• Près de 80 % des victimes de mort violente au sein du couple sont des femmes
    http://www.lemonde.fr/societe/article/2018/01/31/pres-de-80-des-victimes-de-mort-violente-au-sein-du-couple-sont-des-femmes_5

    En France, 17,6 % des homicides (non crapuleux, y compris coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort), soit près d’un sur cinq, surviennent dans le cadre conjugal. Et 78,3 % des morts violentes au sein du couple concernent les femmes. Ces chiffres montrent que « le cadre conjugal » constitue « le contexte le plus dangereux pour les femmes », note la sociologue Maryse Jaspard.
    Féminicides Violences conjugales

    #statistiques #féminicide #violences_masculine #couple #hétérosexualité (vu que les violences sexuelles dans les couples homo sont inconnues ou méconnues, et ici simplement ignorées) #hétérocentrisme #violences_conjugales #viol #violences_sexuelles

  • Harcèlement sexuel au travail : une association de défense des victimes « submergée » par les saisines
    http://www.lemonde.fr/societe/article/2018/01/31/harcelement-sexuel-au-travail-une-association-de-defense-des-victimes-submer

    « Submergée par un flot ininterrompu de saisines des femmes victimes de violences sexuelles », l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT) annonce, mercredi 31 janvier, qu’elle ferme son accueil téléphonique, ne pouvant plus « répondre à tous » et « assurer la défense des victimes » avec ses moyens actuels.

    L’association prend « une décision aussi difficile qu’inévitable : celle de fermer l’accueil téléphonique jusqu’à nouvel ordre » pour pouvoir « continuer d’apporter un soutien de qualité aux personnes qui nous ont déjà sollicitées », explique dans un communiqué la déléguée générale de l’association, Marylin Baldeck.

    Entre 2015 et 2017, le nombre de saisines a doublé, précise-t-elle. Pour l’année 2017, dont le dernier trimestre a été fortement marqué par les conséquences de l’affaire Weinstein, 223 femmes ont saisi l’AVFT.

    Doublement du nombre de saisines entre 2015 et 2017 : l’AVFT FAIT UNE PAUSE "Vous l’aurez compris, cette « pause… https://t.co/v3aP9b1Pqa
    — AVFT_ (@AVFT Libres & Egales)

    « Trois mois » après l’affaire et « après la grandissante mise à l’agenda médiatique de la question du harcèlement sexuel au travail », « alors que l’AVFT fonctionne sans augmentation de subventions et donc d’effectifs depuis treize ans, il n’est pas difficile de comprendre que notre situation est absolument intenable », poursuit le communiqué.

    Lire notre reportage : Harcèlement sexuel : le combat de la seule association de défense de victimes au travail
    Appel au renforcement de ses moyens

    Selon l’association, qui emploie cinq salariées, dont l’une en CDD jusqu’en novembre, « il faudrait une année entière pour tout faire ». En 2014 déjà, « avant même les affaires Baupin et Weinstein », l’association, qui accompagne juridiquement les victimes dans leurs actions, avait fermé puis rouvert mais de façon plus limitée son accueil téléphonique.

    Le 25 novembre, en décrétant l’égalité femmes-hommes grande cause du quinquennat, le président de la République a déclaré que « la lutte contre le harcèlement sexuel au travail était inscrite au titre des priorités de l’inspection du travail mais sans moyen supplémentaire », regrette l’association.

    Lire aussi : Et la parole des femmes se libéra

    Pour poursuivre ses missions, elle demande « une augmentation substantielle de ses ressources financières » ainsi que le renforcement « des moyens et compétences de tous les acteurs concernés par la lutte contre les violences sexuelles au travail, particulièrement les acteurs publics ».

  • Contraception masculine : quelles sont les méthodes disponibles en France ?
    http://www.lemonde.fr/societe/article/2018/01/14/contraception-masculine-quelles-sont-les-methodes-disponibles-en-france_5241

    Cinquante ans après la loi Neuwirth, légalisant en France la fabrication et la mise à disposition de contraceptifs, en dépit d’un modèle en évolution, le poids du contrôle des naissances repose encore majoritairement sur les épaules des femmes.

    Depuis le 1er janvier 2017, le Planning familial propose, à Paris, des journées de consultation groupées adressées aux hommes. Mais celles-ci n’attirent pas les foules. « Les premiers mois, il y avait une personne par consultation, ces derniers temps, on est entre trois et quatre », estime Caroline Rémy, coprésidente du Planning familial.

    Lors des consultations, les hommes recherchent avant tout « une méthode un peu plus fiable que le préservatif, qui peut craquer de temps en temps », poursuit Caroline Rémy :

    « Ils veulent aussi partager la contraception avec leur femme et être une forme de soutien dans les méthodes contraceptives. »

    Lire (en édition abonnés) : 50 ans après l’autorisation de la pilule, trois générations de femmes livrent leur expérience
    Toujours pas de pilule pour les hommes

    Il faut dire que les alternatives au préservatif ne sont pas encore largement popularisées. La pilule contraceptive, qui représentait encore en 2016 le principal moyen de contraception d’une femme sur deux, selon l’Institut national d’études démographiques (INED), n’existe toujours pas pour les hommes. « Je pense qu’il n’y a pas un afflux de demandes et donc les laboratoires ne se penchent pas vraiment sur la question », juge Mme Rémy.

    « On a largement les moyens scientifiques de développer la pilule pour homme », assure quant à elle Cécile Ventola, chercheuse à l’INED, qui note un intérêt au statu quo et une frilosité des laboratoires pharmaceutiques.

    « Toutes les innovations en matière de contraception féminine qui ont été réalisées dans les dernières décennies n’ont pas été portées par l’industrie pharmaceutique mais par des organismes publics : anneau vaginal, stérilet hormonal, etc. »

    Pour Pierre Colin, cofondateur de l’Association pour la recherche et le développement de la contraception masculine (Ardecom), il s’agit d’un faux problème :

    « Pourquoi une pilule ? On entend les femmes parler de leur contraception, elles en ont marre de leur pilule et le stérilet en cuivre a beaucoup de succès à cause de ça. »

    « Depuis quarante ans, on a deux types de contraception — trois avec la vasectomie — et on est une centaine d’hommes “contraceptés” en France. »

    Lire : Apogée et déclin de la pilule, tabou de la stérilisation : 50 ans de contraception en France
    L’injection d’hormones

    Peu médiatisée, la contraception hormonale masculine consiste en des injections hebdomadaires de testostérone. Une méthode qui, en plus d’être méconnue, est lente à se mettre en place. « Il faut faire des spermogrammes [au cours du traitement], déjà ça va rebuter certains hommes qui ne vont pas se compliquer la tâche », dit la coprésidente du Planning familial. Il faut attendre jusqu’à trois mois pour l’arrêt de la production de spermatozoïdes :

    « Le cycle masculin ne s’arrête pas aussi rapidement que le cycle féminin. Les trois premiers mois, vous n’êtes pas vraiment “contraceptés”. »

    Au cours de l’utilisation, les piqûres sont autoadministrables et coûtent « dix euros par semaine en pharmacie », précise Pierre Colin. Ce traitement hormonal est réversible mais, là encore, il faut attendre trois mois pour pouvoir à nouveau procréer.

    Ce traitement doit impérativement faire l’objet d’une discussion préalable avec un professionnel de santé. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande un usage limité à dix-huit mois, et réservé aux « hommes de 25 à 45 ans n’ayant pas certains antécédents (cardiovasculaires, hépatiques, de cancers, d’obésité, psychiatriques, etc.) ou ne consommant pas de tabac », rappelle l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM).

    Une autre méthode, nommée « contraception masculine thermique », consiste en une légère augmentation de la température des testicules, « méthode qu’on appelle également “slip chauffant” », précise Caroline Rémy. Il s’agit donc d’un sous-vêtement ajusté qui place les testicules dans une certaine position pour les réchauffer. Le prix ? « Cinq euros de plus qu’un slip normal », répond Pierre Colin. Il faut porter ce sous-vêtement sept jours sur sept, et quinze heures par jour. Là encore, la méthode est réversible mais met jusqu’à trois mois pour devenir efficace ou cesser de l’être.

    Pour la contraception thermique comme hormonale, le nombre d’utilisateurs est flou : « Je pense que ça se compte sur les doigts d’une main, peut-être deux, dit Cécile Ventola. Les usagers potentiels ne savent pas que ça existe et les médecins non plus », regrette la chercheuse.

    Attention, le « slip chauffant » n’est pas une méthode reconnue par l’OMS, et l’Agence nationale de santé publique (ministère de la santé) fait savoir au Monde qu’elle refuse de prendre position sur son efficacité contraceptive et d’en faire la promotion pour le moment. Santé publique France déclare cependant suivre les travaux de l’Ardecom, « interlocuteur privilégié sur la méthode en France ». Les études sur cette méthode sont, pour le moment, limitées. « On doit le porter tout le temps, et ce n’est pas fiable », disait l’urologue Didier Legeais sur Franceinfo.
    La stérilisation reste taboue en France

    Enfin, l’ultime moyen de contraception masculine, la vasectomie, est également très peu répandu en France, où la stérilisation est autorisée depuis 2001. Elle concerne environ mille hommes en France, selon l’Ardecom et le Planning familial. Il s’agit d’une opération des testicules qui va bloquer de façon permanente la production de spermatozoïdes.

    Cette méthode n’est pas toujours réversible, aussi les hommes qui y recourent ont-ils la possibilité de congeler du sperme gratuitement avant l’opération. Selon Pierre Colin, elle est pratiquée par « une cinquantaine de médecins » en France. « L’Angleterre est beaucoup plus en avance et a beaucoup plus accès à la vasectomie, qui est proposée dans beaucoup de centres et par beaucoup plus de praticiens qu’en France », dit Caroline Rémy.

    Pour développer l’accès et le recours à la stérilisation, il faudrait « un changement de mentalités large », estime la coprésidente du Planning familial, alors que la plupart des personnes interrogées évoquent les effets d’une politique nataliste française, couplée à un manque de sensibilisation parmi les professionnels de santé. Contre les préjugés, Pierre Colin rappelle que l’érection et la libido ne sont en rien affectées par cette opération.

    Je trouve la manière de présenté le remonte-couilles-toulousain très contre productive. Oui il faut le porter 15h par jour, c’est assez léger comme contrainte, ca coûte rien, on peu le faire à la maison, pas de big pharma dans l’affaire et pourtant c’est jugé peu fiable et pas validé par l’OMS. Alors que c’est la seule méthode contraceptive réversible masculine accessible actuellement.

    #contraception_masculine #RCT

  • Financement du terrorisme : le jeu de dupes des dirigeants de Lafarge

    http://www.lemonde.fr/societe/article/2018/01/04/financement-du-terrorisme-le-jeu-de-dupe-des-dirigeants-de-lafarge_5237348_3

    Les responsables se rejettent la faute des agissements du groupe en Syrie. L’enquête se concentre sur le contenu des réunions qui se sont tenues au siège du cimentier à Paris.

    Qui sont les responsables du naufrage moral du groupe Lafarge en Syrie ? L’information judiciaire pour « financement du terrorisme », ouverte contre le cimentier en juin 2017, a établi deux faits : sa filiale syrienne Lafarge Cement Syria (LCS) a monnayé auprès de groupes terroristes la sécurité de son usine de Jalabiya, dans le nord du pays, et elle s’est approvisionnée en matières premières sur des zones contrôlées par l’organisation Etat islamique (EI) et le Front Al-Nosra, affilié à Al-Qaida.

    Ces deux infractions étant documentées, les juges d’instruction cherchent désormais à en établir les responsabilités individuelles et collectives. Six personnes ont d’ores et déjà été mises en examen début décembre 2017 : les deux anciens directeurs de LCS (Bruno Pescheux et Frédéric Jolibois), ainsi que quatre responsables du groupe à Paris (Bruno Lafont, ex-PDG de Lafarge, Christian Herrault, ancien directeur général adjoint opérationnel, Eric Olsen, ex-DRH, et Jean-Claude Veillard, l’ancien directeur sûreté).

    Au fil de leurs interrogatoires, les magistrats s’évertuent à remonter la chaîne décisionnelle pour comprendre si la société Lafarge SA – qui appartient au groupe LafargeHolcim depuis la fusion avec le groupe suisse en 2015 – peut être mise en examen en tant que personne morale. Selon les auditions dont Le Monde a pris connaissance, leur tâche s’apparente à un immense jeu de poupées russes, chaque dirigeant se défaussant sur l’étage hiérarchique inférieur ou supérieur. Une dilution des responsabilités vertigineuse de la part d’une multinationale opérant dans un pays en guerre.

    Le jeu de dupes commence au sommet de la pyramide, en Suisse, où le siège de LafargeHolcim dénonce à longueur de communiqués les « erreurs » commises par la « direction locale » de la filiale syrienne. L’ancien directeur de ladite filiale, Bruno Pescheux, affirme pourtant à la justice avoir agi avec l’aval de son responsable à Paris, Christian Herrault. Ce dernier, chargé de faire le lien entre la Syrie et la direction de Lafarge, est catégorique : il a constamment tenu informé le PDG du groupe, Bruno Lafont. Ce dernier assure pour sa part qu’il n’en est rien et qu’on ne lui « a pas tout dit ».

    Les procès-verbaux du comité de sûreté

    Qui savait, qui a validé et qui a laissé faire ? Afin de tenter d’y voir plus clair, la justice s’intéresse de près au contenu des réunions qui se sont tenues au siège du cimentier à Paris entre 2012 et 2014. Selon les documents consultés par Le Monde, la situation de l’usine était régulièrement évoquée lors des réunions mensuelles du comité de sûreté, auxquelles participaient plusieurs cadres de Lafarge : Christian Herrault, Jean-Claude Veillard, Eric Olsen et Biyong Chungunco, la directrice juridique du groupe. Si le PDG Bruno Lafont n’y participait pas physiquement, les procès-verbaux lui étaient généralement remis en mains propres.

    Or, dès la fin de l’année 2013, les difficultés rencontrées par l’usine pour continuer à opérer en Syrie alors que des groupes armés contrôlaient les axes routiers autour du site ont été clairement examinées. Le procès-verbal de la réunion du comité de sûreté de septembre 2013 en a gardé la trace : « Il devient de plus en plus difficile d’opérer sans être amené à négocier directement ou indirectement avec ces réseaux classés terroristes par les organisations internationales et les Etats-Unis », à savoir l’EI et Al-Nosra. Le risque est identifié, mais décision est prise de rester.

    Le mois suivant, la situation a évolué. Le procès-verbal de la réunion d’octobre 2013 précise que « grâce à des négociations menées avec les différents intervenants », les routes logistiques ont été rouvertes et les employés ont pu reprendre le chemin de l’usine. Ni l’EI ni Al-Nosra ne sont explicitement mentionnés dans ce document. L’enquête interne confiée par LafargeHolcim au cabinet américain Baker McKenzie après l’éclatement du scandale, à l’été 2016, reconnaît qu’il est impossible, sur la foi de ce seul procès-verbal, d’affirmer que ces deux groupes figuraient parmi les « intervenants » rétribués, à côté de l’Armée syrienne libre (ASL) et des Kurdes du Parti de l’union démocratique (PYD).

    « Intervenants » rétribués

    Trois éléments du dossier semblent pourtant aller dans ce sens. Tout d’abord, c’est précisément en octobre 2013 que des « négociations ont apparemment été menées » par un intermédiaire syrien de LCS, Firas Tlass, « avec au moins certains groupes précisés dans les procès-verbaux » du comité de sûreté, parmi lesquels figuraient « l’El et Al-Nosra », souligne l’enquête interne. Ensuite, M. Pescheux, l’ancien directeur de LCS, a lui-même reconnu devant les juges que l’EI était apparu dans la liste des groupes payés par Firas Tlass à cette période, en novembre 2013.

    Enfin, un document semble indiquer que les échanges verbaux du comité de sûreté étaient bien plus explicites que leurs comptes rendus officiels ne le laissent paraître. Dans un courriel adressé en septembre 2014 à Frédéric Jolibois, successeur de M. Pescheux à la tête de LCS, Jean-Claude Veillard se dit ainsi surpris que la directrice juridique, Biyong Chungunco, prétende ne pas être au courant des relations « indirectes » entre LCS et l’El. Il écrit : « Je lui ai gentiment fait remarquer qu’elle fait partie du comité de sûreté et que je parle de ces sujets depuis presque trois ans… Depuis trois ans, nous gérons tout cela en comité très restreint. »

    Que savait le PDG, Bruno Lafont ?

    Si les négociations engagées avec des groupes terroristes ont été explicitement évoquées lors de ces deux réunions de l’automne 2013, est-il envisageable que le PDG n’en ait pas été informé ? Bruno Lafont assure que oui : « Je ne faisais pas le boulot de mes collaborateurs, et je ne lisais pas forcément les procès-verbaux », a-t-il assuré aux enquêteurs fin janvier.

    Sur ce point, le PDG est démenti par les faits : il a en effet commenté dans un courriel certains éléments du procès-verbal du comité de sûreté de septembre 2013, ce qui tend à indiquer qu’il l’avait bien lu.

    Christian Herrault est par ailleurs catégorique : il affirme avoir informé son PDG dès septembre-octobre 2013 que Lafarge finançait des groupes terroristes comme Al-Nosra et l’EI. Entendu de nouveau début décembre 2017 par les juges en vue de sa mise en examen, Bruno Lafont n’en démord pourtant pas : « Il y a beaucoup de choses que je n’ai pas sues, qui m’ont peut-être été cachées, et cela me conduit à penser que l’on ne m’a pas tout dit. »

    Un « accord » évoqué devant le comité exécutif

    Huit mois après la réunion du comité de sûreté d’octobre 2013, la situation s’est encore dégradée autour de l’usine. Le 10 juillet 2014, Christian Herrault informe Bruno Lafont par courriel de l’arrêt du site, le temps de trouver un accord « clair » avec l’El et le PYD. A cette même date, Firas Tlass envoie un autre courriel à Bruno Pescheux, Christian Herrault et Jean-Claude Veillard, les informant qu’il a engagé des négociations avec les représentants de l’El à Dubaï pour parvenir à un « accord durable ».

    L’enquête interne a établi, à partir d’échanges de courriels, que ce sont Frédéric Jolibois, Christian Herrault et Jean-Claude Veillard qui ont donné des instructions à Firas Tlass sur la manière de conduire ces négociations. Ces échanges se sont prolongés après le 15 août 2014, date d’une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies (ONU) condamnant l’EI et toute entité finançant cette organisation « directement ou indirectement ».

    Ces négociations ont pourtant été de nouveau évoquées lors d’une réunion du comité exécutif, le 27 août 2014, soit deux semaines après la résolution de l’ONU. Selon des notes non officielles prises lors de cette réunion, Christian Herrault aurait même anticipé une amélioration des ventes grâce à l’« accord avec les Kurdes et Daech » (l’acronyme arabe de l’EI). Toujours selon ces notes, Bruno Lafont aurait alors souligné l’importance de s’assurer que « ce que nous faisons soit sans risque (également au regard de la loi américaine) ». Aucune trace de ces discussions n’apparaît dans les procès-verbaux officiels du comité exécutif.

    Là encore, aucun responsable de Lafarge ne se souvenait de la teneur de cette réunion lorsqu’ils ont été entendus dans le cadre de l’enquête interne il y a un an. Devant les juges, début décembre 2017, ils ont nuancé leurs dénégations, tout en continuant de minimiser leur rôle. Si Bruno Lafont reconnaît que « Christian Herrault a fait l’annonce d’un accord avec Daech » ce 27 août 2014, il affirme avoir dit que « cet accord n’était pas une bonne idée ». Quant à Eric Olsen, il assure qu’« aucun des participants de cette réunion n’a compris la teneur de cet échange » entre M. Lafont et M. Herrault.

    Le rôle du Quai d’Orsay en question

    Le syndrome des poupées russes qui contamine ce dossier dépasse le cadre de l’organigramme de Lafarge. Lors de sa première audition par les douanes judiciaires, début 2017, Christian Herrault avait ainsi assuré que la décision du groupe de se maintenir en Syrie fin 2012 malgré le départ de toutes les entreprises françaises, dont Total ou Air liquide, avait reçu le soutien de la diplomatie française. « Tous les six mois, on allait voir le Quai d’Orsay, qui nous poussait à rester (…). C’est quand même le plus gros investissement français en Syrie, et c’est le drapeau français », avait-il déclaré.

    Entendu récemment par les juges d’instruction, Eric Chevallier, ambassadeur de France à Damas entre 2009 et mars 2012, date de la fermeture de la représentation diplomatique, a vigoureusement démenti ces allégations : « Je l’affirme catégoriquement, je n’ai jamais demandé à Lafarge de rester en Syrie. Je l’affirme solennellement, je n’ai jamais laissé entendre ceci (…). Leur demander ou les inciter à rester était contraire aux consignes, je ne leur aurais jamais dit ça. Vous savez, je sais ce que c’est que cette boucherie (…). C’est une vraie boucherie, une vraie guerre, d’une violence inouïe. Dès 2011, j’avais pressenti cette violence, une des pires du XXIe siècle (…). Je l’avais signalé dès le début. »

    Confronté par les magistrats à cette vive réaction du diplomate, Christian Herrault, l’ancien directeur général adjoint opérationnel du cimentier, a simplement répondu : « Il y en a manifestement un de nous deux qui ment. »