Une nouvelle façon de prédire les événements météo extrêmes

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  • Une nouvelle façon de prédire les événements météo extrêmes

    http://www.lemonde.fr/sciences/article/2018/01/11/une-nouvelle-facon-de-predire-les-evenements-meteo-extremes_5240427_1650684.

    Une équipe lyonnaise a mis au point un modèle prometteur pour évaluer les probabilités de survenue de phénomènes rares.

    Les assureurs vont être ­contents. Une méthode mathématique devrait leur permettre d’évaluer les probabilités d’occurrence d’événements météorologiques extrêmes mais, par nature, rares. Et qui coûtent très cher, comme l’ont montré les canicules de l’été 2003 en France ou les passages dévastateurs ­successifs, fin août 2017, des ouragans Harvey et Irma dans l’océan Atlantique.

    Pour estimer les risques et calculer les montants des polices d’assurance, il est nécessaire d’avoir de bonnes estimations du pire à venir. Jusque-là, il n’y avait que deux méthodes, chacune avec leur défaut.

    On peut utiliser les données du passé pour recenser les fortes ­chaleurs, les tempêtes, les pluies diluviennes… Mais souvent, on ne dispose pas de données précises sur plus d’un siècle, ce qui offre un recul insuffisant pour estimer une probabilité sur des cas extrêmes.

    L’autre méthode est de simuler numériquement l’évolution du climat sur plusieurs années dans le futur et de compter combien de fois ces événements extrêmes ont lieu dans ces avenirs numériques. Le défaut est ici que ce genre de calculs est coûteux en temps et qu’il est donc limité pour les périodes dépassant le siècle. Ce qui peut « tromper » les estimations sur les « temps de retour ».

    D’où l’intérêt de la méthode présentée dans les PNAS ,le 20 décembre 2017, par Francesco Ragone, ­Jeroen Wouters et Freddy Bouchet de l’ENS Lyon.

    Ces chercheurs ont évalué les temps de retour de vagues de chaleur d’au moins 90 jours dépassant les normales saisonnières, en étant cent à mille fois plus ­efficaces que les simulations. Autrement dit en réduisant d’autant les temps de calcul. « Cette amélioration permet d’envisager des études impossibles ­jusqu’à présent », indique Freddy Bouchet, directeur de recherche au CNRS, à l’origine du projet. « C’est un progrès technique avec beaucoup de promesses », estime Pascal Yiou, du CEA, qui espère collaborer avec ses collègues lyonnais pour un futur projet.

    Inspiré de la génétique

    L’idée est astucieuse et a été développée depuis une dizaine d’années par des mathématiciens pour des domaines où apparaissent des « cygnes noirs », comme des réactions chimiques, des ­effets magnétiques… « C’est la première fois que c’est appliqué au ­climat », souligne Freddy Bouchet.

    La philosophie s’inspire de la ­sélection génétique. Un modèle climatique est utilisé pour simuler plusieurs évolutions de l’atmosphère, dont un grand nombre, par définition, ne présenteront pas de « dérapages » (forte tempête, chaleur…). Les chercheurs « sélectionnent » parmi les trajectoires celles qui ont le plus de chance de conduire à un extrême. Puis ils recommencent la simulation, pour de nouveau conserver les trajectoires déviantes. Et relancer à nouveau… Bien entendu, ce processus de sélection respecte des contraintes statistiques globales afin de ne pas exagérer la ­probabilité des événements rares.

    Et ça marche. Pour le vérifier, les chercheurs ont comparé leurs ­résultats avec ceux tirés de simulations sur presque mille ans et constaté le bon accord. Mais eux peuvent ensuite pousser leur estimation jusqu’à un million d’années. Ils ont aussi remarqué des corrélations géographiques cohérentes : si des fortes chaleurs s’abattent sur l’Europe, alors l’Amérique du Nord sera aussi touchée. Et la Russie sera frigorifiée.

    Précision à améliorer

    L’une des limites du modèle est cependant qu’à chaque type d’extrême, il faut développer un nouvel algorithme nécessitant de bien saisir le phénomène en jeu. « Ce n’est pas facile. Il faut comprendre le modèle climatique utilisé, savoir comment sélectionner les trajec­toires… », note Freddy Bouchet, qui envisage de tester maintenant la méthode sur les cyclones.

    Une autre limite est que le calcul a été fait à partir de modèles ­climatiques réputés, mais connus pour être moins précis que les meilleurs utilisés, notamment dans les évaluations du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Les probabilités de retour trouvées ne sont donc pour l’instant pas utilisables par les assureurs.

    « C’est une preuve de concept et nous allons collaborer avec des spécialistes de ces meilleurs ­modèles pour améliorer la précision », précise Freddy Bouchet, dont le travail a été financé par le fonds pour la recherche de l’assureur Axa.