouvoir a eu intérêt à agiter cette menace pour obtenir des subsides ; comment les Etats-Unis ont baissé la garde en croyant avoir gagné au moment où leur relais local, le président Saleh, ruinait...

    boum… #paywall !

    • Le chercheur Laurent Bonnefoy développe, dans un essai très documenté, la thèse que ce pays – aussi mythique que méconnu – aujourd’hui frappé par la violence du monde finira par se rappeler au bon souvenir de celui-ci.

      Enfin un bon livre sur le Yémen ! En France, ils sont rares, un par décennie en moyenne. Un livre de chercheur, certes destiné au grand public, mais complexe, documenté, sans oublier une dimension théorique, qui est le propre de la recherche. Le Yémen - De l’Arabie heureuse à la guerre, de Laurent Bonnefoy, n’est pas une histoire de ce pays de la reine de Sabah à nos jours, contrairement à ce que son titre peut laisser croire. Les repères temporels sont présents et les grandes périodes dessinées à grand trait, mais c’est surtout la période récente, depuis le tournant du siècle, qui est analysée. Autre originalité du projet : le Yémen, pays aussi mythique que méconnu, n’est pas traité ici en soi mais plutôt dans son rapport au monde.

      C’est un prisme difficile et original, parfois aride, voire touffu, quand il s’agit d’éclairer les innombrables contradictions de la diplomatie yéménite sous Ali Abdallah Saleh, le président autocrate qui dirigea le pays de 1978 à 2012, président à la réunification des deux Yémen, chassé par la révolution de 2011 avant de revenir en 2014 par la force des armes et allié à ses ennemis jurés, les houthistes, qu’il avait combattus sans merci – ils finirent par l’assassiner en décembre 2017, au lendemain d’une ultime volte-face. Mais la complexité n’est pas un défaut dans la recherche, au contraire.

      Rôle de paradigme

      La thèse de Laurent Bonnefoy est que, malgré son isolement apparent, malgré la négligence et la légèreté des puissances qui se sont penchées sur ce pays, la trajectoire du Yémen a joué – et joue encore – un rôle de paradigme dans les relations internationales.

      Le Yémen est, en effet, un spécimen quasi-parfait des ratés de la guerre contre le terrorisme : comment le pouvoir a eu intérêt à agiter cette menace pour obtenir des subsides ; comment les Etats-Unis ont baissé la garde en croyant avoir gagné au moment où leur relais local, le président Saleh, ruinait tous ces gains en lançant sa guerre contre les houthistes ; comment l’aide au développement n’a jamais été à la hauteur de celle militaire ; comment la restructuration des forces de sécurité a lancé une lutte de tous contre tous ; comment le refus américain d’endosser les victimes civiles des frappes de drones a sapé la légitimité de leur propre allié...

      La liste est interminable, mais le résultat imparable : Al-Qaida est plus puissant qu’il y a quinze ans. Cette histoire, qui court de 2001 à 2015, a été peu couverte, à l’exception de rares journalistes comme François-Xavier Trégan, qui a longtemps écrit dans ces colonnes.

      Pour tous ces observateurs attentifs, dont fait évidemment partie Bonnefoy, l’échec de la révolution de 2011 et la guerre de 2015 n’ont pas été une surprise. Aujourd’hui, il faut donc lire Le Yémen - De l’Arabie heureuse à la guerre pour comprendre que, si la violence du monde a fini par frapper de plein fouet le Yémen avec la guerre de 2015, celui-ci ne saurait oublier le monde et se rappellera un jour à son bon souvenir, que ce soit par le terrorisme ou par un afflux de réfugiés. A commencer par l’Arabie saoudite, dont le Yémen, ce voisin en loques, risque de devenir le pire cauchemar.