Restitution des biens culturels mal acquis : à qui appartient l’art ?

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  • Restitution des biens culturels mal acquis : à qui appartient l’art ?
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    Afin d’atténuer la restitution pure et simple exigée par certains pays demandeurs, la solution de réplique des œuvres est avancée et envisagée dans la plupart des cas comme une mesure devant contenter les deux parties, le pays conservateur et le pays demandeur. Cependant, reste la question de savoir à qui doivent revenir les œuvres originales.

    De la même manière, les répliques virtuelles sont de plus en plus évoquées. Si cette perspective est largement partagée par les jeunes générations habituées au numérique, de nombreux amateurs d’art pensent qu’il s’agit d’un non-sens, voire d’une offense à la culture artistique que de dématérialiser l’objet d’art. Par ailleurs, le prêt de ces objets de musée à musée est évoqué sans que cette solution ne soit entièrement satisfaisante.

    Il apparaît que le problème de la restitution est inextricable, car il englobe plusieurs domaines, ceux du droit, de la morale, de la politique, de l’histoire, de l’économie, de l’identité, etc. Puisque les concepts peuvent ouvrir la voie à la réflexion et peut-être à une solution, il convient de s’accorder sur la terminologie, la manière dont on peut qualifier les objets « déplacés ».

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    Pillage, spoliation, saisie artistique, confiscation, butin de guerre… les mots ne manquent pas pour désigner, en fonction des contextes, le déplacement indu des œuvres. Remarquant que ces termes sont chargés de revendications idéologiques et politiques, l’historienne française Bénédicte Savoy propose le terme de « translocation patrimoniale ». « A l’origine, “translocation” est un terme de chimie génétique désignant un “échange entre chromosomes provoqué par cassure et réparation”, échange impliquant des mutations », affirme-t-elle.

    Selon l’auteure, ce terme permet d’appréhender les logiques d’appropriation patrimoniale et leurs effets, car il prend en considération trois éléments essentiels de la notion de déplacement : le lieu, la « cassure/réparation » et la transformation. Le premier permet de situer l’œuvre, d’identifier son origine et son lieu d’« exil », de relever sa présence dans un endroit et son absence dans un autre, de lui affecter un emplacement supposé sécurisé ou risqué, de juger de son exposition dans un endroit public ou privé, etc. La notion de « cassure/réparation » entrant dans le processus de translocation permet de prendre en compte les possibles traumatismes. Et enfin, puisque tout déplacement induit un changement intrinsèque et extrinsèque, les transformations que subissent l’objet et son lieu d’accueil sont à considérer.
    Nouvelle géographie culturelle

    La « translocation patrimoniale » invite donc à l’analyse des problèmes relatifs aux déplacements forcés des biens patrimoniaux. De ce fait, on peut considérer que les trois éléments déterminés par Bénédicte Savoy fournissent les moyens d’approcher, voire d’interroger le point de vue de chacune des parties engagées : les détenteurs, les demandeurs et les objets. Par exemple, la réflexion sur le lieu permet aux détenteurs de mettre en avant l’argument, recevable ou non, de la bonne conservation du patrimoine dans un endroit plus qu’un autre. Il s’agit là de la reconnaissance du caractère « déplacé » des œuvres en leur possession.

    Les demandes actuelles de restitution des objets posent plusieurs questions fondamentales qui elles-mêmes interrogent le statut de l’art, surtout dans le contexte actuel de globalisation : à qui appartient l’art ? Assiste-t-on à l’émergence d’une nouvelle géographie culturelle ?

    La circulation des biens culturels participe de la construction de l’humanité. De tout temps, les objets ayant appartenu à des peuples se sont retrouvés chez d’autres pour des raisons diverses. Cependant, la complexité des demandes actuelles de restitution, en raison de la diversité des cas qui ont gouverné leur déplacement, nécessite d’inventer de nouvelles règles non seulement pour lever les principes d’inaliénabilité, d’imprescriptibilité et d’insaisissabilité attachés aux collections muséales mais également pour définir les conditions d’un nouveau partage ou d’une nouvelle circulation des patrimoines.

    Je trouve la terminologie « œuvres déplacées » et « translocation patrimoniale » toute à fait inopérante. Je voie pas comment dans un contexte colonial on peu imaginer des échanges équitables.