« Black Mirror » ou l’ambiguïté du pire

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  • « Black Mirror » ou l’ambiguïté du pire.
    http://theconversation.com/black-mirror-ou-lambigu-te-du-pire-80027

    Dans cette hypothèse, bien adaptée aux traits souvent sadomasochistes (moralement) des scénarios de Black Mirror, l’acceptation du mal technologique ne serait pas inconscience mais perversité. Le voyeurisme de l’épisode S01E03 « Retour sur image/The Entire History of You », dans lequel chacun dispose d’un greffon (le « grain », derrière l’oreille) qui lui permet de revisualiser les scènes de son passé, est largement jouissif et fantasmatique, pour les personnages comme pour le spectateur.

    Ainsi, ce que démontre la série – loin du simplisme dystopique qui limiterait la réflexion – se rapporte à la 1re « Loi de Kranzberg » : une technologie n’est ni bonne, ni mauvaise, ni neutre. « Ni neutre » signifie que sa puissance impose une prise de conscience éthique, un projet qui prenne la mesure de cette puissance comme nouvelle donne, sans se limiter à la répétition des systèmes de valeur déjà installés. Relèvent de cette approche par exemple les armements nucléaires, l’Internet, l’intelligence artificielle, les technologies de transformation génétique, et bien d’autres.

    La philosophie contemporaine de la technologie montrant dans un premier temps que le pire n’est pas du tout inévitable, n’en déplaise au moralisme technophobe, une éthique contemporaine de la technologie peut explorer ensuite, à travers des fictions souvent, ce qui est inacceptable ou pas, et plus ambigu encore : ce qui est déjà tacitement accepté.

    Les 6 lois de Kranzberg sur la technologie
    https://siecledigital.fr/2017/12/04/6-lois-scientifiques-technologie-comprendre-ecosysteme
    by gabriel under codex informatica, développement durable, loi
    Voici ces lois, dont la plus célèbre est la première :

    La technologie n’est ni bonne ni mauvaise et elle n’est pas neutre.
    L’invention est la mère de la nécessité.
    La technologie vient par paquets, petits et grands.
    Même si la technologie pourrait bien être un élément primordial dans de nombreuses questions d’intérêt public, les facteurs non techniques l’emportent dans les décisions de politique technologique.
    Toute l’histoire est pertinente, mais l’histoire de la technologie est la plus pertinente.
    La technologie est une activité très humaine – et telle est donc l’histoire de la technologie.

  • « #Black_Mirror » ou l’ambiguïté du pire, par Michel Puech
    https://theconversation.com/black-mirror-ou-lambigu-te-du-pire-80027

    Chaque épisode semble en effet conduire à un avertissement moral simple et direct : abus du pouvoir des médias qui corrompent le politique (S01E01), totalitarisme des moyens de surveillance (épisode spécial Noël 2014), tyrannie mortifère des réseaux numériques (S03E01), cruauté des punitions que permet une technologie « neuronale » (S02E02), fabrication de combattants post-humains déshumanisés (S03E05), enfermement dans des vies numériques (S03E04), possibilités de chantage par le hacking de la vie numérique la plus intime (S03E03).

    Pourtant, les #technologies et les situations humaines évoquées par ces épisodes conservent une certaine attractivité, et même une relative acceptabilité, en particulier aux yeux des étudiants avec lesquels il m’arrive de réfléchir sur ces fictions. Il en va de même dans les autres pays du monde, me confirment mes collègues. Une partie des spectateurs, surtout les jeunes, ne sont pas réellement effrayés, ou plus exactement pas seulement effrayés. Ils comprennent la volonté de leçon morale mais ils n’en concluent pas nécessairement qu’il faut changer de trajectoire.

    Il est toujours intéressant de se demander pourquoi une tentative de leçon de morale échoue : je propose ici plusieurs hypothèses.

    (…) Imaginons que ce qui est supposé inacceptable par un scénariste « moralement correct » ne corresponde pas aux intuitions morales d’une nouvelle génération, notamment parce que les intuitions morales des nouvelles générations ne se focalisent pas sur les mêmes points, mais s’appuient sur une vision plus large qui tient compte des risques mais aussi des opportunités, donc sans préjugé technophobe.

    (…) En pensant aux diverses formes du ludique dans le numérique, parfois très sombres (« agressions » sur les réseaux sociaux portant sur la réputation, sur la confidentialité ou l’intégrité des données personnelles, cyberbullying ou harcèlement numérique, les formes perverses de pornographie…), on peut avouer qu’on éprouve devant certains épisodes un « plaisir ambigu du mal » (Schadenfreude pour les psys, lulz pour les geeks. Il correspond à une passion triste, suscitée par une puissance technologique qui fascine, y compris lorsqu’elle détruit l’intégrité humaine et le lien social.

    (…) Ainsi, ce que démontre la série – loin du simplisme dystopique qui limiterait la réflexion – se rapporte à la 1re « Loi de Kranzberg » : une technologie n’est ni bonne, ni mauvaise, ni neutre. « Ni neutre » signifie que sa puissance impose une prise de conscience éthique, un projet qui prenne la mesure de cette puissance comme nouvelle donne, sans se limiter à la répétition des systèmes de valeur déjà installés. Relèvent de cette approche par exemple les armements nucléaires, l’Internet, l’intelligence artificielle, les technologies de transformation génétique, et bien d’autres.

    La #philosophie contemporaine de la technologie montrant dans un premier temps que le pire n’est pas du tout inévitable, n’en déplaise au moralisme technophobe, une éthique contemporaine de la technologie peut explorer ensuite, à travers des fictions souvent, ce qui est inacceptable ou pas, et plus ambigu encore : ce qui est déjà tacitement accepté.

    #déterminisme #acceptabilité #critique_techno cc @mona @lucile