• Disparition de Daniel Lindenberg, l’historien qui avait prédit « la droitisation des esprits »
    http://www.lesinrocks.com/2018/01/13/idees/lhistorien-des-idees-daniel-lindenberg-est-mort-111032946

    Auteur d’un livre-clé en 2002, Le rappel à l’ordre, l’historien des idées Daniel Lindenberg fut le premier à théoriser la droitisation des esprits dans le débat public.
    Souvent perdue dans les limbes obscures de l’histoire des idées, les carrières d’universitaires échappent parfois à l’oubli par la grâce d’un texte, d’un manifeste, d’un argument, dont l’audace laisse des traces durables. Celle de Daniel Lindenberg, qui vient de disparaître à l’âge de 77 ans, restera à jamais associée à un livre, paru en 2002, peu de temps après la défaite de Lionel Jospin et de l’accession de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle : Le rappel à l’ordre, enquête sur les nouveaux réactionnaires.

    Sans évidemment inventer la figure du réactionnaire, ancrée dans l’histoire politique française depuis le XIXe siècle, Lindenberg fut le premier à théoriser en ce début du XXIe siècle le processus de réactivation de cette tradition politique. Quinze ans après la parution du livre, l’évolution du débat idéologique lui a en grande partie donné raison : la “droitisation des esprits“, observée par un autre historien des idées, François Cusset, a largement contaminé le débat intellectuel, en dépit du foisonnement d’idées qui s’y opposent.

    Édité par Pierre Rosanvallon au Seuil dans sa nouvelle collection “La République des idées“, l’essai suscita alors des débats vifs au sein du monde intellectuel, et irrita surtout au plus haut point tous ceux qui se sentaient visés par le diagnostic de l’historien, c’est à dire tous ces penseurs, dont certains issus de la gauche, partagent une même “humeur chagrine face à la modernité“. Cette parole réactionnaire, observait Lindenberg, se libérait alors en France, sans scrupules, sans gêne, et touchait des citoyens jusque-là extérieurs à cette tradition de pensée. Rejet de l’idéologie libertaire née avec mai 68, critique du métissage et de la liberté des mœurs, défense de la Nation, valorisation de l’autorité, de l’école d’avant, critique des droits de l’homme et de l’antiracisme, défense de la France d’en bas, rejet de l’islam… : tous les motifs politiques dominants des vingt dernières années se retrouvent dans ce corpus théorisé par Lindenberg. C’est en quoi le livre fut, sinon prophétique, du moins lucide sur un air du temps politique dominé par le désir d’un ordre ancien.

    #Daniel_Lindenberg #réformiste #intellectuels_réactionnaires #droitisation

  • LesInrocks - Addiction aux opioïdes : la photographe Nan Goldin s’attaque à l’industrie pharmaceutique américaine
    http://www.lesinrocks.com/2018/01/09/style/addiction-aux-opioides-la-photographe-nan-goldin-sattaque-lindustrie-pha

    Elle a photographié toutes les addictions dans les années 80 en s’immisçant dans l’intimité de ses amis. Aujourd’hui, après plusieurs années de lutte contre les opioïdes, Nan Goldin s’exprime en texte et en images contre l’industrie pharmaceutique qui délivre sciemment ces drogues.

    Photographe phare des années 80, Nan Goldin a mis en images toutes les souffrances de sa génération : les drogues, le sida, l’amour, autant de sujets qui tenaient au corps de l’époque et ont marqué au fer rouge les esprits des jeunes de ces années-là. Toutefois, les démons toxiques n’ont pas épargné la photographe, qui partage aujourd’hui dans les pages d’ArtForum son combat de vingt ans contre les opioïdes, accompagné d’une série photographique. Ces puissants anti-douleur connus sous le nom d’OxyContin lui ont été prescrits à Berlin après une opération, raconte-elle dans son essai, aussi publié sur son compte Instagram.

    L’addiction était née “en une nuit”, explique-t-elle. “C’était la drogue la plus propre que j’ai connue. Au début, 40 mg étaient trop forts, mais au fil de l’habitude aucune dose n’était suffisante. Je tenais les chose sous contrôle dans un premier temps. Puis c’est devenu de plus en plus le bordel. J’ai travaillé dans le médical pour obtenir des prescriptions.”

    L’industrie pharmaceutique dans le radar

    Outre les déboires de santé, de finances et dans sa vie personnelle, c’est la perversité de l’industrie pharmaceutique et notamment de la famille Sackler que Nan Goldin tacle dans son texte. Son travail photographique, accompagné de l’article relayé par ArtForum, porte le nom de Sackler/PAIN. “PAIN” signifie “douleur” en anglais, mais s’avère être également l’acronyme de Prescription Addiction Intervention Now, soit “intervention contre l’addiction aux prescriptions maintenant”, un groupe contre l’addiction à l’OxyContin, qui s’obtient uniquement sur ordonnance... ou par des circuits aléatoires et douteux que Nan Goldin explique avoir employés pour se procurer ses doses à la fin de son addiction.

    Pour venir à bout de ces drogues prescrites comme médicaments, elle s’attaque à leur fabricant, la famille Sackler qui détient Perdue Pharma, l’entreprise qui a fait fortune grâce aux opioïdes. Pour appuyer son appel à l’aide, la photographe annonce des chiffres à glacer le sang : aux Etats-Unis en 2015, on a recensé 33 000 morts par overdose d’opioïdes dont la moitié étaient des patients avec ordonnance. De même, toujours selon elle, 80 % des addicts à l’héroïne ont commencé leur addiction par une prescription d’opioïde.

    Sackler/PAIN, se battre

    Une Nan Goldin visiblement larguée, le regard dans le vide qui tente de regarder l’objectif. La première photographie de la série Sackler/PAIN parle à celui qui la regarde, prévient et démontre par l’image des dommages que causent les opioïdes. Derrière ce texte et cette image, la volonté d’une bataille contre la famille Sackler – par ailleurs de grands mécène de l’art aux Etats-Unis – pour faire cesser une épidémie mortelle que Goldin compare à l’hécatombe causée par le VIH : “La plupart de ma communauté est morte du VIH. Je ne supporterai pas de voir une autre génération disparaître. Les Sackler ont fait leur fortune en promouvant l’addiction. (…) Ils ont fait de la publicité et distribué leur médicament en pleine connaissance de ses dangers. Les Sackler et leur entreprise privée, Purdue Pharma, ont construit un empire sur la vie de milliers de gens.”

    A ce jour, la famille Sackler n’a toujours pas communiqué à propos de l’action de Nan Goldin ou de ses groupes PAIN. Les images à retrouver ici.

    #sackler #Opioides