Les émeutes de 2005 vues comme une épidémie de grippe

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  • Les émeutes de 2005 vues comme une épidémie de grippe, Julia Pascual, LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | 22.01.2018
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    Modèles de la vague d’émeute de 2005 en fonction des départements. Les événements (en gris) et les courbes de prédiction mathématique (en rouge). Nature

    Il n’y a pas eu d’embrasement généralisé, mais une extension de la violence de proche en proche dans les banlieues pauvres.

    Les violences urbaines de 2005, qui ont secoué les banlieues françaises pendant trois semaines, se sont propagées sur le territoire comme une épidémie de grippe. C’est ce qu’est parvenue à identifier et modéliser une équipe pluridisciplinaire de sept chercheurs, réunissant des sociologues, des physiciens, des mathématiciens et un informaticien.

    Les résultats de leurs travaux ont été publiés le 8 janvier dans la revue Scientific Reports, du groupe Nature. Les auteurs montrent que ces émeutes, « les plus longues et les plus étendues géographiquement d’Europe contemporaine », ont agi comme un virus, contaminant des émeutiers de proche en proche, et se déplaçant sur de longues distances sans que les émeutiers eux-mêmes ne se déplacent : parties de Clichy-sous-Bois, où deux jeunes garçons sont morts électrocutés alors qu’ils cherchaient à échapper à un contrôle de police, elles ont peu à peu gagné d’autres communes d’Ile-de-France.

    Il n’y a donc pas eu d’embrasement généralisé ni simultané mais une « diffusion sur la base d’une proximité géographique » qui a généré « une sorte de vague d’émeutes autour de Paris », peut-on lire dans l’article.

    Effet de proximité

    « Les gens sont influencés par ce qui se passe près de chez eux. La tendance à rejoindre l’émeute est d’autant plus grande qu’il y a des émeutes à proximité. Cela produit un déplacement de la vague, c’est assez étonnant, explique l’un des auteurs, le physicien Jean-Pierre Nadal, du CNRS et de l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS). Alors qu’à l’époque, on avait l’impression que les émeutes se déroulaient un peu partout et en même temps, en fait elles durent deux ou trois jours à un endroit, ­elles se renforcent, puis elles décroissent de manière douce, même à ­Clichy-sous-Bois. Cela a fonctionné comme une ola dans un stade. »

    Cette observation relativise l’impact des moyens de communication modernes : « On pense souvent que ce sont les médias qui ont un pouvoir d’influence mais notre étude montre que les émeutiers semblent plutôt adopter une démarche rationnelle et ne s’engagent dans une émeute que s’ils ­savent qu’ils vont se retrouver en nombre suffisant, fait remarquer le mathématicien Henri Beres­tycki (EHESS), coauteur de l’étude. C’est ce que permet une diffusion de proche en proche, comme en épidémiologie. L’influence à plus longue distance vient se rajouter dans un second temps. »

    Pour identifier le phénomène de contagion, les chercheurs ont eu accès à une large base de données de la police, répertoriant tous les incidents – jets de pro­jectiles contre la police ou les pompiers, incendies de voitures, de poubelles, de bâtiments publics… – enregistrés dans toutes les communes de plus de 20 000 habitants, entre le 26 octobre et le 8 décembre 2005, ce qui couvre la période des émeutes et deux ­semaines au-delà.

    Ouvrir les données

    C’est aussi cette quantité de données à l’échelle de tout un pays qui fait l’intérêt de l’étude. D’autres travaux, portant par exemple sur les émeutes ethniques des années 1960 aux Etats-Unis, mettaient au jour la propagation des confrontations à l’intérieur d’une ville, à la façon d’une grippe. Mais elles ne permettaient pas, par exemple, d’étudier la diffusion des émeutes d’une ville à une autre. « Ces travaux montrent l’importance d’ouvrir les données à la ­recherche », souligne Marc Barthélémy, physicien des systèmes complexes à l’Institut de physique théorique (Saclay), qui n’a pas participé à l’étude.

    En s’appuyant sur un modèle épidémiologique de propagation, les chercheurs sont parvenus à reproduire la dynamique spatio-temporelle des émeutes. Pour donner à voir l’amplitude des violences de 2005, ils ont introduit dans leur équation une variable sociologique : après avoir testé plusieurs catégories de population, ils ont retenu la taille, dans une commune, de celle des jeunes entre 16 et 24 ans, sans diplôme et hors du système scolaire. Marc Barthélémy valorise cet apport : « On modélise depuis longtemps certains phénomènes à la façon d’une épidémie, à l’image de la propagation d’une rumeur. Ce qui est nouveau, c’est de la relier à un aspect socio-économique. Cette étude trouve l’indicateur qui détermine la population susceptible de répondre à la “maladie” ».

    « C’est un ingrédient important, souligne à son tour Jean-Pierre ­Nadal. L’émeute ne touche que les quartiers défavorisés, qui forment un réseau dense en région parisienne, et elle meurt au-delà. » C’est donc cette « géographie de la pauvreté qui permet la diffusion continue des émeutes comme une vague », appuie à son tour le sociologue du CNRS et coauteur de l’étude Sebastian Roché. Il met en avant l’intérêt d’une telle modélisation pour les pouvoirs publics : « La propagation de la violence à la suite d’une intervention de police est liée aux conditions socio-économiques, et cela doit être intégré à une nouvelle manière de faire de la police dans les quartiers sensibles. »

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