• A la Cinémathèque, le cinéaste Sharunas Bartas gardé à l’abri de ses accusatrices - Culture / Next
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    Après la polémique Polanski, l’institution s’est à nouveau distinguée en coupant court à toute question gênante au maître lituanien, mis en cause pour agression sexuelle par deux actrices.

    Mais voilà que le 19 janvier, toujours à la Cinémathèque, lors d’un échange avec le public, une question est posée frontalement à Sharunas Bartas, qui reste de marbre. Une spectatrice commence par les remercier, lui et ses pairs, pour leurs réflexions sur la censure en Russie. A propos de paroles étouffées, elle demande à Bartas s’il a l’intention de répondre aux accusations d’agression sexuelle de deux jeunes femmes - l’une des deux, Paule Bocculaite, a été indemnisée d’une somme dérisoire après qu’il l’a bombardée d’une télé et poursuivie, en voiture, dans la forêt, a-t-elle relaté en Lituanie. Le micro est alors immédiatement repris. « On est ici pour parler de cinéma. Y a-t-il quelqu’un qui a une vraie question sur le cinéma à poser ? » Rideau et perplexité, vis-à-vis de la position de la Cinémathèque, qui choisit d’inviter Bartas mais de le maintenir dans une bulle et d’interdire tout ce qui pourrait la briser - comme si le cinéma et ceux qui le font étaient étanches au monde.

    L’autre accusatrice, Julija Steponaityte, est à Paris, où Libération l’a rencontrée. Elle n’a pas été conviée à la Cinémathèque, alors que celle-ci a choisi son visage dans Summer d’Alanté Kavaïté pour affiche du cycle en guise d’argument publicitaire. Elle ne s’est pas même sentie suffisamment « bienvenue » pour acheter un billet. En effet, depuis qu’elle a relaté ce qui lui est arrivé, en novembre sur Facebook, la jeune femme fait l’objet d’un déferlement de haine relayé par une part influente de l’intelligentsia lituanienne. « Des émissions de télé me sont consacrées où des "experts" se livrent à une analyse de mon cas et utilisent des posts de mon ex-petit ami pour dire que j’ai plein d’amants ! En 2018 ! »

    Julija Steponaityte aurait apprécié des excuses de Bartas ou, du moins, qu’il admette l’abus de pouvoir. La hargne qui s’est développée contre elle en Lituanie lui paraît « un signe envoyé à toutes celles qui aimeraient réagir contre une agression sexuelle ».

    Car ce n’est pas sa « petite histoire » qui est en jeu, explique-t-elle. Et c’est la raison pour laquelle elle ne peut pas accepter le « soutien » de la Cinémathèque au silence de Sharunas Bartas, car cet appui revient à « gommer l’effort des Lituaniennes pour sortir de la domination masculine ». Elle ajoute : « Même Woody Allen s’exprime ! En ne disant rien, Bartas laisse croire que son statut d’artiste le rend supérieur à ses propres actes et que la blessure des femmes n’est rien. » Quant à la direction du Centre du cinéma lituanien, elle refuse de prendre position tant que le cinéaste ne se sera pas exprimé. « Son mutisme le rend inattaquable, et offre donc un exemple à suivre pour tous les autres agresseurs. »