En Mayenne, depuis l’arrêt de l’activité de l’usine où ont été retrouvées des traces de salmonelles, 250 personnes ont été placées au chômage technique. L’inquiétude et l’agacement sont palpables.
A Craon, petite ville de la Mayenne où coule l’Oudon, et où se dresse un orgueilleux château du XVIIIe, le ciel est lourd et l’inquiétude dans toutes les têtes depuis l’arrêt de l’activité de l’usine Lactalis, où ont été retrouvées des traces de salmonelles. Avec 250 personnes placées au chômage technique sur un effectif de 327 employés affectés à la production de poudre de lait, la grande question demeure la durée de cette période d’inactivité.
« Tout le monde est très inquiet car tout le monde connaît des gens qui travaillent à l’usine, souligne Régine, 56 ans, venue faire son marché sur une place de la ville. Personnellement, j’y ai des amis qui travaillent avec leur fils et je n’ose même pas les appeler. La Mayenne est un département rural où on a besoin de ces emplois. »
Tirant son chariot devant les étals débordant de clémentines et de salades vertes, Régine salue en outre la « conscience professionnelle » et le sérieux des employés de Lactalis, et ne comprend pas ce qui a pu se passer pour provoquer la contamination. Mariée à un inséminateur qui fait régulièrement le tour des élevages de la région, elle ne cache pas en revanche son ressentiment vis-à-vis du géant laitier : « Est-ce qu’il ne va pas en profiter encore pour baisser le prix du lait ? Début janvier, alors que toutes les laiteries augmentaient leurs prix, Lactalis baissait le sien. Ils n’en ont rien à faire des éleveurs, ni de la laiterie ! » Une manifestation d’éleveurs devant l’usine est d’ores et déjà annoncée pour vendredi.
« On en a marre des journalistes »
Devant la petite camionnette d’où s’échappent les effluves parfumés de galettes de sarrasin, le sentiment d’inquiétude est tout aussi prégnant. Mais se double aussi d’exaspération, voire de franche colère face aux feux médiatiques dont fait l’objet la commune.
« Vous fouillez la merde et vous ne faites qu’en rajouter ! » s’emporte une dame engoncée dans son anorak à l’adresse des journalistes qui défilent ces derniers jours dans la petite ville de 4 500 habitants, dont le maire, comme les employés de Lactalis, déclinent toute déclaration. « Je suis productrice de lait et au finale, c’est encore les éleveurs qui vont morfler », ajoute-t-elle, même si pour l’heure, le lait des producteurs qui fournissaient l’usine de Craon est livré sur d’autres sites.
« Pourquoi on ne parle pas de ce qui va bien à Craon ? » suggère de son côté un amateur de crêpes et de hippisme, qui cite le dernier vainqueur des championnats du monde de gentlemen riders, remporté à Doha par un natif de Saint-Quentin-des-Anges, une commune voisine. « On en a marre des journalistes qui viennent seulement ici pour démolir, reprend un grand gaillard, aux cheveux frisés comme seul rempart à la pluie. Allez voir à Monaco ce qui s’y passe et laissez-nous tranquilles ! »
Logique industrielle
Une dame de 52 ans, cheveux tirés en arrière et sourire entendu, qui dit connaître plusieurs employés de Lactalis, se montre plus conciliante. Et laisse entendre à demi-mot que l’hygiène dans l’usine de Craon où l’on produit en continu, jour et nuit, du lait infantile mais aussi du fromage, n’a pas toujours été irréprochable : « Ceux qui travaillent à l’usine savent bien qu’il y a déjà eu des petits problèmes. Il fallait bien un jour que ça éclate. »
Devant la rôtisserie, un bonnet de laine enfoncé sur le crâne, Vincent Guillet, ancien porte-parole de la Confédération paysanne, s’interroge de son côté sur une logique industrielle qui, a force de vouloir tout aseptiser au maximum, rend peut-être plus sensible l’être humain à la moindre bactérie. « Alors que dans les fromages, on a aussi des bactéries, des champignons », remarque-t-il, tout en approuvant les contrôles systématiques de la laiterie sur le lait tiré dans le tank de l’exploitation, comme à la sortie du camion-citerne. Eleveur de vaches laitières installé à Craon et produisant pour Lactalis, il déplore l’absence de syndicat au sein de l’usine : « A chaque fois que quelqu’un a voulu monter une section, il s’est fait viré. Et aujourd’hui, on envoie des gens travailler sur d’autres sites, sans personne pour discuter des conditions. »
« Manque de rigueur dans les contrôles »
Au bar-restaurant la Station, avec plat du jour et hors-d’œuvre à volonté, le son de cloche est un peu différent. Et on vitupère là aussi surtout contre « l’emballement » médiatique qui apparaît totalement démesuré face au problème de santé soulevé. « Il y a peut-être eu un manque de rigueur dans les contrôles, mais les conséquences ne sont pas si dramatiques, estime un client installé devant son expresso. On ne peut même pas dire combien il y a eu de cas avérés de salmonellose. Et des germes et des microbes, il y en a partout dans une maison. »
Il en est un qui fait l’unanimité en s’attirant des huées lorsqu’il apparaît sur la chaîne d’info en continu : le président de l’Association des victimes du lait contaminé, Quentin Guillemain. « Lui, c’est un vrai fouteur de merde ! » s’exclame un retraité moustachu.
Pierre-Henri Allain correspondant à Rennes
Cet article est totalement désespérant. Les gens interrogés en sont quasiment à reprocher aux instances de contrôles d’avoir repéré les bactéries. Tout ça pour préserver du travail ! On est vraiment dans un pays d’aliéné·e·s.