• La charge des boutiquiers !

    Après plusieurs jours assez tumultueux d’acharnement médiatique et de pressions démesurées, posons nous la question : pourquoi tant de virulence concernant le départ de journalistes et de quelques socios renommés du Média qui avaient signé le manifeste pour un média citoyen ?

    L’être humain sait très bien construire des justifications après coup quand ce qui déclenche le ramdam est insignifiant. Mais que s’est-il passé exactement ? Tout d’abord, on assiste au départ d’une journaliste, suite à la fin d’une période d’essai non concluante. Ensuite, un autre journaliste opte pour une position de précaution face à la difficulté de vérifier la source des images venant de la zone du Ghouta. Pourtant, l’Histoire nous a appris qu’en situation de conflits, les images sont aussi un vecteur de manipulation des opinions pour justifier tel ou tel engagement guerrier.

    Que nous révèle cette période en prenant un peu de hauteur ? Interrogeons nous sur ce que j’appellerais la charge des boutiquiers.

    Au delà des projections de chacun sur ce que devait être Le Média, qui, ce nouveau venu dans le paysage médiatique dérange-t-il autant ? Et pourquoi ?

    Un milieu journalistique « bien pensant » qui ne supporte pas cet autre regard sur l’actualité car il leur renvoie leur propre subjectivité dans leur couverture de l’information ?
    Un milieu politique inquiet de voir une brèche, dans leur storytelling, dans une communication orientée en leur faveur ; que sais-je encore ?

    Dans cette société du tout compétition, où la lutte des places est exacerbée puisqu’il n’y en a pas assez pour chacun.e, les médias n’échappent pas à cette condition. Comme l’information est sujet politique, chacun.e y va de la défense ou de la promotion de son pré-carré en fonction des pouvoirs en place. De cet assujettissement, s’en suit un conformisme aux intérêts des dirigeants des grandes entreprises de presse qui les emploient pour se maintenir en place. Cela se traduit fréquemment par des méthodes journalistiques bien basses pour provoquer l’audience et la réaction émotionnelle.

    Grâce à son indépendance financière, l’arrivée du Média ne s’inscrit pas dans cette conformité ambiante. Il ne faut pas s’étonner qu’en s’attaquant à la « grande messe du 20 Heures », ils provoquent des commentaires qui dénotent d’un manque de tolérance à un traitement différent de l’information. En permettant l’expression d’une parole critique aux politiques sociales, environnementales, économiques, internationales et en donnant la parole à des personnes qui n’ont plus ou pas l’accès aux chaînes de radio-télévision, aux tribunes dans la presse, la différence avec les autres médias est criante. C’est vrai qu’entendre autant de voix critiques ou dissonantes dans les "journaux de 20 H dominants" n’est pas légion. Sans doute, certaines chaînes privilégient d’autres approches pour distraire plutôt que cultiver. Je crois que nous pouvons féliciter Le Média d’avoir pris le chemin inverse.

    Mais, derrière cette profusion de réactions épidermiques, ne ressentons nous pas ici autre chose, comme la peur d’une classe politique et des puissances économiques qui possèdent les grands médias ? Tout ce qui démontrerait que la logique comptable actuelle des projets « libéraux » produit un déficit humain, environnemental et à terme financier, inquiète. Rendre visible cela, c’est mettre en question le pouvoir, la position dominante ou installée d’une oligarchie.

    Nous avons certainement ici la raison pour laquelle celles et ceux qui s’emploient à éclairer les citoyens sont renvoyés au sempiternel manœuvre d’étiquetage politique de toute part. C’est d’ailleurs ce que recherchent tous ces boutiquiers médiatiques qui n’ont pas hésité à le faire avant même son démarrage. En le qualifiant de média insoumis, c’est vouloir l’enfermer, au regard de l’opinion, dans une vision politicienne (ce scénario est en place et va continuer) alors qu’il se définit autour de valeurs.

    Cependant, se déclarer un média engagé dans des causes écologiques, féministes, humanistes est une preuve d’honnêteté qui devrait inspirer celles et ceux qui critiquent cette initiative dans le champ médiatique audiovisuel d’aujourd’hui. Au lieu de cela, certains.es ont beau jeu de se réclamer d’une neutralité qui n’existe pas dans le traitement de l’information. Il s’arroge une objectivité tout en laissant paraître leur orientation sur ce qui serait bien ou ce qui serait mal de penser.

    Y a-t-il des insoumis dans l’équipe du Média ? Il serait difficile de dire le contraire. Mais, en faire l’exclusivité n’est pas juste au regard des personnalités invitées à l’antenne et de la diversité des socios. Dans un contexte de dislocation des partis politiques traditionnels, singulièrement, il ne serait pas étonnant non plus qu’une certaine « gauche socialiste » participe, de concert avec la droite, pour tenter d’isoler une webtélé trop critique à leur goût envers « cette pensée unique du libéralisme ». Tout ce petit monde et ce microcosme « HS » (Hors Sol) se retrouvent unis dans les lieux d’influence, cherchant à défendre leur « boutique de pensée », faisant croire qu’ils ne font pas partis d’une même chaîne de boutiques franchisées.

    Une autre famille médiatique de gauche (dont j’ai pu à une époque m’identifier à leurs analyses), préfère voir l’arrivée de ce nouveau média audiovisuel comme un concurrent, plutôt que rechercher des complémentarités et des coopérations. Elle profite de la situation actuelle pour salir Le Média avec une argumentation digne d’un procès politique ; ce qui révèle bien des choses. Au lieu de prendre de la distance, elle s’inscrit pleinement dans cette querelle de boutiquiers. Elle privilégie le marché d’un lectorat qu’elle voudrait captif plutôt que l’information. Ne serait-ce pas également un signe de fragilité idéologique et d’un conservatisme au regard des enjeux de société ? Quelle déception !

    Pourtant, Le Média n’est pas un mouvement politique. Il présente des témoignages, il confronte des points de vue et propose l’analyse de questions de société en les mettant en débats. Au regard du journal et des émissions, nous l’avons constaté sur sa toute petite période d’existence. Permettre de mieux comprendre le monde, cette globalisation « libérale », me paraît être la démarche sensée du Média pour penser des réponses à ce qui s’annonce ?

    Le climat se réchauffe. La sixième extinction de masse des animaux s’accélère. L’humanité épuise les ressources naturelles. La concentration de richesse mondiale atteint des proportions dangereuses. Les dépenses militaires continuent d’augmenter au niveau mondial etc., autant de sujets qui, je ne doute pas, feront l’objet d’émission un jour. Face à ces enjeux pour les habitants de la planète, combien de leaders d’opinions politiques, médiatiques, économiques nous endorment avec leur novlangue « néolibérale » ? Et de fait, notre intégration consciente ou inconsciente de leur mode de pensée ou notre résignation font de nous des complices.

    Dans ce combat culturel, le courage devient, une des qualités supplémentaires des journalistes existants et futurs du Média et ils peuvent compter sur des abonnés en augmentation pour les soutenir. La charge des boutiquiers en sera pour ses frais.

    #LeMédia #combat_culturel

    https://www.lemediatv.fr/articles/la-charge-des-boutiquiers-article-modifie-et-augmente

    • #AsilePolitiquePourNoël par Gérard Miller :D !

      Ainsi l’émoi médiatique soulevé par le départ d’Aude Rossigneux n’était que l’arbre qui cache la forêt. Naïfs journalistes du Figaro ou de BFM qui pensiez avoir affaire à des insoumis ! Grâce aux révélations de Noël Mamère et à son exfiltration audacieuse de Montreuil, la vérité éclate : le Média citoyen n’était qu’un repaire de rouges, le couteau entre les dents, avec à sa tête rien de moins qu’un « comité des soviets ». Fier de l’amitié que m’a toujours portée Noël, je tiens à saluer publiquement son courage.

      Certes, c’est avec quelques mois de retard qu’il a décidé de fêter le centenaire de la révolution bolchévique, mais j’imagine ce qu’il a dû subir, émission après émission, en se retrouvant plongé dans les heures les plus sombres de la Guerre froide qui opposa les Etats-Unis à l’URSS. Qu’on ne compte donc pas sur moi pour dénoncer le « transfuge » qu’il est aujourd’hui sous le fallacieux prétexte qu’après avoir signé à ma demande le Manifeste du Média, il m’a en revanche lui-même contacté pour participer audit Média, comme en témoigne l’un des messages (parmi quelques autres) que j’ai reçus de lui. Comme le célèbre Viktor Andreïevitch Kravtchenko , auteur de I chose freedom, livre publié à New York en 1946, Noël Andreïevitch Mamère a choisi la liberté.

      Je le dis clairement : le gouvernement d’Edouard Philippe s’honorerait en accordant à Noël l’asile politique et je lance à l’instant même l’hashtag #AsilePolitiquePourNoël. Ayant moi-même parlé de nombreuses fois avec lui ces deux dernières semaines, et encore une heure avant qu’il ne franchisse le mur de Berlin, j’imagine les pressions qu’il a subies pour m’écrire ou me dire sur tous les tons qu’il avait été toujours libre au Média, qu’il avait choisi comme il l’entendait ses thèmes et ses invités, et qu’il gardait toute sa sympathie à une équipe qui lui avait ainsi laissé carte blanche.

      Je connais trop les méthodes des bolcheviks pour ne pas anticiper les railleries que Noël va subir. Certains diront par exemple que le jour même où il faisait sa déclaration bouleversante à Quotidien, il prenait la parole, quelques instants plus tard, à une réunion publique... de la France insoumise, rue Marcadet à Paris, et se faisait photographie, « en homme libre », devant le soviet du 18ème arrondissement. Moi, tout au contraire, j’admire cette duplicité salutaire, qui lui permet d’infiltrer l’ennemi pour mieux le dénoncer ensuite.

      J’apporte donc ici tout mon soutien à Noël Mamère. C’est vrai qu’il dit une chose et son contraire, mais c’est simplement parce qu’il est l’un des dirigeants du mouvement Générations et qu’il lui est plus utile de se contredire que de se répéter. Je l’affirme donc : Noël n’a qu’une parole et elle lui est précieuse. C’est pourquoi, quand il la donne, il la reprend.

  • Slovakian journalism’s darkest day – POLITICO
    https://www.politico.eu/article/jan-kuciak-gorilla-slovakia-journalist-dead-darkest-day

    Even during the turbulent and lawless decade that followed the end of communism in 1989, no reporter was ever killed in Slovakia. Beaten and threatened, yes — on multiple occasions. But never executed with a single bullet to the heart or head, as befell Slovak journalist Ján Kuciak and his fiancée Martina Kušnírova in their home late last week.

    Ján, 27, was a talented investigative journalist whose focus was politically-related fraud. We first came into contact in 2012, as he was finishing his bachelor’s degree in journalism at a university in Nitra, about an hour from Bratislava. I had just been fired from my job with a business weekly and was being very publicly sued for my reporting on the Gorilla file, a high-level #corruption story dating back to 2006.
    […]
    In the past year our roles reversed: I moved to Canada, and it was he who made crucial progress on another story we had both independently been pursuing, the fraudulent payment of EU transfer funds to Italian nationals resident in Slovakia and with alleged ties to the ‘Ndrangheta, the organized crime group from Calabria.
    […]
    As every journalist knows, the most dangerous part of the job always arrives just before publication, when the subject of your exposé knows you are working on him and has a brief window of time to avoid being accused by name. No one knows, at this moment, if this calculation was in fact behind Ján and Martina’s murder. But Slovak organized crime has never killed reporters, even in the bad old days. Whereas Italy’s mafia gangs have shown no such compunctions.

    Slovak police chief Tibor Gašpar has said Ján’s murder is probably related to his work.

    #Slovaquie #Ndrangheta

    • Ils en parlent ici aussi : https://humanite.fr/slovaquie-un-journaliste-dinvestigation-abattu-son-domicile-651114

      Jan Kuciak, journaliste de 27 ans, a été abattu dans sa maison, à Velka Maca, en Slovaquie. Sa compagne, Martina Kusnirova, a également été tuée. Notre confrère travaillait pour le média en ligne Aktuality.sk, où il suivait de près les affaires importantes qui concernaient la fraude fiscale. En septembre, Jan Kuciak avait déposé plainte contre un homme d’affaires sur lequel il enquêtait, Marian Kocner, qui l’aurait menacé. « Cela fait quarante-quatre jours que j’ai porté plainte contre MK pour menaces. Et pourtant, mon cas n’a probablement jamais encore été examiné », s’était plaint cet automne le reporter. « Si la mort du journaliste était liée à son travail, il s’agirait d’une attaque sans précédent contre la liberté de la presse et la démocratie », a réagi hier le premier ministre slovaque Robert Fico. C’est le deuxième journaliste tué dans l’Union européenne en moins d’un an. En octobre, la blogueuse Daphne Caruana Galizia, qui enquêtait sur des affaires de corruption dans son pays, Malte, avait été assassinée. G.D.S.
      Gaël De Santis

    • Il s’appelait Ján Kuciak, et il avait 27 ans. Journaliste travaillant pour le site Aktuality .sk, il a été abattu ce week-end – et sa compagne aussi – de plusieurs balles.

      L’événement s’est déroulé à Veľká Mača, à 50 kilomètres de Bratislava, la capitale de la Slovaquie. La disparition du journaliste d’investigation a été confirmée par le ministère de l’intérieur au journal Dennik N, lundi 26 février au matin. « Ján Kuciak s’était spécialisé dans les enquêtes portant sur des affaires de fraude fiscale à grande échelle. Son dernier article portait d’ailleurs sur les activités de Marián Kočner, un entrepreneur slovaque controversé en raison de ses liens avec plusieurs responsables politiques », indique Reporters sans frontières, qui exhorte les autorités du pays à faire « toute la lumière sur cette affaire ».

      « C’est la cinquième fois en dix ans qu’un journaliste est assassiné dans l’Union européenne. Le meurtre de Ján Kuciak survient après celui de la journaliste d’investigation et blogueuse maltaise Daphne Caruana Galizia le 16 octobre 2017, le massacre des sept journalistes de Charlie Hebdo le 7 janvier 2015 à Paris, l’assassinat du journaliste grec Socratis Guiolias, abattu à l’arme automatique devant son domicile en 2010 et celui du Croate Ivo Pukanic, tué dans l’explosion de sa voiture devant les bureaux de son journal en 2008 », précise l’organisation de défense des journalistes.

      Théophile Kouamouo

      https://www.lemediatv.fr/articles/un-journaliste-d-investigation-tue-en-slovaquie-rsf-reagit

      #Liberté_de_la_presse

  • Le pervers narcissique : tentative de déconstruction clinique d’une figure archétypale bien contemporaine par Benoist RÉVEILLÉ
    https://www.lemediatv.fr/articles/le-pervers-narcissique-tentative-de-deconstruction-clinique-d-une-figure-a

    Le pervers narcissique est partout : il a envahi nos écrans, notre imaginaire, et son évocation s’est banalisée dans la vie de tous les jours. Il est désormais cité à chaque fois que surgit un nouveau rapport de force - principalement dans le couple ou au travail. Entretien avec Vincent Rousseau, Psychologue clinicien à Nantes, autour d’une figure devenue incontournable. Plongée entre les différentes réalités du vécu, au travers des récits tirés du cabinet, autour de la construction d’une légende urbaine contemporaine.

    Son arme principale est le langage. Il va utiliser par exemple la communication paradoxale, dont l’exemple le plus connu est l’injonction paradoxale : un énoncé logiquement paradoxal et contraignant qui ordonne à l’autre un choix impossible à faire. Une autre forme de communication qui sera utilisée est la disqualification : un jugement sera porté sur les perceptions, sensations et pensées du sujet et toutes les activités du moi ordinairement non conflictuelles de l’autre vont êtres disqualifiées, pas reconnues, et vont devenir conflictuelles. Ce que l’on peut dire, c’est que le pervers narcissique a son langage propre, et généralement anti-communicationnel. C’est ainsi que Racamier définissait ce qu’il appelait les « manoeuvres perverses narcissiques confusiogènes » : « Faites ce que je dis mais pas ce que je fais, et surtout puissiez-vous ne rien comprendre à ce que je vous raconte, de manière à ce que quoi que vous pensiez, quoi que vous disiez ou quoi que vous fassiez, je puisse toujours avoir raison ». C’est la relation d’emprise absolue : avec ce langage, l’autre va être poussé à agir et faire des erreurs qui vont ensuite lui être reproché et qui vont aussi pouvoir aboutir à une inversion des rôles : ledit pervers narcissique pourra alors se considérer comme une victime. On reconnaît d’ailleurs ici l’étymologie du mot perversion : “mettre sens dessus - dessous”.

    Et qu’en est-il dans le couple ?

    Dans un couple normal, il y a la nécessité de se déprendre d’une part de narcissisme pour s’éprendre : il y a une perte narcissique qui est mise du côté de l’autre et il y a un retour narcissique dans l’amour, dans le regard que nous porte l’autre. Ce qui se passe dans une relation perverse narcissique - et qui crée une dissymétrie dans la relation - c’est que le pervers narcissique ne lâche rien, il ne se déprend pas, il ne peut donc pas s’éprendre et tout sera centré autour de son propre narcissisme. Le pervers narcissique prend sans donner, tandis que l’autre donne sans recevoir. Il devient l’idéal du moi pour ladite victime, qui de son côté est prête à véritablement se sacrifier pour lui.

    Ce qui soude le couple pervers narcissique c’est la toute-puissance : tous les deux viennent recouvrir un vide narcissique profond par le biais d’un registre oral commun. Au début il y a séduction, idéalisation de l’autre, la personne est placée sur un piédestal, c’est l’élu(e) - il y a de l’enviable chez l’autre - et finalement ça camoufle les processus pervers narcissiques. Petit à petit il y a une dégradation, c’est la dimension envieuse qui prend le dessus. Dans l’amour il y a toujours de l’idéalisation, mais ici la chute est d’autant plus violente, car dès que ce vernis de l’amour idéal va s’effriter, le pervers narcissique ne va plus supporter son propre conflit psychique, son conflit envieux, et à partir de là il va faire porter le chapeau à l’autre et mettre en place des stratégies manipulatoires qui passent principalement par la parole.

    La cristallisation du couple pervers narcissique autour de l’envie d’un côté et du sacrifice de l’autre est en général très forte : il y a une relation de dépendance qui touche à un désir de toute-puissance des deux partenaires finalement. Mais ça n’est pas sans une mise en danger narcissique, et par ailleurs la destruction du partenaire entraîne des dépressions très typiques comme par exemple la perte complète d’autonomie, une dévaluation absolue ou une incapacité à penser correctement...

    #pervers_narcissique #psychologie #psychanalyse #souffrance_au_travail

  • De quoi l’expression « en même temps » est-elle le symptôme ? par Roland Gori
    https://www.lemediatv.fr/articles/de-quoi-l-expression-en-meme-temps-est-elle-le-symptome

    Comment préserver l’autorité de l’Etat et « en même temps » externaliser ses missions en les abandonnant à la spéculation financière ? Comment « en même temps » placer la République sous l’enseigne de la « fraternité » et évoquer ces « gens qui réussissent et ceux qui ne sont rien » ? Comment concilier Ricoeur et le CAC 40 ? Le psychanalyste Roland Gori explore brillamment pour « Le Média » les paradoxes et les impostures d’une expression devenue la marque Macron...

    Le « en même temps », riche d’un potentiel symbolique, n’exprime plus la contradiction, la dialectique, le dialogue, l’invention du politique, le pouvoir sacré et symbolique, mais se réduit à la portion congrue du spectacle, de l’illusion brillante et habile. Reconnaissons-lui ce talent qui aveugle le peuple sur la férocité des pratiques néo-libérales mise en œuvre. La « fraternité » à laquelle conviaient les vœux présidentiels, et dont Bergson disait qu’elle était la valeur citoyenne qui réconciliait ces « sœurs ennemies » que sont l’égalité et la liberté, cède la place à l’ontologie entrepreneuriale présidentielle : l’humain ne vaut que par ce qu’il fait et rapporte. L’appel à la fraternité est épidictique, ornement d’une pratique néolibérale férocement assumée.

    Un seul exemple récent : l’école. Le ministre en charge des petits Français est un universitaire brillant, au parcours exemplaire, désireux d’apparaitre comme un des nouveaux héritiers de la tradition des érudits humanistes dont la France s’est montrée éplorée et orpheline. Jean-Michel Blanquer déclare se référer à « l’esprit Montessori », en appelle à « la créativité, la diversité des expériences », et « en même temps » nomme un Conseil scientifique de l’Education Nationale « endogamique », désireux d’éclairer les managers des écoles maternelles et primaires par la science positive.

    Voilà un ministre qui a compris la signification d’« en même temps », puisque « en même temps » qu’il prononce un discours rassurant, humaniste et pluraliste, il nomme un Conseil Scientifique de l’Education Nationale à la tête duquel il place Stanislas Dehaene, éminent professeur de psychologie cognitive expérimentale au Collège de France, entouré d’une « brochette » de positivistes assumés. Pour le pluralisme, on repassera. Point de professionnels de terrain, de cliniciens, de sociologues critiques, d’historiens de l’éducation, de chercheurs critiques en sciences de l’éducation… Non, que du beau monde, bien propre, objectif, neutre, prompt à la mesure et à l’imagerie fonctionnelle du cerveau qui feignent d’oublier que parfois « les experts se trompent plus que les chimpanzés »...

    #Macron #En_même_temps #Etat #Finance

  • L’inversion de la hierarchie des news

    Comment ne jamais parler du fond ? La société médiatique dispose pour cela de quelques armes redoutables. L’écrivain Laurent Binet, auteur d’ HHhH , nous en livre ici les secrets.

    L’information est une guerre, et si l’on considère l’exploit d’avoir fait élire un banquier semi-royaliste à la présidence française dans un monde post-2008, on peut en tout état de cause constater que la poignée de milliardaires qui contrôlent la quasi-totalité des médias continue à la gagner.

    Certes, l’avènement d’Internet a un peu changé la donne. Il semble plus difficile à une info, quelle qu’elle soit, de ne pas sortir (même si par définition, l’existence d’une info demeurée inédite reste invérifiable). Mais le bouillonnement de la toile, son joyeux désordre, son pêle-mêle organique évoquent des hordes barbares se heurtant à l’extrême coordination des légions romaines. Le déclin de l’Empire est sans doute amorcé, mais ses outils de propagande restent une machine sur laquelle se fracassent encore des guerriers dépenaillés.

    Internet, combien de divisions ? La supériorité de l’adversaire, c’est toujours un peu l’argent, bien sûr, mais, face à la multiplication anarchique des sources et des canaux de diffusion, c’est surtout la méthode. Si désormais on peut difficilement contrôler le flux des infos qui sortent, on peut encore agir sur un aspect décisif : la hiérarchisation.

    Dans le traitement tendancieux de l’info par la presse mainstream (hier on disait « la presse bourgeoise » et le terme était sans doute plus juste, mais ce n’est pas la moindre des victoires de la réaction d’avoir ringardisé la vérité), on peut dégager trois grands cas de figures.

    Premièrement, un événement qui fait la une nécessite une interprétation biaisée, sans quoi le système en vigueur s’expose un peu trop sans masque. Exemple : la crise grecque. Comme il était difficile de minorer l’ampleur d’une telle crise, et un peu gênant d’avoir à justifier la violence coercitive qu’a infligé l’Union Européenne (sous l’impulsion de l’Allemagne, symbole toujours fâcheux) à l’égard d’un gouvernement grec démocratiquement élu (à qui on aura quand même fermé ses banques pour le faire plier, c’est-à-dire qu’on était prêt à faire crever tout un pays pour sauver le système), on s’est employé à tellement en embrouiller les causes que les responsables désignés se sont retrouvés être, non plus des banques que la cupidité poussait à pratiquer des taux d’usurier toujours plus délirants, mais des petits retraités dont il fallait impérativement diminuer les pensions pour que la dette (la dette, Sganarelle !) puisse être remboursée. Goldman Sachs pouvait ainsi tranquillement continuer sa route (et embaucher Barroso au passage, excusez du peu), pendant qu’on vouait les pouilleux grecs à une damnation éternelle.

    C’est la méthode dite du « Salaud de pauvre », qui a fait ses preuves, et qui peut se décliner sous de multiples variantes. (Elle peut utilement être complétée par la technique du « Cause toujours » quand on lui objecte des arguments imparables, tel celui de la dette de l’Allemagne abolie en 1953.)

    Cette méthode implique des présupposés totalement arbitraires présentés ad nauseam comme allant de soi. Ici, en l’occurrence, que le bon droit et la morale sont toujours du côté du créancier, jamais du débiteur, et que toute dette doit être remboursée, quoi qu’il en coûte, sans quoi c’est toute l’économie mondiale, et avec elle toutes les valeurs morales, qui risquent de s’effondrer. C’est la méthode dite du « Salaud de pauvre », qui a fait ses preuves, et qui peut se décliner sous de multiples variantes. (Elle peut utilement être complétée par la technique du « Cause toujours » quand on lui objecte des arguments imparables, tel celui de la dette de l’Allemagne abolie en 1953.)

    Deuxièmement, un événement qui pourrait faire la une est tout juste mentionné dans quelques brèves. Exemple : la semaine dernière, des mouvements de grève ont éclaté dans toute l’Allemagne pour réclamer, non pas les 35h (ils y sont déjà, ah tiens ?), mais les… 28h. Une telle info échappe tellement au cadre discursif mis en place par nos troupes d’éditorialistes (les Allemands travaillent alors que les Français ne foutent rien et c’est pour ça qu’ils s’en sortent et pas nous) que le mieux est de l’ignorer purement et simplement : on la pose là, on ne la commente pas, on ne la discute même pas, on attend qu’elle passe. C’est la méthode OSEF.

    Troisièmement, un non-événement fait la une. C’est le corollaire et l’exact inverse du point précédent : on nous vend quelque chose de totalement anecdotique et futile comme quelque chose d’historique. Exemple : la COP21. Des pays se mettent d’accord pour limiter le réchauffement climatique à deux degrés (ou un degré et demi, de toute façon le chiffre n’a aucune importance puisqu’il n’induit aucune mesure concrète), c’est totalement incantatoire, absolument pas contraignant, aucune entreprise polluante n’est spécifiquement visée, menacée, concernée, ils auraient pu aussi bien proclamer la paix dans le monde ou la fin du cancer avec la même candeur et la même crédibilité, mais c’est présenté comme une incroyable victoire diplomatique qui va permettre de sauver la planète. Ce type d’info peut faire des semaines. Elle a le mérite, pendant ce temps, de ne pas parler d’autre chose. Appelons-la « méthode Lady Di » pour faire court.

    Contrairement au gouvernement actuel, je ne crois pas qu’il soit possible de légiférer contre les fake news sans porter gravement atteinte à la liberté d’expression. Des milliardaires ont le droit de faire raconter n’importe quoi dans leurs médias pour préserver les intérêts du capital. Salauds de pauvres, OSEF ou Lady Di : à charge pour nous de déconstruire sans relâche leurs méthodes, et pour les médias alternatifs de proposer systématiquement l’inverse, s’ils veulent devenir ce qu’ils ont vocation à être, le contre-pouvoir du quatrième pouvoir.

    https://www.lemediatv.fr/node/460

    #guerre_de_l'info #contre-pouvoir #Laurent_Binet #Tribune #critique_des_médias