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  • Monsieur le Premier ministre,

    Le drame politique majeur que nous vivons, ce n’est pas seulement ces arrangements pris avec la barbarie et la dictature.

    Le drame politique majeur que nous vivons, ce n’est pas seulement l’acceptation du mensonge et de l’estompement comme mode de régulation gouvernemental.

    Le drame politique majeur que nous vivons, ce n’est pas seulement cette cruelle spectacularisation rayonnante des chiffres du malheur causé et des vies broyées.

    Le drame politique majeur que nous vivons, ce n’est pas seulement la variabilité de Droits de l’Homme qui seraient désormais des presque droits de l’homme, avec des presque droits et des presque hommes.

    Le drame politique majeur que nous vivons, ce n’est pas seulement la légitimation du tiers qui justifierait le quart et de la moitié qui ne serait pas la demie, ainsi qu’il en irait de ce pays, le Soudan, qui à vous entendre n’équivaudrait pas à ses provinces et de ces provinces qui ne seraient pas le pays.

    Le drame politique majeur que nous vivons, ce n’est même pas de nous dire que nous-mêmes vivons effectivement de plus en plus dans un pays qui n’équivaut plus à ses régions et dont les régions ne font pas un pays.

    Tout cela, Monsieur le Premier ministre, c’est du drame politique, mais ce n’est pas le drame politique majeur auquel vous nous condamnez.

    Le drame politique majeur auquel vous nous condamnez est de vivre dans un présent toujours recommencé où demain n’existe pas.

    Vous n’envisagez pas demain. Vous envisagez sans doute et très certainement l’année prochaine, celle des élections, mais vous n’envisagez pas demain.

    Si vous envisagiez demain, ça se verrait déjà aujourd’hui.

    Mais nous ne voyons rien que de petits arrangements, de tristes estompements, de grands accommodements.

    Tout cela, ce n’est pas demain.

    Demain, je peux vous le dire, viendront des femmes, des hommes et des enfants en grand nombre, dans un nombre infiniment plus important qu’aujourd’hui. Ils et elles chercheront, comme nous aussi nous le ferons, de quoi assurer un avenir imaginable. Vous ne pourrez fermer aucune porte, édifier aucune muraille, construire aucun mirador. Nous serons des millions à nous chercher un avenir tout petit parce que le monde lui-même aura diminué sa grandeur et amenuisé sa beauté.

    Je vous parle des changements que le climat nous fera. Ils ne laisseront aucune chance à celles et ceux qui auront refusé de les prévoir et de les prévenir.

    Pourtant, parmi toutes ces chances dont vous nous privez, il en existe une que vous pourriez saisir. Nous avons la chance que les femmes et les hommes qui forment l’avant-garde des peuples qui viendront demain nous viennent aujourd’hui sans arme, sans colère, presque sans rancœur. Pour des gens dont l’errance est la conséquence de drames dont les politiques que vous prônez et que vous soutenez sont en grande partie la cause, c’est plus qu’honorable.

    Ils sont humbles et se contentent de peu. Ils sont encore peu nombreux. Ils nous donnent cette chance inouïe de préparer demain.

    Votre gouvernement ne l’a pas compris. Votre gouvernement ne comprend pas. Votre gouvernement pense que ce sont les riches qui feront l’avenir. Mais votre gouvernement se trompe. L’avenir sera fait par les pauvres.

    Chaque femme, chaque homme qui arrive parmi nous devrait nous être une leçon. Nous devrions apprendre, car c’est d’apprendre que nous avons besoin.

    Des gens qui, dans ce pays, ont bien compris cette urgence politique que vous ne voyez pas se sont mis au travail sans vous.

    Vous les amenez à le faire aussi contre vous.

    Ceci, Monsieur le Premier ministre, est de votre responsabilité.

    Vous êtes comptable du fait que des gens choisissent de se charger eux même d’un avenir que vous leur refusez.

    Après, vous pourrez bien aller aux élections, comme on va au diable.

    Paul Hermant

    Paul Hermant est, entre autres choses, créateur de l’Opération Villages Roumains et de Causes Communes, co-fondateur du G1000 et ancien chroniqueur pour la Première.

    https://www.rtbf.be/info/opinions/detail_monsieur-le-premier-ministre?id=9803651