Anxiété cartographique par le collectif HIC SUNT
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par Valentine Gouget
Dans un article récent reprenant l’essentiel de leur ouvrage Border as Method, or the Multiplication of Labor, Sandro Mezzadra et Brett Neilson font valoir que le débat contemporain autour des frontières est imprégné d’un « sentiment d’anxiété cartographique* ». Au-delà de l’évidente relation entre cartographie et frontières, les auteurs font écho aux pensées du philosophe français Etienne Balibar en soulignant cette relation anxieuse avec la frontière et l’instabilité des contours. En effet, une carte étant la projection de diverses interprétations de la matérialisation des frontières, politiques, territoriales ou autres, elle est de fait modifiable et ouverte à la pensée critique.
Au cours des vingt dernières années, les artistes ont répondu à cette anxiété en investissant de manière significative la cartographie en tant que domaine de recherche et d’expression. Depuis les peintures rupestres de Lascaux, où certains spécialistes auraient identifié les premières tentatives cartographiques, l’art du dessin a notamment été mis au service d’enjeux pratiques et idéologiques, dans la volonté de fixer des représentations de la terre et du ciel. La carte est un artefact à travers lequel l’imaginaire donne forme à des territoires, mettant en évidence les contours d’une réalité purement subjective, sinon reconstruite. L’histoire de la géographie a donc été marquée, jusqu’à ce jour, par ces imaginaires artistiques au travail dans la représentation de l’espace.
Dans une approche contemporaine de la cartographie comme mode de représentation de l’espace, il faut peut-être faire la distinction entre ce qui participe de la production, en utilisant le terme dynamique tracer (mapping) et ce qui fait référence à une forme plus statique, la cartographie (cartography).
Les quatre artistes du collectif Hic Sunt sont toutes préoccupées par ces notions de tracés et cartographie et les abordent à travers dessins, performances, installations, sculptures et vidéos. Leurs productions artistiques ont en commun d’explorer ce que les cartes disent des limites de notre monde, afin, justement, d’offrir une autre manière de l’appréhender, de le « ré-ouvrir » et de le remettre en partage. Et si les œuvres questionnent la représentation des frontières – politiques, spatiales, mentales, langagières, etc. –, elles ne cherchent pas nécessairement à y répondre. Il s’agit d’abord de provoquer poétiquement, et même, d’ouvrir à de nouvelles questions et problématiques. En cela, Hic Sunt explore aussi bien la finalité que la finitude des cartes.