Jayro Bustamante, réalisateur d’“Ixcanul” : “La situation de la femme maya est celle d’un volcan qui s’éveille” - Cinéma

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  • Jayro Bustamante, réalisateur d’“Ixcanul” : “La situation de la femme maya est celle d’un volcan qui s’éveille” - Cinéma - Télérama.fr
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    Avec le très beau “Ixcanuul”, le jeune cinéaste Jayro Bustamante bouscule son pays, le Guatemala, en mettant en scène une héroïne inédite : une jeune femme maya d’aujourd’hui. Pour dénoncer son oppression.

    On reçoit votre film à la fois avec étonnement, émerveillement et inquiétude : vous nous entraînez dans l’inconnu, les images sont souvent superbes mais votre héroïne vit une épreuve terrible et il s’agit, on le comprend, de dénoncer une injustice. Quel aspect domine pour vous ?

    J’ai voulu que ce film montre la réalité d’une femme maya au Guatemala, un pays où le racisme et le machisme sont très forts. Quand vous êtes une femme indienne, célibataire et pauvre, vous avez quatre raisons d’avoir une vie très difficile. Je suis parti de ce constat et d’une histoire vraie qui a inspiré le personnage de Maria, l’héroïne de mon film. La vraie Maria a vécu des choses terribles, liées au trafic d’enfants. Jusqu’à 2008, le Guatemala était un des pays au monde où l’on exportait le plus de bébés. Il s’agissait d’adoptions « légales » et personne ne se demandait pourquoi on pouvait venir dans ce pays et repartir très vite avec un enfant. J’ai grandi moi-même avec la conscience que, quand on est enfant, on peut être kidnappé et qu’il faut avoir peur de cela et s’en méfier. Le but du film est de dénoncer une réalité faite de toutes ces choses liées, fondamentalement, à l’absence de respect pour la femme. Mais je ne suis pas le justicier du Guatemala. J’ai d’abord voulu raconter une histoire qui m’a touché. Ixcanul n’est pas un film ethnographique.

    Quand vous parlez des Mayas, on ne pense pas à des paysans dans la misère comme ceux que vous montrez dans votre film.

    C’est normal, tout le monde a toujours eu une image très belle des Mayas. Quand j’ai présenté mon film dans des lycées et des universités, au Guatemala, on m’a demandé si c’était une histoire du temps passé. Ixcanul parle bien des Mayas d’aujourd’hui, mais leur existence est à peine connue, tellement ils sont rejetés. Au Guatemala, les gens comme moi, les métis, s’appellent les ladinos. Ladino signifie « qui n’est pas maya ». C’est une classe à part, considérée comme supérieure justement parce qu’elle n’est pas maya, pas indienne. Et la pire insulte qui existe au Guatemala, c’est « Indio », Indien. Les statistiques officielles disent qu’il n’y a que 40 % de Mayas dans le pays mais la réalité est largement au-dessus des 60 %. Nous sommes le pays où il y a le plus de Mayas en Amérique latine. Mais parce que l’égalité n’existe pas entre métis et Mayas, quand on fait des recensement, les Mayas préfèrent dire qu’ils sont métis. Pour pouvoir trouver une place dans la société, ils perdent leur culture et adoptent celle de la classe dominante. Il ne s’agit pas pour moi de dire qu’il y a des bons et des méchants, mais de montrer l’énorme fossé qui sépare ces deux cultures. Et qui ne va se combler rapidement.

    Vous parlez d’une femme maya vivant l’exclusion, la soumission, mais les deux femmes de votre film, Maria et sa mère, ont beaucoup de caractère et même une vraie force...

    Les cultures machistes entraînent toujours la formation d’un matriarcat. Les femmes sont très fortes et elles ont beaucoup de pouvoir, mais à l’intérieur d’un espace très limité. Cette force des femmes est gaspillée dans la société guatémaltèque car on leur laisse très peu d’opportunités. Je fais, dans Ixcanul, un parallèle qu’on peut dire poétique entre le volcan et la femme. Pendant le tournage, le volcan près duquel nous avons tourné est entré en irruption et j’ai pu tourner de très belles images. Mais j’ai finalement décidé de ne pas les utiliser dans le film. Pour moi, la situation de la femme maya est celle d’un volcan qui s’éveille, qu’on sent trembler, mais qui n’est pas encore en activité. Les droits de l’Homme sont la dernière chose qui importe dans un pays comme le Guatemala. Et ceux de la femme maya arrivent encore après.

    Pas encore vu “Ixcanuul” mais j’espère le voire bientot.