*Jacques Chardonne*
Barbezieux (Charente), 2janvier 1884 – La Frette-sur-Seine (Val-d’Oise), 29 mai 1968
Qui lit encore Chardonne ? Plus grand monde, tant le goût de l’action, du sensationnel, de la superficialité prévalent dans la littérature actuelle ou ce qui en tient lieu. On pourrait cependant, pour parodier le titre d’un de ses livres, avancer que Chardonne, c’est beaucoup plus que Chardonne. Au-delà de l’image décriée du bourgeois profincial, conservateur voire réactionnaire, un auteur délectable. Un styliste délicat, doté d’un rare sens des nuances.
Les « hussards » le considéraint comme un maître. Jean Rostand le tenait pour « le plus grand prosateur de notre temps ». François Mitterand lui-même partageait cette opinion et admirait son compatriote charentais.
Chardonne était issu, côté parternel, d’une famille de riches négociants en cognac. Il resta toujours fidèle à sa province et à son milieu. Nombre de ses personnages appartiennent à la grande bourgeoisie d’affaires. Ils évoluent dans l’univers qui fut celui de l’enfance du romancier, tempéré et rassurant. Secret et mystérieux toutefois. En témoigne Le Bonheur de Barbezieux (1938), au titre éloquent.
Son thème principal d’inspiration est l’amour. Il en décortique les manifestations, les avatars, l’évolution, depuis L’Épithalame, publié en 1921. Non l’amour-passion des romantiques avec sa fatalité et ses excès. Pour lui, il n’est d’amour que conjugal. Et heureux. Encore ce bonheur est-il « traversé de fièvres qui ressembleraient à de la souffrance, sans quoi le bonheur ne serait que la mort. Cet état de vibration, c’est la vie. »
Sa grande affaire fut donc d’analyser ces infimes « vibrations » qui président à l’évolution de l’amour et à ses métamorphoses. Son essai L’amour, c’est beaucoup plus que l’amour, qu’il considérait comme « le plus secret de [s]es livres, pourtant plein d’aveux », plaide pour la tranquilité du sentiment. Notion qu’il développe dans son oeuvre abondante de romancier. Laquelle y gagne en homogénéité.
Lui reprochera-t-on une certaine pusillanimité devant les risque que fait encourir la passion ? Ce serait faire peu de cas d’une sensibilité vibrante qui n’en ignore rien, mais fait, en définitive, le choix de la quiétude. « J’ai vu des hommes et des femmes fidèles, des ménages heureux. Le plus souvent [...] la personne des époux disparaît : ils cessent de se voir et ne savent plus rien l’un de l’autre. » Cette dissolution dans une sorte de vide qui s’apparente au nirvana a quelque chose de bouddhique...
Sa prose est à l’image de ses idées. D’une pureté, d’une limpidité toutes classiques. Légère, élégante, peuplée de métaphores, mais sans aucune rhétorique clinquante. Délibérément exempte d’effets. Un parti pris affirmé dans ce conseil à Roger Nimier : « Si on a trop d’esprit, l’éteindre. »
Jacques Aboucaya
écrivain et journaliste