Logement. Le surpeuplement, un mal en pleine expansion

/logement-le-surpeuplement-un-mal-en-ple

  • Logement. Le surpeuplement, un mal en pleine expansion | L’Humanité
    https://www.humanite.fr/logement-le-surpeuplement-un-mal-en-pleine-expansion-649535#comment-117555

    « Six personnes tassées comme ça dans un deux-pièces, c’est insupportable ! » lance monsieur Baalouche. Depuis plus de vingt ans, il vit dans ce 43 m2 de l’Est parisien avec sa femme et ses quatre enfants. « Au début, ça allait, mais les enfants ont grandi. Trois sont maintenant adolescents, et c’est devenu très compliqué », renchérit sa femme, une petite dame frêle au visage barré par d’énormes cernes. Chaque geste est contraint. Impossible, par exemple, de prendre un repas familial tous ensemble. Il n’y a pas assez de place dans le salon, encombré par deux lits posés perpendiculairement le long des murs. Une petite table ronde est poussée contre le mur. La vie à l’étroit est faite de rangements et de dérangements quotidiens : chaque soir, il faut réinstaller sur le sol les deux matelas. Chaque matin, « je suis obligée pour habiller la petite de mettre toutes ses affaires par terre, parce que les habits sont entassés dans un tout petit espace », explique madame Baalouche. Tout est sujet à tension : l’accès à la salle de bains, où se trouve aussi l’unique toilette, les rythmes de sommeil différents entre les générations qui dorment dans chaque pièce, les désaccords sur l’heure à laquelle il faut éteindre la télé, le bruit, l’espace pour les devoirs… « On ne se supporte plus tellement on est serrés », résume madame Baalouche.

    Cette famille n’est pas un cas isolé. Entre 2006 et 2013, le nombre de ménages en surpeuplement « modéré » (1) a augmenté de 11,5 %, souligne la Fondation Abbé-Pierre (FAP), qui met l’accent sur la problématique dans son 23e rapport annuel publié aujourd’hui. Le surpeuplement accentué – à partir de deux pièces en moins que la norme – a, lui, connu une hausse de 17,2 %. Au total, 2,7 millions de ménages sont concernés, selon l’enquête logement 2013 de l’Insee. Près d’un million d’entre eux sont dans le parc locatif privé. Mais, aucun secteur n’est épargné. En HLM, 16,8 % des ménages (776 000) vivent une situation de surpeuplement. Même des propriétaires sont touchés, le plus souvent parce qu’ils se retrouvent bloqués dans un logement devenu trop petit après la naissance des enfants. Proportionnellement, les personnes « aux portes du logement » (hôtels, sous-locations, marchands de sommeil) sont les plus affectées, puisque 52 % d’entre elles vivent en situation de surpeuplement (+48 % entre 2006 et 2013 et +77 % pour le surpeuplement accentué).

    Ce « retour du surpeuplement » est alimenté par des évolutions lourdes de la société, souligne la FAP : précarisation des ménages face à l’explosion des prix de l’immobilier, augmentation des familles monoparentales ou recomposées et, enfin, « crise des politiques d’accueil » des étrangers, dont 29 % sont affectés par le surpeuplement, contre 7 % pour le reste de la population. Le caractère durable de ces évolutions conduit la FAP à souligner que, loin d’être « le résidu d’une période révolue », le surpeuplement est « un phénomène en expansion, qui pourrait continuer à se développer dans l’avenir ».
    L’espace, c’est la base de la vie

    « On n’arrive pas à s’arranger du surpeuplement, c’est une bataille du quotidien, ça prend les gens à la gorge », a souligné Manuel Domergue, directeur des études de la FAP. Mal étudié et souvent minoré en France, le surpeuplement a un impact durable sur la vie des familles et le parcours de leurs enfants. « À cause de ce logement, toute la famille est détruite », analyse monsieur Baalouche. L’appartement est comme une Cocotte-Minute, en permanence au bord de l’explosion. Privés de toute intimité, les deux grands (21 et 22 ans) sont en conflit constant avec les autres. « Dieu merci, pour le moment, on n’en est jamais venu aux mains, mais les mots, ça, oui ! » confie la mère, qui hésite à quitter le domicile tellement elle craint l’irruption de violence. Cette tension est alimentée par le manque de sommeil. Quand ils rentrent le soir, les deux garçons, qui travaillent parfois comme chauffeurs chez Uber, allument la lumière et réveillent tout le monde, générant de nouvelles tensions. « Vous avez vu mes cernes. Je ne dors pas plus de quelques heures par nuit ! » lance la mère, qui partage la chambre du fond avec ses deux filles.

    Une quinte de toux éclate dans l’appartement. C’est Yasmine, la petite dernière, âgée de 9 ans. « Avec la poussière et l’humidité, elle est devenue allergique », explique sa mère. C’est le cas aussi de l’aîné des fils, malade depuis des années. Le surpeuplement a accéléré la dégradation du logement, situé dans une copropriété privée datant des années 1970-1980 et peu rénovée. Le père montre les fenêtres qui ne ferment pas, sur lesquelles le moisi s’est accumulé. Entassés dans un unique placard, les habits de la famille sentent l’humidité et la poussière. « D’une manière générale, observe la FAP, la dégradation du logement, aggravée par le phénomène de suroccupation, accentue les problèmes de santé. »

    La fille aînée des Baalouche est en dépression. Incapable de réviser dans cet environnement exigu, elle a raté son bac l’année dernière et semble depuis plongée dans la stupeur. « Même dans son corps, pour se faire belle ou se laver, elle a abandonné », se désole sa mère. « En l’absence d’un espace ‘‘à soi’’ permettant de s’isoler et de se ressourcer, le bien-être des membres du ménage se trouve mis à mal », observe la FAP, qui souligne à quel point la suroccupation met à mal le droit à l’intimité. C’est d’autant plus vrai pour des adolescents dont « la construction d’un univers à soi est primordiale ». L’impossibilité d’amener des amis dans un logement trop petit, dont on a honte, a aussi des conséquences sur la capacité à mener une vie sociale normale.

    Pour ceux qui y grandissent, le surpeuplement est « une cicatrice à vie », souligne la FAP. Depuis le développement psychomoteur freiné dans la petite enfance faute d’espaces sécurisés, jusqu’aux difficultés de concentration, en passant par la dégradation des liens interfamiliaux, ces jeunes cumulent les handicaps. L’impact sur leur scolarité est évident. Ils ont 40 % plus de risques que les autres d’accuser une année de retard entre 11 et 15 ans, selon une étude de l’OFCE citée par la FAP. In fine, « le surpeuplement peut avoir un impact à terme sur l’insertion professionnelle des jeunes ».

    Avec son arthrose carabinée qui l’empêche de travailler et ses 1 600 euros mensuels d’allocations diverses, monsieur Baalouche a des revenus insuffisants pour accéder à un F4, même dans le secteur social. Malgré une demande de logement datant de vingt-trois ans et l’obtention en 2011 du statut de prioritaire au titre du logement opposable (Dalo), il est bloqué avec sa famille dans son appartement vétuste et trop petit. En colère, il sait que cette situation impacte toute sa vie. « Pour moi, explique-t-il, l’espace, c’est la base de la vie. Quand on a un grand espace, qu’on est tranquille dans le cerveau, on peut réussir. »
    (1) auxquels il manque une pièce par rapport à la norme d’une pièce de séjour par ménage, d’une chambre par couple, et d’une chambre pour deux enfants à condition qu’ils aient moins de 7 ans ou soient de même sexe.
    Camille Bauer
    Journaliste rubrique Société

    #logement #sur-occupation (plutôt que surpeuplement) #relégation

    • #vocabulaire c’est intéressant surpeuplement comme terme (que je découvre). Mais comme sur-occupation, le terme sous entends quelque chose qui me dérange, qui renvoit d’une certaine manière à une responsabilité individuelle. Comment disait-on avant ? Appartements trop petits ? Chambres de bonnes ? Galetas ? Taudis ?

    • Oui, en fin de compte, je voulais surtout marquer le fait que le terme « surpeuplement » renvoyait à un concept de « surpopulation », ce concept savamment distillé il y a peu par tous les médias aux ordres pour nous faire réagir que, et bien ... il y avait beaucoup trop de « monde » sur cette pauvre planète et que ... ben ... s’il y en avait qui passait l’arme à gauche ...euh ... ceux qui restent s’en porteraient pas plus mal.
      Il y aurait bien un terme plus approprié pour ce genre de faits, c’est « mal-logement » (mais là aussi, on marche dans les plates-bandes administrativo-médiatiques et ça sent pas forcément la rose). Alors pourquoi pas « pauvreté » ou « précarité » ou « logement-de-merde ». Finalement #taudis c’est pas mal.