Refonder les relations entre auteurs et bibliothèques sur les droits culturels – – S.I.Lex –

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  • Refonder les relations entre auteurs et bibliothèques sur les droits culturels – – S.I.Lex –
    https://scinfolex.com/2018/01/21/refonder-les-relations-entre-auteurs-et-bibliotheques-sur-les-droits-cult

    Par Lionel Maurel

    L’élément qui a « cimenté » l’alliance entre les auteurs et les bibliothécaires, c’est la conscience partagée de l’importance des usages culturels en jeu au travers des lectures publiques gratuites. A contrario, les prétentions de la SCELF cherchant à les soumettre à une autorisation préalable et à une redevance ont paru violemment illégitimes, quand bien même cette société d’éditeurs pouvait se prévaloir d’avoir la légalité de son côté. C’est ce que traduit la pétition « Shérézade en colère » initiée par un collectif d’auteurs et de bibliothécaires, qui a recueilli plus de 30 000 signatures.

    Cette référence aux droits culturels est importante, car ceux-ci ont été reconnus par la loi NOTRe du 7 août 2015, ainsi que par la loi Création du 7 juillet 2016. Ils trouvent leur source au niveau international dans la Convention de l’Unesco de 2005 sur la la diversité des expressions culturelles, ainsi que dans des instruments comme la Déclaration de Fribourg de 2007.

    Si les bibliothécaires ont rapidement invoqué explicitement les droits culturels, ce sont pourtant les représentants des auteurs qui en ont le mieux traduit l’esprit dans les protestations adressées à la SCELF. En effet, les différentes organisations d’auteurs (SGDL, Charte, CPE, etc.) qui sont montées au créneau pour défendre les lectures publiques gratuites ont été très claires depuis le début sur le fait qu’elles ne demandaient pas à ce que le droit d’auteur soit mis à l’écart. Mais elles exigeaient néanmoins qu’il ne soit pas appliqué pour faire obstacle à l’exercice de pratiques culturelles qu’elles jugeaient essentielles. Il ne s’agissait pas de nier l’existence du droit d’auteur et de sa légitimité, mais de le concilier avec d’autres droits fondamentaux, comme le droit de participer à la vie culturelle dont la liberté des lectures en public est la condition.

    Or l’essence même des droits culturels – et ce qui fait toute leur force symbolique – consiste à affirmer le caractère indissociable des droits fondamentaux et le fait que nul ne peut utiliser un droit culturel pour empêcher autrui d’exercer le sien. Ce qui est apparu ici, c’est que les lectures publiques ne constituaient pas un droit des auteurs, ni un droit des bibliothèques, mais un droit indissociable appartenant de manière solidaire à l’ensemble de ces acteurs, au nom de valeurs partagées à défendre ensemble. Pouvoir lire des livres à des enfants sans autorisation à demander, ni redevance à verser ; pouvoir faire découvrir des auteurs en lisant leurs textes et éveiller le goût de la lecture ; pouvoir faire rayonner la diversité culturelle à travers la lecture à haute voix : voilà les principes fondamentaux qui étaient en jeu dans cette affaire et c’est sur la base de cette conscience partagée que l’alliance entre auteurs et bibliothécaires a pu se nouer.

    Pourrait-on obtenir un résultat identique par le biais d’une exception ? Rien n’est moins certain. On peut par exemple faire la comparaison avec l’exception pédagogique et de recherche, qui a été introduite en 2006 par la loi DADVSI. Les usages en question ne sont pas moins légitimes que les lectures publiques. Pourtant, l’exception pédagogique a été formulée d’une manière extrêmement complexe, qui la rend difficilement applicable en pratique, avec de nombreuses insuffisances et limitations. Par ailleurs, elle n’est pas gratuite et le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de l’Education Nationale doit verser plus de 2 millions d’euros par an à des sociétés de gestion collective en compensation du « préjudice » subi. Ce résultat bancal n’est pas un accident, mais le produit de « l’infériorisation structurelle » qui frappe les exceptions au droit d’auteur. En France, on considère qu’elles ne sont justement que des exceptions et pas de véritables droits, ce qui explique les « mutilations législatives » dont elles font l’objet. La plupart des nouvelles exceptions introduites depuis le début des années 2000 (exception conservation, exception pour la numérisation des oeuvres orphelines, liberté de panorama, Text et Data Mining) ont été affectées par ce problème, si bien qu’il n’en résulte souvent que des « trompe-l’oeil » législatifs, sans réelle portée sur les usages.

    Le cadre législatif applicable aux bibliothèques reste encore en 2018 profondément lacunaire, ce qui en fait une « institution-pirate » malgré elle… Certes, l’absence de réaction des ayants droit montre qu’il existe en réalité un consensus social assez large pour que ces activités continuent à s’exercer en dépit de leur illégalité. Mais cela revient à courir un risque de remise en cause brutale et l’affaire de la SCELF a montré que ces faiblesses peuvent d’avérer très dangereuses si des ayants droit sont décidés à aller jusqu’au bout, car ils ont alors avec eux la puissance du droit. Pour remédier à cette situation, on pourrait imaginer bâtir un système complet d’exceptions au droit d’auteur couvrant l’ensemble des activités en bibliothèque. C’est notamment ce que propose depuis plusieurs années l’IFLA (International Federation of Libraries Associations) dans le cadre de négociations engagées autour d’un traité à l’OMPI. Mais ce processus est pour l’instant enlisé dans une impasse politique qui risque encore de durer de nombreuses années, en raison de l’opposition des ayants droit.

    Chaque bibliothèque publique pourrait ainsi verser au titre de cette contribution une somme calculée sur la base du nombre d’usagers inscrits. Ces versements mutualisées pourraient ensuite servir à deux objectifs : verser une « rémunération socialisée » aux auteurs et renforcer leurs droits sociaux. Sur le premier point, un complément de rémunération pourrait ainsi être alloué aux auteurs individuels, qui viendrait s’ajouter à leurs droits d’auteur, en prenant comme clé de répartition les achat de supports effectués par les bibliothèques. Chaque année, la SOFIA publie ainsi un bilan des sommes qu’elle reverse aux auteurs au titre du droit de prêt et ce qu’elle montre, c’est que les achats des bibliothèques se répartissent sur un nombre de titres bien plus large que ceux achetés par les consommateurs sur le marché de la culture. C’est en cela que les bibliothèques sont des acteurs importants pour promouvoir la diversité culturelle à côté du marché, qui tend au contraire à concentrer l’essentiel des rémunérations sur un petit nombre d’oeuvres et d’auteurs (effet best sellers, hits, blockbusters, etc.). Voilà pourquoi il y aurait intérêt à ce qu’une partie de la contribution de solidarité des bibliothèques serve à financer un « revenu socialisé » pour les auteurs.

    Car le gouvernement est bien en train de plancher pour mettre en place, dès septembre 2018, son fameux « Passe Culture » issu des promesses de campagne du candidat Macron, sous la forme d’une aide de 500 euros versés chaque année aux jeunes de 18 ans pour financer leurs dépenses culturelles. Le montant de cette opération serait, d’après ce que l’on peut lire dans la presse, de l’ordre de 450 millions d’euros par an, une somme considérable que le gouvernement a pourtant bien l’air décidé à rassembler malgré l’état des déficits publics.

    Mais cette mesure du « Passe Culture » est à l’opposé de la vision des droits culturels, des solidarités actives et de la justice sociale que j’essaie de défendre dans ce billet. Car elle reviendra à effectuer chaque année des injections massives d’argent public directement dans le marché de la culture, qui continuera à répartir ces sommes selon la logique inégalitaire qui le caractérise, c’est-à-dire au bénéfice principal d’une toute petite minorité d’auteurs. Loin de contribuer à favoriser la diversité culturelle, ce dispositif ne peut que creuser encore les inégalités qui existent entre les artistes.

    Dans l’intérêt même de l’immense majorité des créateurs, il vaudrait donc mieux que ces financements aillent à des mécanismes de solidarité qui viendraient contrebalancer les effets négatifs du marché de la culture plutôt que de les alimenter encore…

    #SCELF #Droits_culturels #Lecture #Edition

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    Cette semaine aura donc vu la conclusion de la polémique qui durait depuis de longs mois autour de la taxation des lectures publiques gratuites. Affrontant depuis plusieurs semaines un tollé généralisé, la SCELF (Société Civile des Editeurs de Langue Française) a finalement annoncé dans un communiqué paru jeudi dernier qu’elle accordait une exonération valable 5 ans et renouvelable… Source : : : S.I.Lex : :